Par Hamidou ANNE

– Suivre les débats à l’Assemblée nationale requiert une large surface de tolérance, tellement les adultes qui y siègent semblent peu soucieux de la qualité des discussions. Les provocations, injures et coups de poing, qui sont le lot de nombreux Parlements, ne me choquent pas. La confrontation parlementaire est par essence tendue, nul besoin d’en faire une spécificité nationale. Ce qui change ailleurs sans doute, c’est la maîtrise des textes de loi dont font preuve les députés entre deux chahuts. Représenter le Peuple est une dignité qui n’est pas donnée à tout le monde ; cette dignité se mérite et exige une responsabilité dans le travail parlementaire qui n’est pas toujours observée chez nos «honorables» députés.
On pointe souvent les personnes qui arrivent au Parlement sans compétence ni métier, par la seule volonté du parti majoritaire. Mais je désapprouve la «barrière à l’entrée» qu’invoquent certains relativement à un niveau académique nécessaire pour être député. Il n’est pas dit que les diplômés sont plus honnêtes ou plus intelligents que ceux qui ne le sont pas. Il suffit d’observer les pratiques des élites pour s’en convaincre. Aussi, l’Assemblée est l’émanation du Peuple souverain, sa représentation, qui doit ainsi refléter toutes les composantes de la Nation. Tout électeur sénégalais a droit à être élu. La démocratie n’est pas la chasse gardée des universitaires ou des cadres, mais la propriété aussi des ouvriers, des paysans, des artisans et des sans-emplois. Le problème principal de notre Parlement se trouve dans la faillite de la mission de représentation du Peuple sénégalais. A chaque vote d’une loi politiquement sensible, nous observons les attributs de cette démocratie où les élus votent des lois importantes dans le secret le plus absolu. Ni le gouvernement dont les projets de loi relèvent de la politique ni les élus n’informent ceux qui délèguent le pouvoir afin de décider en leur nom.
Visiter le site internet de l’Assemblée nationale prouve que l’on y est encore à l’ère du paléolithique s’agissant du devoir d’informer les citoyens sur ce qu’on décide en leur nom et qui doit régir leur vie. C’est un déni de démocratie, une violation du pacte moral qui lie les élus aux citoyens dans un pays qui s’honore d’être une des plus grandes démocraties africaines.
Les majorités parlementaires se succèdent et perpétuent l’allégeance du pouvoir législatif à l’exécutif. Depuis 1960, les députés du parti au pouvoir violent le principe sacré de la séparation des pouvoirs. Certains avec plus d’exubérance que d’autres.
La majorité s’honore d’être le relais de la volonté de l’Exécutif. Elle ne prend aucune initiative et se contente d’approuver les directives du gouvernement. Les parlementaires de la majorité, hormis quelques rares exceptions, ne lisent pas les textes, se vantent de leur inféodation à l’Exécutif et ne produisent aucune réforme d’envergure au bénéfice de leurs mandants. C’est la philosophie de la représentation qui est dévoyée au profit d’une appartenance partisane primaire ; d’où la nécessité de saluer le travail de parlementaires de Benno bokk yaakaar comme Théodore Monteil, dont le sérieux, la mesure et le sens de l’Etat honorent l’institution. Monteil rappelle, chaque fois que de besoin, qu’il n’a pas de mandat impératif en tant qu’élu du Peuple sénégalais.
Tout cela renforce mon scepticisme au sujet de l’instauration d’un régime parlementaire dont le cœur serait l’Assemblée nationale. Même la Cnri, dans son rapport, avait qualifié le débat sur la nature du régime de «simpliste», lui préférant «la séparation et l’équilibre des pouvoirs». Le régime parlementaire peut générer une forme d’instabilité chronique à l’image d’Israël ou de l’Italie, où les élections, par les changements fréquents de majorité, mobilisent trop souvent les citoyens. Le Sénégal, démocratie chancelante, a besoin de stabilité politique. Un pays pauvre n’a pas les moyens d’organiser tous les ans une élection qui serait le résultat de combines politiciennes. D’ailleurs, c’est son instabilité, avec un fiasco théâtral, qui a mis fin à la IVème République en France et permis l’instauration de la Vème en 1958. La crise de 1962 au Sénégal trouve aussi son explication dans la nature du régime de l’époque. La Vème République est loin d’être parfaite, mais à sa naissance, elle avait pour but d’ériger un système stable où le Président s’élève au-dessus des partis pour être chef de l’Etat et garant de l’unité nationale. La pratique est tout autre ici, avec les pouvoirs exorbitants dont dispose le président de la République. Malgré tout, après avoir suivi huit heures de débat au Parlement, je ne suis pas sûr de vouloir confier le destin du pays aux députés qui ne lisent pas les textes qu’ils sont appelés à voter.