Plus connu et reconnu à l’étranger que sur ses terres natales, El Hadji Omar Tall reste mal connu et peu enseigné chez lui. Les chercheurs en littérature orale invitent aujourd’hui la population à exhumer ses travaux, pour les offrir à une jeunesse africaine en perte de repères.Par Ousmane SOW

– Au Sénégal, on ne peut pas parler de l’islam sans pour autant évoquer El Hadji Omar Tall. Et les historiens sont unanimes à le désigner comme prince du savoir et érudit coranique, adepte de la Sunna doublé d’un soufi et d’un mystique. Et dans un contexte où la jeunesse africaine semble perdre ses repères, des chercheurs en littérature orale sont unanimes à demander que l’on exhume les travaux de El Hadji Omar Tall, pour les montrer à la jeunesse africaine. Hier, lors du 9ème congrès du Réseau euro-africain de recherches sur les épopées (Reare) autour du thème : «Le saint dans l’épique : textes, contextes et mo­des de construction de la figure», les chercheurs du département de Lettres mo­dernes de l’université Chei­kh Anta Diop de Dakar ont célébré El Hadji Omar Tall, un personnage incontournable qui a été peint sous les traits d’un prophète, d’un prêtre et d’un marabout. Selon le professeur Amadou Ly, El Hadj Omar Tall est à la fois un saint, chose facile à démontrer, et un moine-soldat, même s’il reste mal connu, mal manifesté et peu enseigné. D’après le professeur à la retraite, El Hadji Omar Tall est un véritable empereur qui n’a pas de couronne. «Il a conquis des généraux, mais a été contrarié par un projet politique opposé qui est la colonisation française. Il a été un empereur qui n’eut pas de couronne ni de trône, ces signes extérieurs de la puissance des hommes, mais qui, avec son chapelet et sa natte de prières, soumit des populations entières des pays actuels de l’Afrique de l’Ouest», a soutenu Amadou Ly dont la communication a porté sur le thème : «El Hadji Omar, un saint armé.» Par­tant de là, M. Ly a profité de ce colloque pour inviter les jeunes chercheurs africains dévoués à l’épopée, à prendre en main l’héritage de El Hadj Omar Tall. Le professeur Ly estime que le thème de ce colloque appelle à réfléchir sur la figure du saint au regard de l’épopée et de l’homme sur lequel il dit avoir commis l’imprudence d’axer sa recherche sans l’avoir scientifiquement dé­cou­vert et qui mérite amplement, du point de vue du volet africain, un «traitement spécial».

El Hadji Omar, un personnage complexe
El Hadj Omar, de son vrai nom Omar Saïdou Tall, est né entre 1794 et 1797 à Alwar, près de Guédé dans le département de Podor. «Vénéré par les uns, voué aux gémonies par les autres, plus connu et reconnu à l’étranger que par ses compatriotes et, quoique admis par la plupart des confréries islamiques d’Afrique de l’Ouest comme étant le saint homme qui a allumé le feu des foyers d’apprentissage du Sénégal, en Afrique, celui qui a favorisé l’éclosion de la plupart des actuelles maisons religieuses du Sénégal et de quelques autres pays, il reste mal connu et peu enseigné», déplore le professeur Amadou Ly en dépeignant un «personnage complexe». Et pourtant, dit-il, on trouve un nombre impressionnant d’études consacrées à cet homme. Citant les professeurs Iba Der Thiam et Samba Dieng, Amadou Ly dit que El Hadji Omar fut le premier à tenir un discours anticolonial. «El Hadji Omar, c’est aussi le chef politique djihadiste et stratège militaire, un illustre propagateur de la Tijaniyya en Afrique noire», a-t-il expliqué devant un public attentif. Très en verve, il soutient que El Hadji Omar Tall était un héros, un guerrier qui aimait la paix. «Les rois l’ont provoqué, il n’a pu voulu répondre. Il s’est déplacé pour aller à Dinguiraye. Là aussi, les rois l’ont provoqué. Il n’a pas voulu répondre. On a envoyé des délégations pour le désarmer, ce qui l’aurait mis en situation d’infériorité», a soutenu le professeur Amadou Ly. Avant d’ajouter que la dimension intellectuelle de El Hadj Omar dépasse tout ce que le 19ème siècle africain a connu. «Il n’y a pas en Afrique noire quelqu’un qui ait une dimension intellectuelle et universitaire égale à celle de El Hadj Omar. C’est le Pr Iba Nder Thiam qui le dit», a-t-il fait savoir. Sur la perception que l’on a sur la vie et l’œuvre de El Hadji Omar Tall, le professeur Ly précise que rien qu’un regard extérieur sur la vie de El Hadji Omar Tall suffit à lui conférer un statut spécial dans l’étude de la littérature orale.
Amadou Ly souligne que pour ce colloque, il voulait seulement rallumer la flamme, tisonner le foyer qu’il avait allumé pour révéler aux intellectuels de langue française sa thèse. Pour ce professeur à la retraite de l’université Cheikh Anta Diop, se lancer dans cette aventure de parler de El Hadji Omar Tall a été une manière de prolonger le travail universitaire du défunt professeur Samba Dieng qui a consacré de longues années, avec d’autres professeurs tels que feu Bassirou Dieng, Amade Faye, Cheikh Sakho et Abdoulaye Keïta, à mieux faire connaître El Hadji Omar Tall.