Bourome-Badjirane, localité située dans la commune de Kataba I, est un village d’intégration sénégambienne. Ici, on se soigne en Gambie, bénéficie d’un réseau d’adduction d’eau de ce pays. Une situation désobligeante qui met en rogne les populations privées du minimum pour leur épanouissement.
C’est un nom quelconque de village, mais il est un trait d’intégration sénégambienne : Bourome-Badjirane. Fondée dans les années 1950, située à moins de 4 km à partir du poste frontalier de Selety en allant vers le Naran-Ouest, cette localité transfrontalière est le parfait exemple de village paupérisé. Un village melting-pot. Habitée par les populations de la contrée du Buluf, notamment celles de Thionck-Essyl qui occupent le quartier de Bourome, lieu de la chefferie, et celles de Kagnobon localisées à Badjirane, foyer de l’imamat. Ici, les relations sont bien tissées avec celles outre-frontière, originaires également du Buluf. Elles partagent les mêmes réalités, les mêmes conditions de vie. Ici, la solidarité sénégambienne est une réalité.
Fort de ces liens séculaires, facteurs d’intégration et qui transcendent les barrières frontalières, linguistiques, Bourome-Badjirane a pu bénéficier d’un programme hydraulique gambien qui lui permet d’avoir de l’eau potable, grâce à des panneaux solaires. Mais un réseau dont la fonctionnalité est tributaire des réalités saisonnières à cause de la profondeur de la nappe qui ne profite à Bourome-Badjirane qu’en saison des pluies où l’eau coule dans certains robinets.
En attendant, les populations n’ont encore que des puits pour se désaltérer et profitent également de panneaux solaires pour pallier l’absence d’électrification. Et avec la maternité construite par les femmes et qui manque de tout, l’enclavement plombe les efforts de développement. Autant de contraintes multiformes qui se posent aujourd’hui au niveau Bourome-Badjirane où les défis à relever sont énormes. Pas d’infrastructures routière, sanitaire, hydraulique, éducative. Sans occulter la déforestation qui défigure toute la Casamance. «Tous nos achats, soins quand nous tombons malades, bref tous nos besoins, nous les faisons en Gambie», répètent les populations. Ibrahima Diédhiou, président de l’Association des jeunes pour le développement de Badjirane, annonce : «Si vous avez un malade, vous êtes obligés de l’évacuer soit à Selety, à Diouloulou ou en Gambie voisine.
Et cette évacuation relève d’une gymnastique du fait de l’impraticabilité de la route et d’un manque d’ambulance.» Il ajoute : «En outre, la case de santé, construite par les femmes de Badjirane et qui fait office de maternité, n’a de structure sanitaire que de nom. L’eau, l’électricité, les médicaments, le personnel, de bonnes toilettes, tout manque également ici. Une case de santé qui est encore à la charge de deux matrones, Diatou Camara et Seynabou Badji, âgées toutes deux de plus de 70 ans et qui ont toujours exercé dans le bénévolat.» Une situation qui plonge les femmes dans l’incertitude : «Nous n’avons pas de sage-femme et nos matrones usent de la tradition au niveau de cette maternité pour assister bénévolement les femmes lors de leur accouchement», révèle Ramatoulaye Diatta, assistante et fille d’une des matrones. Tout ça relève du parcours du combattant : «Dans le cadre de l’évacuation de leurs patientes vers Selety en Gambie, c’est des charrettes qui sont le plus souvent mobilisées. Et ce, à défaut de convoquer sur place, pour des cas d’urgence, une ambulance voire une sage-femme dont les déplacements sur Badjirane ne sont pas toujours automatiques», rappelle Ramatoulaye Diatta. Les risques liés aux évacuations des femmes enceintes sont incalculables. «Certaines accouchent et y laissent leur vie, d’autres accouchent et perdent leurs enfants. On souffre», se désole-telle. Et quid des visites prénatales ? «Celles-ci se font souvent à Selety voire en Gambie. On lance un appel aux autorités locales, étatiques et aux bonnes volontés à venir en aide aux femmes de Badjirane et environs qui font face à moult difficultés, et notamment en période hivernale où les routes sont impraticables.»
Cohabitation transfrontalière apaisée
Par ailleurs, le vol de bétail, très récurrent, est aussi un véritable problème dans cette bande transfrontalière. «Un problème très sérieux», estime d’ailleurs Ibrahima Diédhiou. «Les responsables de ces vols vont même jusqu’à utiliser des armes au cours de leur forfait. Donc si vous vous opposez au vol, on peut même vous tuer», s’offusque-t-il. Ces révélations dessinent la carte criminogène de la zone. Le président de l’Ajdb tape du poing sur la table : «C’est un véritable problème d’insécurité qui se pose au niveau de cette bande frontalière. On lance un appel aux autorités pour parer à cette situation. En, attendant des comités de surveillance sont mis sur pied pour dissuader les malfaiteurs, mais cela ne suffit pas, car après leur forfait, les voleurs de bétail rentrent ensuite en Gambie où ils ne sont point inquiétés. La solution c’est la sécurisation de toute la bande frontalière et c’est tout un problème», lâche Ibrahima Diédhiou.
L’autre problème crucial qui plombe Badjirane, c’est la déforestation. «C’est quasiment le désert au niveau de la zone où les grands arbres sont inexistants», soutiennent les populations. Que faire ? «La solution réside dans la mobilisation de tous les villages de cette contrée de Kataba I qui, de concert avec les autorités compétentes, vont essayer de stopper ce phénomène de la déforestation au niveau de leur localité. Toutefois, nous regrettons la complicité de populations locales qui sont en connexion avec les trafiquants de bois qui viennent de la Gambie voisine et qui coupent les arbres dans leur forêt avant de les acheminer en Gambie», alerte le président de l’Ajdb.
Rencontres citoyennes
Aujourd’hui, les populations ne croisent pas les bras pour essayer d’inverser le cours des évènements. Elles sont conscientes qu’il faut élaborer des stratégies et des plans de plaidoyer pour régler les problèmes de «santé et développement». Que faire ? «Il s’agit d’inciter les politiques publiques et partenaires au développement à venir en aide à ces populations de cette zone transfrontalière où tout est prioritaire. Nous lançons un cri du cœur pour la construction d’une piste de production reliant notre village à Selety», insiste d’ailleurs Ibrahima Diédhiou, qui rappelle que «cette route constitue la clé de voûte du développement de notre localité pour son désenclavement. Et ce, non seulement pour la mobilité des populations, mais aussi pour permettre à ces dernières d’acheminer les produits agricoles vers les marchés urbains». Un plaidoyer porté par le chef de village, l’imam, les femmes et des jeunes qui «interpellent les autorités sénégalaises et gambiennes de la nécessité pour les populations de bénéficier de leur appui, surtout en termes d’accès des jeunes aux formations professionnelles de qualité, d’accès des agriculteurs aux matériels agricoles et aux intrants, mais aussi aux soins médicaux. Il s’agit pour ces dernières, notamment les jeunes et les femmes, acteurs de développement de leur contrée, de réunir les conditions d’amélioration de leurs conditions de vie par la disponibilité des moyens, mais de renforcer également leur relation de cohabitation transfrontalière».