Ucad – Colloque international sur la sociologie au Sénégal : La sociologie sénégalaise entre diagnostic et projection

L’université sénégalaise se remémore les pères fondateurs de la sociologie au Sénégal. L’université, aussi, désire que les travaux desdits pères soient un repère pour aller vers une sociologie sénégalaise. Mémoire et perspective, hommage et poursuite des travaux. Cheikh Anta Diop accueille Assane Seck, Gaston Berger, Cheikh Hamidou Kane, autour d’un «banquet du savoir». Le Colloque international sur la sociologie au Sénégal durera trois jours.Par Moussa SECK –
Des professeurs pénètrent l’auditorium. Kora les accueille, chants leur disent la bienvenue. Pour un de particulier, on se lève. On l’applaudit. Dans l’auditoire, des hommes et femmes qui, aujourd’hui, portent le badge estampillé «participant». Ils se rappellent une soutenance. Tel était le directeur de thèse d’un tel… Ces anciens étudiants qui parlent de leurs anciens enseignants côtoient des novices. Kora, chants, défilé de professeurs, anciens étudiants, nouveaux : un cocktail de particuliers d’un tout, comme sait en rassembler un colloque. Des images et des noms sur des kakémonos s’aperçoivent dans le décor. Abdoulaye Bara Diop, Boubakar Ly, Gora Mbodji, lit-on. Professeurs ! Et voilà des noms qui se confondent à une matière au Sénégal. Sociologie. «Hommage aux pionniers…», lit-on encore, à droite des trois images superposées sur les kakémonos. La matière les honore. Et avec la matière, les pratiquants. Et avec les pratiquants, les apprenants. Et avec la manière : via un Colloque international sur la sociologie au Sénégal. «Enseignement et pratique de la sociologie au Sénégal : trajectoires et défis», le thème. «Une importante rencontre scientifique», «un banquet du savoir», dit le professeur Mbaye Thiam, qui introduit la cérémonie. Banquet de trois jours, à partir de ce 17 octobre 2023.
L’hommage aux premiers qui ont balisé le terrain de la sociologie au Sénégal est une chose. Une autre est d’aller vers l’émergence d’une sociologie sénégalaise. Dr Mouhammadou Mansour Dia explique. «Nous avons la sociologie américaine qui réfléchit sur des réalités spécifiques à des réalités américaines. Il y a (aussi) la société française» et, continue-t-il, «nous pensons qu’il est temps qu’il y ait, non pas une sociologie au Sénégal, mais sénégalaise, qui réfléchit sur des réalités propres à la société sénégalaise». Le colloque, renseigne M. Dia qui en est le président du comité d’organisation, se veut autocritique. «Il est temps de faire un arrêt et de réfléchir sur l’enseignement et la pratique de la sociologie au Sénégal.»
Une association des sociologues sénégalais en perspective
La sociologie est au corps social ce que le médecin est au corps humain. Conviction de l’enseignant-chercheur à l’université numérique Cheikh Hamidou Kane. Conviction appuyée par un constat : immigration irrégulière, le chômage… «Au Sénégal, nous avons une société qui est plus que malade.» Les politiques ? Ces dernières, selon le diagnostic du Dr Dia, apportent normalement la dernière pilule. Diagnostic et prescription d’ordonnance sont des travaux en amont. Faute de quoi, le corps social ne cessera de traîner ses maux. Mille programmes de l’Etat et qui ne sont pas adaptés «parce que simplement, il n’y a pas une étude sociologique au préalable», décrie M. Dia. Ainsi n’y a-t-il donc pas de société qui puisse faire l’économie de la réflexion sociologique, tel qu’annoncé par le professeur Mouhamed Moustapha Dièye, qui dirige le comité scientifique du colloque. Ce, «parce que si nous voulons savoir quelle société nous voulons construire demain, il faudrait bien qu’on s’interroge sur le profil des membres de cette société…».
S’interroger sur les profils, certes ! Mais, déjà, interroger et s’approprier l’existant. Ce dernier point a constitué l’un des axes de l’intervention du professeur Abderahmane Ngaïdé, qui avait en charge la conférence inaugurale. Il a alors évoqué l’idée d’une «sociologie critique de nos intellectuels et de leurs productions pour qu’on puisse donner chance à ceux qui viennent derrière nous pour capter les fulgurances qui existent à l’intérieur des travaux qui ont été publiés». M. Ngaïdé, un historien, parmi les sociologues pour une conférence inaugurale, parce que la sociologie est en elle-même confluence de sciences sociales. Rappel du maître de cérémonie ! Transdisciplinarité, pour le chargé de conférence. Et dans tous les cas, on s’accorde à reconnaître qu’il y a énormément de choses chez «Pa Ly», «Pa Diop», «Pa Mbodj», et qu’il faut redécouvrir.
La cérémonie d’ouverture du colloque a en outre été un moment d’émotion. Se remémorant les pères-repères, les uns ont eu la gorge traversée par une coulée d’émotion. Il a d’ailleurs fallu à certains moments se taire, le temps d’une éternelle seconde, pour écouter le silence de l’auditorium parler, et ainsi laisser les larmes retomber vers le cœur. Sinon, les yeux les auraient fait ruisseler sur les joues…
Les communications qui se feront lors de ce «banquet du savoir» constitueront quant à elles des Actes, consultables une fois écrits aussi bien en physique qu’online.
Une autre annonce faite durant ce premier jour de colloque, est celle de la naissance prochaine d’une association des sociologues sénégalais. Un vœu ! Sociologies des religions, de l’éducation, des migrations, du sport… la palette est large et «on ne peut pas se prononcer sur une spécialité sur laquelle on n’est pas habilité», souligne le président du comité d’organisation pour insister sur la nécessité d’avoir ladite association. Elle permettra, aux médias par exemple, d’avoir des interlocuteurs clairement identifiés pour chaque sujet.