A coup sûr, il a porté atteinte au contrat social scellé par les Béninois lors de la conférence nationale de 1990 à Cotonou. En effet, en organisant des élections législatives au seul profit d’un parti unique bicéphale à son entière dévotion, le Président Patrice Talon s’est attribué les pleins pouvoirs à la tête de l’Etat. Cela, au prix du reniement des droits civiques des Béninois qu’il n’a pas hésité à confisquer, sans autre forme de procès.
Et pourtant, le modèle démocratique qui a permis au Président béninois d’accéder à la tête de son pays portait la marque de la négociation, du consensus ; loin de ce tumulte que son magistère a engendré ces derniers jours, et qui a fini par sonner le glas du compromis historique de février 1990.
Il faut oser le dire : avec Talon, la République est non au service des citoyens, mais au service des seules affaires du Président. Rappelons-le, cet homme est depuis plusieurs décennies l’incarnation de l’économie nationale béninoise qui contrôle la majeure partie des industries cotonnières ainsi que le port de Cotonou.
Avec son accession à la Présidence de son pays, Talon ajoute du pouvoir à son pouvoir, en contrôlant la totalité des trois instances qui fondent la souveraineté et la puissance étatique : l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire. Et à cela s’ajoute le contrôle de l’essentiel des médias locaux de son pays.
Des pouvoirs aussi considérables que sa fortune
Si en 2016 la presse avait ourdi la théorie du complot, avec notamment l’accusation d’empoisonnement portée sur la personne du Président contre Yayi Boni qui était alors la victime, il faut admettre que trois ans après l’événement, personne n’incarne autant la théorie du complot que l’actuel Président béninois. Talon renverse un gouvernement, ourdit un plan pour gouverner seul en remplaçant la majorité du Peuple électeur par ses propres affidés, au mépris de toute légalité démocratique. A croire que son flair d’homme d’affaires est une malédiction pour sa réputation, car parvenu au pouvoir, il continue toujours à donner l’image d’un spéculateur sans scrupules. «Tout pour le pouvoir», c’est ainsi que son règne semble s’exprimer. En atteste ce retour du phénomène de la peur qu’on lit sur le visage des Béninois, comme au temps de la dictature marxiste – léniniste sous le sceau du Président Mathieu Kérékou, d’il y a quelques décennies.
Dommage pour ce pays, pionnier des conférences nationales en Afrique, et dont l’image est aujourd’hui entachée de violence, avec ces émeutes de Cadjehoun, où des balles réelles ont été tirées sur des manifestants.
Et cette situation est d’autant plus regrettable que le Président observe une sorte de silence coupable que ni la société civile ni l’opposition ne parviennent à comprendre.
En vérité, tout porte à croire que le Président béninois gère son pays comme il gère ses propres affaires. En effet, arrivé au pouvoir à la faveur de cette «rupture» qu’il avait prônée sans relâche, Talon, avec une image de businessman ambitieux et moderne, n’a pas hésité à engager son pays dans un tournant autoritaire, avec des arrestations arbitraires sans cesse dénoncées par Amnesty international, des manifestations réprimées avant le scrutin ; tout cela ponctué par des coupures d’internet le jour du vote. Autant de raisons qui montrent que le Président a durci sa politique. Politique de la crainte plutôt que de l’amour incarné par ce Président dont la politique, de l’avis de ses collaborateurs, a été marquée par sa rencontre avec Paul Kagame. Sauf que Talon n’a pas maîtrisé la leçon princière qu’incarne la présidence de Kagame, et qui voudrait que la crainte soit l’alliée de l’amour dans l’expression du pouvoir. Car, reconnaissons-le, ce qui explique cette sympathie que la majorité des Africains éprouvent pour le Président rwandais, c’est cette exceptionnelle aura dont il jouit, en étant un leader autant respecté que craint chez lui.
Pour l’heure, le Président béninois reste loin derrière Kagame, l’image qu’il incarne étant tristement embarrassante !