Un Dialogue national, pourquoi faire ?

l y a des gestes qui en disent long, et des silences qui crient plus fort que les discours. Ces derniers mois, notre démocratie a été secouée par une série de décisions unilatérales prises sans concertation, sans explication, sans respect pour les principes élémentaires du vivre-ensemble républicain. A l’heure où certains appellent à un «Dialogue national», il est légitime, voire nécessaire, de se demander : à quoi bon ? Pourquoi faire semblant de dialoguer quand la parole de l’autre est systématiquement méprisée ?
Commençons par les faits. La majorité au pouvoir a dissous, sans aucune forme de concertation avec l’opposition, ni débat public, deux institutions majeures : le Haut-conseil des collectivités territoriales (Hcct) et le Conseil économique, social et environnemental (Cese). Qu’on les juge utiles ou non, leur suppression aurait mérité mieux qu’un décret sec ou une promesse électorale. Ne nous parlez pas de promesses électorales dans la mesure où l’appel à candidatures comme l’abrogation de l’amnistie pourraient être invoqués.
Le président de la République avait ensuite promis que son Premier ministre présenterait une Déclaration de politique générale, un exercice démocratique classique qui aurait permis de clarifier l’orientation du gouvernement. Mais à la veille de ce rendez-vous attendu, le chef de l’Etat choisi de dissoudre l’Assemblée nationale. Une manœuvre que rien ne justifie pleinement sur le plan institutionnel, et qui en dit long sur la volonté de contourner les contre-pouvoirs.
Pire encore, dans la plus grande discrétion, le Président consulte le Conseil constitutionnel pour connaître les modalités d’organisation d’élections législatives anticipées, et garde pour lui seul et son camp les conclusions de cette consultation. L’opposition et le Peuple n’ont eu droit à l’information qu’à une dizaine de jours de l’échéance. Le Conseil constitutionnel, censé être un arbitre républicain, voit ainsi sa décision captive d’une seule main : celle du pouvoir. Une confiscation du droit à savoir, un affront à l’esprit démocratique.
Dans ce contexte, comment prendre au sérieux un appel au Dialogue national ? Comment croire à une volonté d’inclusion quand le Premier ministre, lui-même, qualifie l’opposition de «résidus» ? Ce mot, violent et méprisant, trahit une conception profondément autoritaire du pouvoir. Il ne s’agit plus de discuter, mais d’écraser. Il ne s’agit plus de convaincre, mais de dominer. Or, comme l’écrivait Claude Lefort, «la démocratie n’est pas seulement une forme de gouvernement, c’est un espace vide où le pouvoir n’appartient à personne et où chacun peut le contester».
Un Dialogue national suppose une reconnaissance de l’autre, une volonté de l’écouter, de prendre ses propositions au sérieux. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est l’exact opposé : une fermeture du débat, une personnalisation extrême du pouvoir et une infantilisation de l’opposition. Dans ces conditions, dialoguer ne serait qu’une mise en scène, un simulacre de concertation pour légitimer des décisions déjà prises.
La démocratie procédurale (élections, nominations, décrets) fonctionne. Mais elle fonctionne à vide. Ce n’est pas la lettre des institutions qui est en cause, c’est leur esprit. Il est temps de renforcer la démocratie participative, celle qui permet aux citoyens, aux partis, aux syndicats, à la Société civile de co-construire les décisions, et non de les découvrir dans le Journal officiel.
Des exemples, ailleurs dans le monde, montrent que lorsque le pouvoir méprise le dialogue, c’est la rue qui finit par parler. Au Burkina Faso, en 2014, le refus obstiné d’écouter les voix discordantes a mené à une insurrection populaire. En Afrique du Sud post-apartheid, au contraire, le Dialogue national a permis de transformer une société fracturée en une Nation en construction.
L’heure est donc grave, mais elle peut encore être salvatrice. A condition que le pouvoir cesse de se parler à lui-même. A condition que les mots «dialogue national» retrouvent un sens.
Ainsi, pour ce faire, citoyens simples, intellectuels, universitaires membres de la Société civile devraient exiger un véritable dialogue national, fondé sur le respect mutuel, la transparence et l’inclusion. Pas un théâtre politique, mais un espace réel de construction démocratique.
Le Premier ministre devra revoir ses sorties publiques pour ses propos à l’encontre de l’opposition. Le président de la République doit désormais rendre publiques les conclusions de toute consultation auprès du Conseil constitutionnel. Sans cela, il ne saurait y avoir de confiance possible, et encore moins de dialogue.
Comme le disait Nelson Mandela : «Un bon dirigeant peut engager un débat avec toute personne, même avec quelqu’un qui s’oppose fortement à lui.»
Le moment est venu de prouver que le pouvoir en place est encore capable de cette grandeur pour réussir à convier tout le monde.
Amadou MBENGUE
Secrétaire général de la coordination de Rufisque
Membre du bureau politique du Pit/Sénégal