Dans le paquet de réformes modifiant le Code pénal et le Code de procédure pénale, voté ce 25 juin, deux dispositions me posent un problème philosophique. Les nouveaux articles 45-1 et 238 portent les germes d’une restriction des libertés fondamentales qui, pour moi, sont sacrées (dire que ces dispositions existent depuis 2007 ou 2016 ne les rend pas moins problématiques à mes yeux). Les Ong Amnesty international, Article 19, Lsdh et Raddho ont appelé à un débat avant la promulgation du texte qui pourrait, selon elles, «remettre en cause le droit à la manifestation et de façon générale la liberté d’expression».
Tout gouvernement a la tentation de restreindre les libertés ; d’où la nécessité d’avoir une opposition, une société civile, une presse et une conscience politique en vue de jouer le rôle de contre-pouvoir et imposer des mesures allant dans le sens de renforcer les libertés.
Ces libertés publiques, pourvu qu’elles sortent du cadre électoral, n’intéressent pas grand monde. Nous n’avons pas beaucoup de progressistes dans l’espace public, et souvent les positions épousent les préoccupations partisanes plus qu’elles ne sont mues par une vision transformatrice de la société. Cela fait qu’en matière de liberté publique nous sommes très en retard, car dans sa quasi-intégralité, la classe politique a une vision conservatrice de la société ; et figurent même en son sein les pires fossoyeurs des libertés publiques.
Il faudrait que les écuyers de la démocratie défendent toutes les libertés.
Depuis 2016, une personne suspectée de terrorisme peut être gardée à vue douze jours sans que cela ne choque aucun élu de la Nation.
Vendredi, pendant que politiques et activistes s’enhardissaient sur un projet dont pas grand monde ne comprenait grand-chose, deux jeunes danseurs étaient jetés en prison pour une bouffonnerie qui choque l’hygiénisme national. Jamra, officine rétrograde et tendancieuse, régit de plus en plus la liberté des citoyens.
Quelques faits pour rappeler le rapport problématique de notre pays aux libertés publiques. Une chanteuse a été embastillée pour une vidéo jugée sexy, des livres d’universitaires et d’intellectuels ont été censurés, une fois à l’initiative d’un ancien Premier ministre allié aux bigots de Jamra.
Idrissa Seck a passé sept mois à Rebeus, car tel était le bon vouloir de Abdoulaye Wade.
Tout un pays saluait l’arrestation de Karim Wade, car c’était «une demande sociale». La justice ne se rend pas au nom de la demande sociale, elle est le dernier rempart des faibles face à la furie des puissants, l’armure du Peuple contre l’absolutisme. Il est facile aujourd’hui, par démagogie, de faire de Karim Wade un outil de propagande politique. Mais qui l’a défendu à l’époque ?
Nous vivons dans un pays où il est trop facile de priver un citoyen de sa liberté. Ce, avec une inquiétante désinvolture. La classe politique s’émeut-elle assez des interminables détentions préventives ? Qui dénonce la torture systématique dans les lieux de privation de liberté ?
Une élite politique qui ne dit mot sur le phénomène des enfants talibés n’a aucune leçon de défense des libertés à donner.
Qui défend les femmes victimes de viol réclamant en vain justice ? Au contraire, quand Adji Sarr a dit avoir été violée, la moitié de la classe politique l’a condamnée pour mensonge et conspiration, verdict entériné par la société civile, dont des mouvements féministes. Et les mêmes viennent se dresser en parangons de la liberté…
Qui dans la presse s’est érigé contre la manière expéditive dont a été traité Adama Gaye ? Les noms Oumar Sankharé et Tamsir Ndiaye Jupiter, tués socialement, avant de mourir dans la solitude et la déchéance, hanteront longtemps ceux qui se sont acharnés sur eux, car quel que soit le reproche qu’on lui fait, on ne doit pas nier à un individu son humanité.
Le Sénégal n’est une dictature malgré les exagérations de l’opposition, mais c’est un pays qui a un arsenal répressif trop sévère. Au 21ème siècle, nous vivons dans un pays où le délit d’offense au chef de l’Etat existe, où les juges ont autorité sur la qualification de ce que doivent être les bonnes mœurs, où existe un tribunal d’exception qui n’offre pas la possibilité de faire appel.
La liberté que beaucoup défendent est sélective. Elle n’est souvent mue que par la matière électorale, car l’élection permet aux politiciens d’accéder aux privilèges et à une société civile de continuer de vivre de la rente de la tension.
Il est âpre de défendre la liberté, car son exercice peut heurter nos intérêts, nos sensibilités et nos convictions politiques et personnelles, mais avons-nous seulement le choix ? Etre républicain, c’est sortir de son être, oublier son idiosyncrasie, pour voir dans chaque citoyen son semblable.
Par Hamidou ANNE