Par Ousmane SOW –

La Tunisie va-t-elle changer de visage ? Cela faisait huit semaines que les Tunisiens attendaient la feuille de route de leur Président mais quel­ques détails leur ont été donnés, en partie, mercredi soir. Kaïs Saïed a pris ce mercredi 22 septembre, des dispositions qui s’inscrivent dans la droite ligne de son coup de force du 25 juillet dernier. Celles-ci renforcent encore davantage son pouvoir. Elles renforcent en outre les inquiétudes pour la pérennité de la démocratie en Tunisie, seul pays à avoir réussi sa transition démocratique après le Printemps arabe dont il fut le berceau en 2011. «Les textes législatifs sont pris sous forme de décrets-lois et promulgués par le président de la Répu­blique», stipule l’un des articles décidés par Kaïs Saïed et publiés dans le Journal officiel. Le texte énonce aussi que «le Président exerce le pouvoir exécutif avec l’aide d’un Conseil des ministres, dirigé par un chef du gouvernement». Le 25 juillet, Kaïs Saïed, 63 ans, s’est arrogé les pleins pouvoirs en limogeant le gouvernement et en suspendant le Parlement dans lequel Ennahdha, sa bête noire, jouait un rôle pivot.
«Le gouvernement est responsable de ses actes de­vant le président de la Répu­blique», précise encore le texte. Dans le système en place régi par la Constitution de 2014 que Kaïs Saïed souhaite amender, l’essentiel du pouvoir exécutif est aux mains du gouvernement et les mesures annoncées mercredi font clairement pencher la balance du côté de la Prési­dence. Pour rappel, Kaïs Saïed avait prolongé ces mesures le 24 août «jusqu’à nouvel or­dre». Cependant, bon nombre de Tunisiens avaient ac­cueilli ces mesures avec «en­thousiasme» car, «exaspérés» par leur classe politique, ils at­ten­daient des actes forts contre la corruption et l’impunité dans un pays en graves difficultés sociales et économiques. Mais opposants, partis politiques, magistrats et avocats avaient dit craindre une «dérive autoritaire». Par ailleurs, Kaïs Saïed avait an­noncé mercredi la poursuite du «gel du Parlement» et la promulgation de «mesures exceptionnelles» pour «l’exercice du pouvoir législatif» et «l’exercice du pouvoir exécutif», qui font l’objet de deux chapitres de la Constitution, désormais sus­pendus de facto. Pour souligner le caractère transitoire de ces décisions, le décret présidentiel ajoute que Kaïs Saïed «entreprend la préparation des projets d’amendement relatifs aux réformes politiques avec l’assistance d’une commission qui sera organisée par arrêté présidentiel».

«Le pouvoir d’un seul homme»
«Ce 22 septembre, la Tunisie a fait la transition d’un pouvoir démocratique vers le pouvoir d’un seul homme», a réagi sur Facebook, Samir Dilou, un dirigeant d’Ennahdha. Un autre responsable du parti, Mohammad Al-Goumani, a accusé Kaïs Saïed de «mettre en place une nouvelle constitution abrégée, se retournant ainsi contre celle de 2014 sur laquelle il avait prêté serment». Selon lui, Kaïs Saïed entraîne la Tunisie vers une zone à hauts risques. «Ces projets de révision doivent avoir pour objectif l’établissement d’un véritable régime démocratique dans lequel le Peuple est effectivement le titulaire de la souveraineté et la source des pouvoirs qu’il exerce à travers des représentants élus ou par voie de référendum», affirme le théoricien du droit, Kaïs Saïed, dans l’un des décrets. Agir «au nom de la volonté du Peuple» est devenu un mantra pour Kaïs Saied qui semble confiant de bénéficier de suffisamment de soutien populaire pour profondément modifier le système en place. Lundi, depuis Sidi Bouzid, berceau de la révolution de 2011, le Président a annoncé la prochaine nomination d’un nouveau chef de gouvernement «mais sur la base de mesures transitoires répondant à la volonté du Peuple». Le «décret présidentiel» de mercredi indique «continuer de suspendre toutes les compétences de la Chambre des représentants, de lever l’immunité parlementaire de tous ses membres et de mettre fin aux privilèges accordés au président de la Chambre des représentants et ses membres».