Le complot contre l’Amérique

Je suis un admirateur de l’écrivain Philip Roth et du cinéaste David Simon. Leur observation fine de l’Amérique nourrit ma compréhension de ce pays. Simon a adapté l’année dernière Le complot contre l’Amérique, un roman chronique de Roth dans lequel il peint l’arrivée au pouvoir en 1941 de l’aviateur sympathisant nazi Charles Lindbergh, qui fait basculer son pays dans l’antisémitisme et le fascisme.
La présidence Trump, qui s’achève dans le chaos d’une foule qui envahit le Capitole, a l’air d’un complot de l’Amérique blanche contre ses institutions légitimes. Les rideaux de cette mésaventure de quatre ans, ponctuée de centaines d’actes tragiques, sont tombés sur un pays devenu la risée du monde.
C’est la fin du mandat unique de Donald Trump. Mais ses idées nauséeuses n’en sont qu’à leurs prémices. On ne peut tirer un trait sur 75 millions de voix qui se sont prononcées sur un suprémaciste blanc. Quatre ans auront suffi à Trump pour banaliser et disséminer via les réseaux sociaux la haine, le mensonge, le conspirationnisme et la division. Il a structuré autour d’une plateforme politique tout ce que l’Amérique compte de militants fascistes, et pris en otage le Parti républicain dans lequel il a promu de dangereuses figures. Parmi eux, des parlementaires qui, jusqu’au bout, ont refusé de reconnaître la défaite de leur mentor. Les sénateurs Josh Hawley du Missouri et Ted Cruz du Texas, le gouverneur DeSantis de Floride, tous présidentiables en 2024, sont les héritiers politiques qui vont poursuivre l’œuvre du «Trumpisme».
Le «Trumpisme», sorte de national-populisme des années 30, va demeurer après avoir exacerbé la fracture d’une Amérique déjà divisée entre progressistes et conservateurs. Le «Trumpisme», héritage de la révolution conservatrice de Newt Gingrich de 1994, est la traduction institutionnelle du Tea party, branche populiste du Parti républicain, la consécration des idées du média néonazi Breitbart de l’ancien conseiller Steve Bannon et le géniteur de la mouvance QAnon, flopée de «complotistes» ouvertement fascistes.
La horde armée du drapeau confédéré, symbole de l’esclavage, qui a occupé durant quelques heures le Capitole, défiait l’Etat le plus puissant au monde afin de maintenir un Président mauvais perdant. Les cinq morts dans ce baroud d’honneur de Trump sont la conséquence d’une extrême-droite qui n’accepte pas le jeu démocratique quand celui-ci lui est défavorable.
La honte de l’Amérique, diffusée en direct sur les écrans du monde entier, infirme les propos de Obama tenus en 2009 à Accra. Une Nation a autant besoin d’institutions fortes que d’hommes forts. Des hommes forts dans leur capacité à se soumettre aux lois, à préserver et renforcer l’Etat de droit et à gouverner dans la vertu et la décence.
Les lois ne sont pas à l’abri de la dérive humaine. Même les solides institutions américaines ont vacillé face à un putsch commandité par celui qui doit en être le garant.
En regardant les images de l’humiliation de l’Amérique, j’ai pensé à la lame de fond d’un boulangisme du 21ème siècle qui émerge en Afrique, générant un danger pour la cohésion sociale et la paix civile.
Je demeure convaincu de la nécessité de ne pas affaiblir nos institutions, de les défendre malgré leur imperfection, pour que demain les Trump que nous ne manquerons pas d’avoir à notre tour échouent à nous faire basculer dans la guerre civile. Partout, la défiance vis-à-vis des institutions croît. L’absence de complexité, la polarisation des chapelles, la facilité de l’injure, voire la violence physique à l’encontre des élus, constituent un danger pour la démocratie.
Chez Trump comme ailleurs, le courant dit anti-système nourrit un anti-élitisme et une défiance vis-à-vis des élus et de tous les symboles de la démocratie représentative. Il ne recule devant aucun mensonge par opportunisme politique et par calcul électoral afin d’exciter sa base militante et hystériser le débat public. Voilà un danger de l’époque qui appelle à une plus grande exemplarité des élus et à une sacralisation de la République comme rempart face aux dogmes et aux passions tristes.
Trump a fait vaciller l’Amérique, mais elle a généré en trois siècles les moyens de résister à un coup d’Etat d’une foule excitée sur internet par un Président qui refuse de reconnaître sa défaite. La démocratie peut mourir. Elle tient à un fil : celui, nous rappelle Souleymane Bachir Diagne, de la confiance qu’on peut accorder à nos institutions.
2 Comments
IL était une fois, Donald Trump un démocrate alors, claimant urbi et orbi qu’il était facile en tant que républicain, maintenant, d’être élu president. Parce que les républicains sont « stupides » et ils croient à tout ce qu’on leur raconte.
Ce mec a commis l’erreur de se préswnter et de devenir une figure publique, car toutes ses malversations mafieuses sont mises à nue. Il n’a aucun caractère qui ferait de lui un homme publique; tout est business pour lui et par lui. » l’interet publique ne l’interesse aucunement.
Très belle analyse qui pose une question simple: que valent des Institutions fortes si elles ne sont pas animées par des hommes forts?