Alors que la ville de Washington affiche le calme des vieilles troupes avant l’investiture de Donald Trump le 20 janvier prochain, le Président-élu, par ses déclarations spectaculaires durant la période transitoire, a déjà modifié bien des lignes géopolitiques.

Le nouvel impérialisme américain
Sur le front du Moyen-Orient, Benyamin Netanyahu, fort de sa proximité avec Donald Trump et profitant de la nouvelle donne syrienne, accélère, dévoilant sa volonté de redessiner le Moyen-Orient à sa main. L’Ukrainien, Volodymyr Zelensky, multiplie les gestes pour s’attirer les bonnes grâces du nouveau locataire de la Maison-Blanche. Alors qu’ils s’attendaient à réagir à une hausse des droits de douane, promesse de campagne du candidat Trump, les Européens semblent frappés de stupeur en découvrant ses nouvelles intentions, exprimées lors d’une conférence de presse, le 7 janvier dernier, depuis sa résidence de Mar-a-Lago en Floride, de prendre le contrôle du Groenland, territoire de l’allié danois, du canal de Panama et même du Canada, laissant découvrir que «America First» pouvait aussi prendre la forme d’un impérialisme plutôt qu’un isolationnisme, et que ses voisins directs et alliés de l’Otan pouvaient en être les premières cibles.
Etrangement, Chinois et Russes affichent un silence prudent, sans doute tactique.

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Une impitoyable guerre commerciale

Derrière chacun de ces mouvements, il y a moins une volonté de domination militaire qu’une motivation commerciale. Redonner à l’Amérique sa puissance économique reste la priorité de Donald Trump. Dans cette impitoyable lutte, la Chine et la Russie sont les cibles privilégiées. Ainsi, selon Donald Trump, le canal de Panama, sous le contrôle du Panama depuis 1999, est tombé, dans les faits, sous celui de la Chine qui y appliquerait des droits de péage dissuasifs pour les navires américains. Il est vrai que la Chine a fait une sérieuse incursion dans l’«arrière-cour» américain qu’est l’Amérique latine. Dans un article du 14 novembre dernier, le Wall Street Journal renseignait ainsi qu’à l’exception du Mexique et de la Colombie, la Chine a même remplacé les Etats-Unis comme partenaire commercial principal de toutes les économies d’Amérique latine, y finançant la plupart de nouvelles infrastructures, à l’instar du megaport de Chancay au Pérou.

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La stupeur des Européens

De même, si «les Etats-Unis d’Amérique estiment que la propriété et le contrôle du Groenland sont une nécessité absolue», c’est que le Groenland doit permettre d’engager plus efficacement la compétition avec la Russie dont les manœuvres dans l’Arctique menacent la sécurité nationale des Etats-Unis, sans parler des ressources en hydrocarbures et métaux rares qui s’y trouvent. La rhétorique commerciale du Président américain fait fi de ses alliés puisque le Groenland est européen et otanien, et qu’elle s’étend jusqu’au Canada, vieil allié avec qui la balance commerciale américaine est déficitaire sur des secteurs considérés-clés comme les véhicules, les produits laitiers ou le bois, et dont Donald Trump veut faire le 51ème Etat américain.

Un agenda africain chargé

Encore sous les radars trumpiens, l’Afrique commerciale devrait se rappeler bientôt au souvenir de l’agenda américain, puisqu’en 2025 et 2026, les principaux outils commerciaux américains vis-à-vis de l’Afrique -l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), Development Finance Corporation (Dfc) et Eximbank-, doivent faire l’objet de discussions pour leur renouvellement par le Congrès.

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Trump va-t-il transposer en Afrique son approche désinhibée des relations internationales ? Une approche offensive pourrait conduire la nouvelle administration à «armer» ces instruments contre les pays «récalcitrants» aux priorités américaines, qu’elles soient économiques (vis-à-vis de la Chine sur la question des minerais stratégiques) ou politiques (Israël). Fondée ou non, il n’est pas sûr qu’une telle attitude soit bien reçue du côté africain, ou même qu’elle soit dans l’intérêt des Etats-Unis.

L’heure de vérité
Sur le plan commercial, le bilan des principaux outils commerciaux américains devrait sans doute peser dans les discussions de renouvellement, alors que le Kenya, l’Afrique du Sud et le Nigeria restent les partenaires privilégiés des entreprises américaines. A l’origine de la création de Prosper Africa, la plateforme commune des agences de développement opérant en Afrique, le Président Trump devrait la conforter. Le sort financier de l’Usaid, la plus grande agence de développement au monde, reste incertain sous une administration Trump, tant elle est tirée par des motivations plus humanitaires qu’économiques. Dans le domaine énergétique, comme l’écrit l’expert de Georgetown University, Ken Opalo, selon lequel l’Afrique abrite 40% des découvertes de gaz dans le monde entre 2010 et 2020, la politique énergétique de Trump peut être une chance pour l’Afrique d’obtenir de Washington la reconnaissance du gaz naturel comme énergie de transition et libérer les capacités de production africaines si nécessaires à l’accès à l’électricité pour les populations et à la libération du potentiel de croissance économique en Afrique. Un tel changement requerra de modifier la feuille de route d’agences telles que Dfc.

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Surtout, dans un contexte de tensions à venir avec la Chine, la Russie, l’Europe et les voisins américains immédiats, l’Administration Trump n’a aucun intérêt à malmener les Africains dont, selon les données les plus récentes du Fonds monétaire international, les économies enregistreront en 2025 les taux de croissance les plus rapides du monde. 44 pays africains connaîtront une croissance supérieure à la moyenne mondiale (3,2%), parmi lesquels la Côte d’Ivoire, la Tanzanie, le Sénégal, le Bénin et le Rwanda. La Chine ne s’y trompe pas, son ministre des Affaires étrangères venant d’achever sa traditionnelle tournée africaine de début d’année avec le Tchad, le Congo, la Namibie et le Nigeria.

Par Rama YADE

Directrice Afrique – Atlantic Council