Troisième mandat : Quand deux machiavélistes de Macky s’invitent au débat

Deux braves guerriers du Palais nous ont dit dans un article intitulé De quoi Ibrahima Scène est le nom, être prêts à verser leur sang et à mourir pour le troisième mandat. Le Président lui-même a dû en rire car en cas de manifestations de rue sanglantes, je crains que ces petits bourgeois ne nous feront même pas l’honneur ne serait-ce que de sortir pour détaler ensuite comme des lapins ; ils vont préférer simplement, comme à leurs habitudes, se terrer dans leur trou.
En les lisant, on comprend mieux maintenant Ismaïla M. Fall dans Jury Du Dimanche de Ibra M. Kane, quand il disait ne connaître qu’un seul type de coup d’Etat, celui militaire : le camp présidentiel a apparemment décidé de légaliser le coup d’Etat constitutionnel couvert du manteau de l’éthique de responsabilité, qui serait meilleur que le chaos qui pourrait naître d’un pays entre les mains inexpertes «d’irresponsables profanes». Ce sera Macky, l’unique, et personne d’autre, quelles qu’en soient les conséquences, oubliant que «les cimetières sont pleins de gens irremplaçables qui ont tous été remplacés». (Georges Clémenceau)
Ils évoquent Marx Weber pour dévoyer et dénaturer ses concepts, à l’image de leurs attitudes avec les lois constitutionnelles qu’ils travestissent. L’éthique de conviction n’est ni partisane ni partiale, elle est simplement de valeur, à la différence de celle de responsabilité, qui est de finalité. Elle veut seulement que nos actions soient en cohérence avec une conviction, conformément à la pensée de feu Abdou Lahat Mbacké, Khalife général des Mourides : «Est noble celui dont les actes d’aujourd’hui correspondent aux paroles d’hier.»
L’idée que vous défendez est claire : l’éthique de responsabilité au-dessus de l’éthique de conviction, autrement dit primauté de la fin sur les valeurs, toutes les armes sont bonnes pour atteindre son but, la fin justifie les moyens : les valeurs peuvent être trahies, les règles de Droit transgressées, nos scrupules et considérations éthiques sacrifiés sur l’autel de l’égoïsme, de la rapacité, du cynisme, des positions et des intérêts partisans. Prééminence de la ruse, la fourberie, la manipulation et l’hypocrisie sur la droiture, la sincérité, la bonne foi, l’honnêteté et la noblesse. Dictature ou despotisme, peu importe, seul le succès compte.
Ce n’est ni plus ni moins que la philosophie politique de Machiavel : conquérir et conserver le pouvoir par tous les moyens pour «préserver» la société, quitte à enfreindre les valeurs, les règles de démocratie et les droits humains, à même procéder à des liquidations physiques pour frapper fort et décourager toute opposition à l’autorité. Votre allié, Ibrahima Sène, qui a commis un crime de lèse-majesté, en a payé le prix. Transformé en cobaye de laboratoire, il est psychanalysé, diagnostiqué malade de schizophrénie et de panophobie, condamné à mort, conduit à l’échafaud et exécuté sur la place publique pour qu’aucun contestataire n’en ignore. Lui et son parti, le Pit, en tireront les conséquences. Depuis plus de trente ans, sous prétexte de «sauver» le pays de catastrophes, ils théorisent l’entrisme et la gouvernance élargie, s’acoquinent avec les différents régimes survenus, fragilisant ainsi la Gauche qu’ils ont crû incapable de conduire seule les transformations sociales qualitatives souhaitées.
Seulement, vous n’avez pas la majorité que vous proclamez. Les résultats définitifs des dernières élections législatives de juillet 2022 publiés par le Conseil constitutionnel donnent à la Coalition Benno bokk yaakaar (Bby) 1 518 137 voix sur un total de suffrages exprimés de 3 260 886, soit un pourcentage de 46,6%. En retenant une marge d’écart de plus ou moins 1 point de pourcentage, on peut considérer que côté électorat, le Président se situe aujourd’hui toutes choses égales par ailleurs, dans la fourchette de 45,6% à 47,6%, synonyme d’un second tour qui n’a pas encore réussi dans notre pays à un Président sortant.
Et en voulant imposer coûte que coûte sa candidature, vous braquez le Peuple contre lui en le poussant à former un bloc autour d’un «tout sauf Macky», qui crée le triple risque d’abord de faire dégringoler davantage sa cote de popularité, ensuite d’anéantir votre rêve de régner pendant 50 ans et enfin d’installer au pinacle un Président par défaut dont l’élection peu réfléchie peut être source de tous les dangers. Dès lors, il n’est même pas stratégiquement intelligent pour Bby de porter son choix sur lui en 2024, à moins de vouloir sa perte. «Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ; mieux vaudrait un sage ennemi» (Jean de La Fontaine). Maître Abdoulaye Wade, alors Président, s’était plaint dans une citation similaire, des sorties incontrôlées d’un de ses affidés, souvent maladroites et désastreuses, qui nuisaient plus qu’elles ne servaient.
Depuis quelque temps, les membres de la famille du Prince sortent un à un ou par petites vagues, tâtent le pouls, jettent leur ballon de sonde, mais vont bientôt, si on n’y prend pas garde, envahir la cité et propager la peste comme les rats d’égouts. La violation des règles démocratiques et le coup d’Etat constitutionnel qu’ils préparent sont bien «un potentiel détonateur de meurtres et de morts». Ils sont déjà parvenus à installer la panique dans une bonne frange de la population qui, par peur de bain de sang, s’est dit prête à accepter un éventuel forfait en espérant montrer son désaccord dans les urnes. C’est déjà un début de succès pour eux.
Ils méritent d’être débusqués, traqués et neutralisés avant qu’il ne soit trop tard. De responsabilité et de conviction, ils n’en montrent pas encore dans leurs textes où n’apparaissent que l’opportunisme et la perfidie. Vivons et militons pour l’éthique tout court, en tant qu’ensemble des règles morales que tout le personnel politique doit épouser en vue d’œuvrer pour la stabilité, la cohésion et le progrès de la société.
Abdoulaye BADIANE
abadja2@yahoo.fr