La mort est la chose la plus démocratique dans cette vie. Elle frappe au gré des familles et installe cette indescriptible douleur que provoque la perte d’un être cher. Le décès brutal de Soumaïla Cissé est une perte pour tous ceux qui, comme moi, au contact de l’homme, ont nourri un espoir vis-à-vis de la politique. J’avais de l’estime pour l’homme que j’espérais revoir à la fin de la pandémie afin de parler de l’à-venir. Pour le Mali, la mort de Soumaïla Cissé est terrible et elle accentue l’impasse dans laquelle ce pays se trouve aux plans démocratique, sécuritaire et social. Le Mali est malade, souffrant de multiples choses qui sont toutes exacerbées par l’irresponsabilité, l’inconstance et l’inconsistance de sa classe politique. Le pays souffre, incapable de prendre en charge la menace djihadiste, l’irrédentisme au Nord, les massacres de civils, le chômage massif et l’absence d’espoir d’un avenir meilleur pour une jeunesse désorientée.
Candidat malheureux à trois Présidentielles, l’homme est un rendez-vous manqué avec un Peuple qui mérite d’être gouverné par la vertu et la compétence. Soumaïla Cissé, que tout destinait enfin à assumer les charges de président de la République, a manqué cette fois le rendez-vous avec le Peuple malien. Il est parti, emporté par cette sale maladie qui nous prive de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Je disais à mes amis que cette fois sera la bonne ; qu’à la fin de la transition Soumaïla Cissé sera Président et qu’il entreprendra le long travail de redressement d’un pays exsangue. La situation actuelle du Mali ne peut être une fatalité. Ce beau pays peut se relever à la hauteur de son glorieux passé. Esprit brillant, républicain hors pair et homme de conviction, Soumaïla Cissé était le meilleur au sein de la classe politique malienne rompue aux basses œuvres et aux retournements de veste. Il était compétent, rigoureux et surtout honnête. Il représentait ce qui se faisait de meilleur en politique sur un continent habitué aux plaisantins et aux ignorants dépourvus de la moindre qualité que requiert la gestion d’un Etat.
Le décès de Soumaïla Cissé est également une perte pour le Sénégal, tant l’homme était lié à notre pays, et tant il aurait pu jouer un rôle majeur dans le rapprochement entre ces deux Nations sœurs. Son père Bocar Cissé, ancien tirailleur sénégalais, a été pensionnaire de l’Ecole normale William Ponty de Sébikotane, où il fut condisciple du Pr Assane Seck et de Douta Seck. Soumaïla Cissé lui-même a entamé ses études supérieures à l’Université de Dakar. Une partie de sa famille est sénégalaise et lui-même était un habitué de notre capitale où il comptait de nombreux amis, notamment au sein de la classe politique. Comme Khalifa Sall, Cheikh Tidiane Gadio, Abdoulaye Bathily, de nombreux Sénégalais ont perdu un ami avec qui il était possible d’imaginer rebâtir des ponts et retisser des liens que les circonstances ont distendus avec nos frères jumeaux maliens. L’Afrique de l’Ouest, prise dans l’œil du cyclone de la menace djihadiste, du départ massif de ses fils vers l’Europe, de la crise sanitaire et des impasses politiques guinéenne et ivoirienne, doit aborder un nouveau printemps de conquêtes démocratiques. Dans ce travail, Soumaïla Cissé va manquer. Il aurait été plus qu’utile, lui qui a été trois fois perdant à la Présidentielle, parfois de manière injuste, sans jamais perdre sa hauteur, sa dignité et sa profondeur intellectuelle.
En 2012, quand par opportunisme une large frange de la classe politique malienne a soutenu le coup d’Etat du fantasque capitaine Amadou Haya Sanogo, Soumaïla Cissé avait dénoncé le putsch et appelé au rétablissement de l’ordre constitutionnel certes imparfait, mais issu des urnes. C’était ça Soumaïla Cissé, le refus des compromissions, alors que celles-ci, quotidien des hommes politiques, peuvent donner le pouvoir. Le drame des gens comme lui, arrivés en politique au nom d’un idéal, c’est qu’ils sont souvent trop seuls. L’Afrique perd un fils talentueux, le Mali un homme d’Etat et le Sénégal un ami.
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