La survenue de la première alternance fut inéluctable après vingt ans d’un régime sans plus de  ressorts  marqué par une économie agraire fortement désarticulée produisant à peine 2% de croissance de Pib en moyenne sur les 20 ans et une richesse de 7 milliards de dollars Us sur toute la période. L’économie agricole, socle de l’économie socialiste, est fortement impactée par la sécheresse des années 70-80, la baisse des flux touristiques  et surtout la forte baisse des produits agricoles et matières premières. Le krach du prix des phosphates sur les marchés internationaux plonge le Sénégal dans une récession endémique. L’alternance est inévitable au début des années 2000, le taux de pauvreté dépasse les 50% et plus de 70% en milieu rural.

En 2012, le Sénégal semble faire un peu  mieux sous le régime libéral,  le Pib en termes constants a plus que doublé avec 14 milliards de dollars Us de richesses, l’économie se «tertiarise» avec le transport, surtout les télécommunications et le commerce qui profite des importations record de produits alimentaires, en même temps l’agriculture se diversifie, l’industrie agro-alimentaire et les cimenteries se développent et le tertiaire contribue presque à 60% du Pib.

Les infrastructures, notamment routières et le bâtiment, profitent  de l’effet multiplicateur de l’investissement public, la perception d’une démocratie vibrante, la stabilité du pays et les programmes d’amélioration de l’environnement des affaires attirent l’investissement direct étranger. Le Sénégal devient enfin un pays attractif et moderne. Pourtant, le pays compte  16 000 000 d’habitants en 2011 du fait d’un boom démographique non maîtrisé et surtout d’une inflation soutenue durant la période 2002-2011 amplifiant la précarité urbaine et l’extrême pauvreté rurale. L’explosion de la circulation monétaire fut le leurre du régime libéral, les fondamentaux économiques restant toutefois fragiles. La croissance moyenne annuelle  de 5, 5%  entre 2000 et 2012  fait accéder notre pays au rang des pays  à revenu intermédiaire de la tranche inférieure ; malheureusement le taux de chômage et le déficit énergétique viendront à bout du régime libéral trop lent dans les reformes-clés.

La troisième alternance, à partir de 2012, suit la même trajectoire dans la création de richesse avec 22 milliards de dollars Us de richesse en 2022. Une très bonne partie de cette richesse s’est produite durant la période 2014-2018 où la cadence économique s’est accélérée avec le Pse, accompagnée malheureusement d’un endettement sans précédent dans l’histoire économique du Sénégal. C’est la seule période où notre taux de pauvreté a drastiquement baissé pour atteindre 35%, une performance historique permise par une moyenne de 8% de Pib sur la période 2014-2018 ; les filets sociaux et les programmes ad-hoc destinés au monde rural. L’effet keynésien de la dépense publique est vérifiée durant cette courte période, d’ailleurs l’adoption d’une loi sur les Ppp fut nécessaire pour décélérer  l’endettement public  et suppléer l’effort d’investissement national structurant au privé national.  Cette croissance extravertie entièrement mise œuvre pour des entreprises étrangères qui ont vite fait de rapatrier leurs profits avec la facilité de la convertibilité F Cfa-euro.
Malheureusement cette embellie économique et financière sera remise en cause par le Covid-19 et notre vulnérabilité aux chocs extérieurs et exogènes. Depuis 2019, le Sénégal ne produit plus de richesse et connaît un surplace avec les cascades de crises  depuis le Covid-19 : la crise russo-ukrainienne, etc., heureusement que cette période a permis un test grandeur nature de la résilience globale du pays.

Ce manque de dynamisme depuis le Covid-19  explique l’absence de convergence de la richesse du pays par rapport au reste du monde et, en particulier, des autres pays d’Afrique subsaharienne : en Parité de pouvoir d’achat (Ppa), le Pib par habitant au Sénégal s’élève ainsi à 20% de la moyenne mondiale et à 60% de celle de l’Afrique subsaharienne, avec le Nigeria premier Pib du continent. Actuellement, à l’exception de la Guinée-Bissau et du Mali, le taux de croissance du Pib par habitant du Sénégal est le plus faible de l’Uemoa (Banque mondiale, 2014). Ces performances en retrait expliquent en partie le peu de progrès effectué sur le front de la réduction de la pauvreté, des inégalités ainsi que la situation difficile du marché de l’emploi. Notre pays ne capitalise pas sur le dividende démographique, au contraire notre croissance naturelle accentue la pauvreté. Le nexus pauvreté-croissance démographique reste problématique.

Avec les revenus du pétrole et du gaz, le Sénégal devrait connaître une trajectoire économique plus soutenue avec l’apport du secteur énergétique et la gouvernance budgétaire dans une stratégie de diversification de l’économie où le tertiaire avec le commerce et les télécoms et le Btp produisent 70%  de productivité du Pib actuel. La maîtrise de la courbe démographique et les reformes structurelles et structurantes  seront les prérequis, la résilience aux chocs, notamment exogènes, conditionnent toujours notre pérennité et viabilité économique ; politique et même sociale. L’adaptation climat y figure en bonne place. L’état providence n’a pas d’effet sur le long terme, c’est un fardeau budgétaire limitatif d’où le retour à une politique de capital humain avec l’éducation et la formation. Un meilleur ciblage pourrait être un palliatif dans les filets sociaux.

Ainsi, en  termes de création de richesse, aucun régime  depuis l’indépendance n’a fait mieux si ce n’est un rattrapage par rapport à la pression démographique, tant  la pauvreté et le chômage restent têtus.  La 4ème République, à partir de février 2024, doit impérativement changer de paradigme en attendant toujours la croissance à deux chiffres toujours annoncée mais jamais atteinte.
 Moustapha DIAKHATE
Ex-Cons Spec PM
Expert et Consultant Infras