Le Président Bassirou Diomaye Faye est porté au pouvoir sur la base d’une promesse de rupture avec le système en place depuis l’accession du Sénégal à la souveraineté. Loin de nous la prétention de vouloir faire le bilan du nouveau régime à peine installé. De plus, la rigueur scientifique nous interdit de le faire au risque de commettre une erreur de troisième type (Dobson et Cook, 1980) que les spécialistes en évaluation de politiques et de programmes connaissent bien, c’est-à-dire l’erreur d’évaluer les résultats d’une politique, d’un programme ou d’un projet alors que celle-ci ou celui-ci n’est pas encore ou est insuffisamment implanté(e). Entendons-nous bien, nous ne commettrons pas cette erreur. Nous allons nous limiter, dans ce qui suit, à la seule analyse des actes posés ou omis par le Président Bassirou Diomaye Faye qui pourraient être considérés comme des prédicteurs de la rupture promise.

Transparence : un signal qui tarde à être donné
Selon les dispositions de l’article 37 de la Constitution, «le président de la Répu­blique nouvellement élu fait une déclaration écrite de patrimoine déposée au Conseil constitutionnel qui la rend publique». Rappelons que le vendredi 22 mars 2024, à 48 heures de la tenue du scrutin qui le porta au pouvoir, le candidat Bassirou déclara son patrimoine au Peuple sénégalais, cela sans aucune contrainte légale. Outre son caractère volontaire, il convient de mentionner que cette déclaration de patrimoine était incomplète, car la valeur du plus important bien déclaré n’y figurait pas : celle de sa maison bâtie à Mermoz sur une superficie de 200 m2. Comme explication à cette incomplétude, il avait servi l’argument selon lequel «le temps ne m’a pas permis de l’évaluer aux dires d’experts». Plus de deux (2) mois se sont écoulés depuis cette date. Faut-il tout ce temps pour compléter une seule rubrique d’une déclaration déjà élaborée, puis la déposer auprès du Conseil constitutionnel ? Nous ne le pensons pas. Nous sommes d’avis que les questionnements et doutes nés à la suite de cette déclaration volontaire au­raient refroidi l’ardeur et la rapidité du nouveau Prési­dent à se conformer aux dispositions constitutionnelles citées ci-dessus. En effet, après avoir pris connaissance de la déclaration de patrimoine du candidat Bassirou Diomaye Faye, plusieurs Sénégalais se posent des questions, somme toute légitimes, notamment :
Combien lui a coûté la construction de sa maison sise à Mermoz et comment a-t-il procédé pour financer tout cela indépendamment de la valeur du terrain (au prix du marché immobilier à Dakar) ?
Comment un président de la République, qui érige en priorités la lutte contre la déprédation foncière et l’accès équitable de tous les Sénégalais à la propriété foncière, pourrait-il convaincre de sa bonne foi et de son indépendance à l’égard de tous les lobbys fonciers existants, lui qui a bénéficié, en 2022, d’un terrain agricole de 4, 3 hectares à Sandiara ?
Est-ce un pur hasard ou un retour de bons procédés que l’ancien maire de Sandiara et ancien ministre-conseiller du Président Macky Sall jusqu’à l’approche des élections, se soit retrouvé dans son gouvernement ?
Qui est l’ami à qui le Président Bassirou Diomaye Faye déclare devoir la somme de 10 millions Cfa ?
La réponse, claire et concise à ces questions (et à tant d’autres) participerait à la transparence et augurerait d’une rupture avec les mauvaises pratiques du régime sortant que le Peuple sénégalais, dans une écrasante majorité, a sanctionnées en le portant au pouvoir. Le Président Bassirou Diomaye Faye de­vrait également apporter des clarifications aux graves accusations dont il fait l’objet concernant une transaction immobilière qui serait intervenue entre lui et son actuel ministre des Finances. En effet, une partie de la presse et les réseaux sociaux font état, preuves à l’appui (cession de bail devant notaire), qu’il aurait vendu à son actuel ministre des Finances, le 11 septembre 2018, une parcelle de 255 m2 sise à Ouakam aéroport communément appelé «Zone de recasement», formant le lot 341 faisant l’objet du droit au bail inscrit sur le TF no19 137/NGA appartenant à l’Etat du Sénégal. Outre la nature des rapports qu’il entretient avec son ministre des Finances, il devrait nous dire comment avait-il réussi à obtenir ce terrain au moment où l’écrasante majorité des Sénégalais éprouve d’énormes difficultés à accéder à la propriété foncière ?

