Gouverneur de la région de Tawa au Niger, Issa Moussa parle dans cet entretien, accordé en marge de la dernière journée de la Conférence régionale «Médias et voix de la migration en Afrique de l’Ouest et du Centre», organisée par l’Unesco à Niamey, la situation des médias africains, la nécessité pour les Etats de renforcer le pouvoir des médias pour déconstruire les discours reçus d’ailleurs, pour reconstruire l’information à notre image. Il met le curseur entre autres, sur l’importance des médias à valoriser davantage les niches porteuses, notamment l’agriculture et l’élevage, mais aussi la nécessité des Etats d’oublier leurs intérêts pour faire de la libre circulation une réalité africaine.Par Pape Moussa DIALLO (De retour de Niamey) – Les Etats doivent aider les médias à devenir forts pour déconstruire le discours reçu

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion justement de me prononcer sur ce que je pense de cette Conférence régionale qui nous a réunis à Niamey. Cette conférence nous a parlé des rapports entre migrations et médias. En d’autres termes, quel rôle doit jouer les médias dans la gestion de la migration en Afrique de l’Ouest et du Centre, de façon générale en Afrique. Nous avons fait l’état des lieux. Cela nous a permis de nous rendre compte que le discours que nous donnent nos médias en lien avec la migration, est un discours importé. Qu’on nous fait avaler ? Il s’agit dès lors de reconstruire le discours pour le construire à notre image, à partir de notre réalité. Reconstruire ce discours, c’est d’abord créer les entreprises de médias qui sont capables de s’assumer. Un média, pour pouvoir être autonome, a besoin d’un certain nombre de choses. Quand vous voyez nos entreprises de presse, si elles n’appartiennent pas à l’Etat et même quand elles appartiennent à l’Etat, sont très faibles. Vous le voyez à travers leurs équipements et même le traitement des agents. Tout cela démontre la faiblesse dans laquelle se trouvent nos médias. Or, placés dans des conditions pareilles, ces médias sont exposés à l’argent de l’autre qui lui impose son discours contre nous.
Se concentrer sur la promotion et la valorisation de nos ressources
Je pense qu’en tant qu’Afri­cains, nous devons nous assumer et préparer notre jeunesse, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, c’est à elle de rester chez elle. Nous avons des secteurs qui ne sont pas totalement épuisés. L’agriculteur a beaucoup d’opportunités. L’élevage, si je prends l’exemple du Sénégal, sachant qu’on est tous des pays sahéliens. Ces deux secteurs offrent beaucoup de potentialités créatrices de revenus, donc d’emplois. Les Etats doivent s’organiser afin de doter des moyens suffisants pour la transformation de ces deux secteurs-clefs et d’offrir des perspectives aux jeunes afin qu’ils ne soient pas tentés par l’ail­leurs. En outre, une telle approche va nous permettre de bâtir notre re-fondement à partir de nous-mêmes. Ce sont eux qui viendront nous chercher si jamais nous nous assumons par rapport à cela. Faisons-en sorte que nos pays donnent plus d’importance aux secteurs de l’agriculture et de l’élevage. Dans cette quête de soi, le rôle des médias serait de faire la promotion de ces secteurs porteurs en donnant toute la noblesse à ces secteurs valorisant. Si on combine les deux d’ici à quel­ques années, on aura changé la donne. Nous aurons moins de retours, moins de frustrations et nous serons sollicités maintenant. On va réinstaller notre souveraineté qui est en train d’être perdue à travers un certain nombre de comportements.
La Cedeao des peuples doit primer sur la Cedeao des Etats ?
Il y a du travail à faire à ce niveau. Vous savez, j’ai entendu des gens incriminer le Niger d’avoir violé un certain nombre de dispositions du protocole de la Cedeao sur la libre circulation des personnes et leurs biens. C’est là le hic. L’histoire a fait que nous sommes des continents. Des pays qui appartiennent à des continents. Des pays qui se regroupent par affinité. Si nous prenons l’Afrique, il y a la Cedeao, la Ceeac, etc. Si nous prenons l’exemple de la Cedeao, c’est autour d’un idéal commun et pour faire face à des problèmes spécifiques communs que les Etats ont pensé se regrouper au sein de cet espace. Malheureusement, il se trouve que même en tant que commun, en élaborant des lois dans le cadre de cette communauté, il y a la notion d’Etat qui prime.
Chaque Etat regarde ses intérêts. Même si elle ne fait pas partie de la Cedeao, on a vu l’Algérie refouler des Sahéliens dans de très mauvaises conditions. Il y a quelques années, le Nigeria a fermé ses frontières pendant presque deux ans. On lui a dit que ce n’était pas normal. Mais, il s’est tu parce qu’il sait qu’il est très fort pour le faire. Donc, au-delà des lois communautaires, chacun agit en fonction de ses intérêts ponctuellement, en des circonstances précises. C’est tout ça qui pose problème. La notion d’Etat y est puisque chacun est redevable envers sa population. Ce sont des facteurs bloquants qui limitent tous les efforts de ces regroupements au niveau du continent pour aller vers des objectifs véritablement communs. On est la Cedeao des Etats, l’Afri­que des Etats et chacun voit les choses sous le prisme de l’Etat, en fonction de ses intérêts.