Mais pourquoi un artiste créerait-il pour ne pas être «lu» ? Pourquoi cet artiste, de près de 80 ans (longue vie et santé de fer), a-t-il appelé son musée «Fuddu» ? Sa réponse : «Buur mën na tere nit ñi lu ne, ba mu des fuddu» (Un souverain peut tout interdire à ses administrés, excepté de s’étirer). Eloge de la liberté !
Dans l’antre du musée
L’artiste de Dagana, tel De Vinci, cache-t-il quelque chose ? Met-il volontairement en avant une identité polémiste sur la Joconde pour «fermer à clef» son immense création de fer, de bois, de couleurs et de mots ? Oui, suis-je tenté de répondre. Pourquoi empêcher les visiteurs, avec ce discours passionné sur la Joconde, d’accéder au corps et au cœur du musée ? Luxuriante végétation que nourrissent le fer et le bois qui portent les œuvres ? Sa série audacieuse sur un répertoire de sagesses (proverbes philosophiques) wolof dévoile un stratagème subtil, où les clés de l’interprétation résident dans la familiarité avec une tradition (il appelle ça «enracinement») qu’il veut passer au monde («ouverture», dira-t-il). D’une écriture «propre», il pose son pinceau sur un support en métal finement taillé et presque divinement admiratif ! Un arrière-plan, autrefois élément secondaire, devient la toile de fond énigmatique. Peut-être est-ce ça qui le lie si curieusement à Léonard de Vinci ? Un art qui s’inscrit dans une époque d’innocence retrouvée, rappelant le raffinement et la sobriété du monde à travers les yeux de la sagesse. L’œuvre de Léonard de Vinci a longtemps causé des interprétations mystérieuses. Certains reconnaissent que De Vinci aurait crypté des messages secrets dans son chef-d’œuvre. Aïdara poursuit cette tradition de dissimulation conceptuelle, mais de manière unique. Il incarne une philosophie où chaque élément de sa composition révèle un puzzle complexe, résonnant avec des couches de significations. Quelques années auparavant, comme la critique Rokhaya Guèye, je serais aussi tenté de dire «c’est kitch tout ça !». Mais ça, c’était avant. Quand nous observions tout avec les yeux et le cerveau de «l’école occidentale». Parce que dans l’univers infini de l’art contemporain, émergent parfois des artistes dont la créativité transcende les limites de la perception.
Aadi Kumba Aïdara, artiste énigmatique, offre un regard inédit sur l’art qu’il voit comme «un assemblage d’idées et de choses formant un rassemblement plus ou moins perceptible par l’esprit et les sens, selon ce que l’on est». Ne me demandez pas de traduire. Enigmatique ai-je déjà dit non ? L’immense cour du musée est un antre de bien-être ! Thérapeutique ! Une forêt de sculptures. Des formes, apparemment anodines, lisses d’intelligence, sur lesquelles Aïdara matérialise ses verbes et proverbes. Sur chacune d’elles, un reflet de la complexité de la vie et de la poésie de la dissimulation. Portant toute une part du pouvoir du rêve et de l’imagination. Concilier l’étrange et la tranquillité, c’est ce que réalise Aïdara dans chaque pièce. Il incarne le monde du point de vue de la sagesse, nous rappelant que dans un monde en agitation perpétuelle, la sobriété est une vertu rare. Ses structures en fer forment une métaphore de la complexité humaine, où chaque cas représente un fragment de la conscience collective. Sa poétique de la dissimulation embrasse l’idée que l’art peut être à la fois provocateur et apaisant, évoquant cet air divin des échappées. L’œuvre de Aadi Kumba Aïdara est une méditation sur les mystères de l’existence, une tentative de capturer l’éphémère et de cristalliser l’intangible. Ici à Dagana, pays de ses premiers souvenirs, Aïdara trouve l’inspiration pour transcender le réel et créer un espace où l’énigme et la clarté coexistent. Sa vision unique de l’art en tant qu’assemblage de cas, de proverbes sénégalais et de symbolisme, révèle des vérités enfouies au cœur de la perception humaine.
Pourquoi Aadi Kumba raconte-t-il l’histoire de la Joconde ?
Il nous invite à voir au-delà de la surface, à décrypter les clefs dans les formes de son art, et à rejoindre un voyage où le mystère et la signification fusionnent harmonieusement. Une véritable célébration du pouvoir de l’art, où les énigmes et les émotions se mêlent pour créer une expérience visuelle et intellectuelle agréable.
Ps : Ce séjour à Dagana et cette rencontre avec l’artiste ont été rendus possibles grâce au Dialawaly Festival qui célébrait sa 5e édition du 11 au 13 août 2023.
Oumar Sall,
Auteur / Critique
Startup Studio Nelam