Transparence, déclarations de patrimoine et conflits d’intérêt : rien de concret encore
Il est temps que le Président Bassirou Diomaye Faye dépose auprès du Conseil constitutionnel, sa déclaration de patrimoine. Nul besoin de faire du juridisme en évoquant que la Constitution ne lui impartit aucun délai. Cela serait un argument de mauvais aloi, car il a été élu sur la promesse de rompre définitivement avec les mauvaises pratiques, notamment celles de corruption qui maintiennent, encore, le Sénégal dans la zone rouge de l’Indice de perception de la corruption 2023 publié par Transparency International en janvier 2024, avec une note de 43/100.
Pour marquer la rupture et baliser le nouveau chemin à prendre, le Président Bas­sirou Diomaye Faye doit donner l’exemple, puis enjoindre, de façon impérative, à son Premier ministre, aux membres du gouvernement, aux directeurs généraux, aux dirigeants et hauts cadres des sociétés nationales, des établissements pu­blics, des agences d’exécution et autres structures similaires ou assimilées nouvellement nommés de suivre ses pas comme l’exige la loi n°2024-07 du 09 février 2024 modifiant la loi n°2014-17 du 02 avril 2014 relative à la déclaration de patrimoine. L’article 12 de ladite loi devrait revêtir tout son sens en amenant l’Ofnac à faire preuve de transparence en informant le Peuple sur le rythme et les noms des personnes assujetties ayant satisfait à cette obligation. Pour rappel, cet article dispose que «l’Ofnac publie périodiquement la liste des assujettis ayant déclaré leur patrimoine, ainsi que celle des assujettis défaillants par tout moyen approprié». L’exposé des motifs de la loi justifie cette disposition par la nécessité de «satisfaire le besoin légitime d’information des citoyens sur la situation et le comportement des dirigeants pu­blics». Nous attendons toujours un signal fort dans ce sens, de préférence un signal par l’exemple en se conformant, le plus rapidement possible, aux dispositions de l’article 37 de la Constitution.
Par ailleurs, le Président Bassirou Diomaye Faye n’a pas encore posé d’acte connu pour prévenir les nombreux conflits d’intérêts, apparents et potentiels, concernant plusieurs membres de son gouvernement. Par exemple, le ministre en charge de l’Agriculture est connu être un entrepreneur agricole ; le ministre en charge de l’Ensei­gnement supérieur gère un établissement privé d’enseignement supérieur ; etc. A notre connaissance, aucune mesure préventive mise en place n’a été portée à la con­naissance de l’opinion publi­que. La transparence dans la gestion de la chose publique ne saurait s’accommoder de ces situations et positions ambiguës.
Enfin, le Président Bassirou Diomaye Faye et son gouvernement font une entorse sévère au respect des règles de transparence en omettant ou en refusant (c’est selon) de publier le décret n°2024-940 du 5 avril 2024 portant répartition des services de l’Etat et du contrôle des établissements publics, des sociétés nationales et des sociétés à participation publique entre la présidence de la Répu­blique, la Primature et les ministères. Ils continuent de faire la sourde oreille en dépit de l’interpellation directe et publique de compatriotes et de franges de la Société civile soucieux d’une gestion trans­parente de la chose publique. La publication de ce décret, auquel se réfèrent tous les décrets de nomination, y compris celui des membres du gouvernement, est plus qu’importante, car étant le cadre légal et normatif des structures de l’Etat. Il revêt un enjeu de grande importance, car au-delà de son aspect normatif, il constitue un instrument de management qui permet, entre autres, la répartition des responsabilités entre les différents acteurs institutionnels. Dans le cas spécifique du gouvernement de Bassirou Diomaye Faye, il permettrait de renseigner sur l’ampleur des ruptures réalisées ou envisagées au plan organisationnel, étant donné que les structures sont au service d’une vision, d’une ambition et d’objectifs précis.
Tous ces aspects soulevés ici ne nécessitent pas d’attendre 5 ans, le terme du mandat, pour être évalués. Ils peuvent l’être aujourd’hui, vu qu’ils peuvent être considérés comme des prédicteurs des ruptures promises en matière de bonne gouvernance et de transparence. Malheu­reu­sement, il n’y a pas encore des choses concrètes et rassurantes à mettre au crédit du Président Bassirou Diomaye Faye. Il doit se montrer plus incisif et plus concret, au lieu de se complaire dans les inaugurations de chrysanthèmes.
Cheikh FAYE, Ph.D
Canada