Le Sénégal est un pays très sale. Ne mettons pas de gants pour le dire ! Nos villes et campagnes sont envahies par des tas de déchets polluants et puants de toute nature. Les populations, face à un Etat impuissant, cohabitent avec cette bombe écologique qui menace en permanence leur santé. Le pays de la Téranga offre aux visiteurs un visage hideux et répulsif, n’encourageant pas un billet retour chez nous. Sur la route de Saly Portudal, la route des touristes, le spectacle qui s’offre à ceux qui ont choisi la destination Sénégal est tout simplement horrible. Entre Diass et Sindia, c’est l’indignation et la révolte qui animent les voyageurs qui traversent la zone. Quel échec pour ceux qui ont en charge la gestion des ordures dans ces communes. Coïncidence inquiétante, ce spectacle désolant, indigne du Sénégal, se situe à quelques encablures de l’Aibd.
Tout semble indiquer que les ordures sont tolérées par les populations comme décor normal de leur environnement et que finalement leur amoncellement ne les dérange point. Sur l’étendue du territoire national, le spectacle est le même. Il y a des ordures puantes partout. La solution préconisée par l’Etat depuis 1960 est invariable, les ramasser et les déposer dans un endroit où elles gênent moins le regard des populations et laisser faire la nature. Les recycler ou les traiter n’est pas encore une option des autorités. C’est pourquoi sans doute les déchets s’acculent partout dans une indifférence quasi consensuelle. Les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent que la saleté dans les quartiers, aux abords des villes, entre les villes, au bord des routes etc. Ils ne s’émeuvent et ne s’indignent pas en voyant des tas d’immondices en putréfaction dans leur environnement. Ils sont habitués à vivre avec l’odeur putride et cadavérique permanente dans leurs quartiers ou villages.
Pour vivre, l’homme consomme des aliments et bois de l’eau obligatoirement. Il produit alors des déchets en satisfaisant ses besoins vitaux. Il a, pour avoir une bonne qualité de vie, d’autres activités indispensables qui lui permettent de s’habiller, d’avoir un toi, de se déplacer etc. Pour ces différentes activités également, l’homme produit immanquablement des déchets. La quantité de déchets produits par l’homme est corrélée positivement au pouvoir d’achat des consommateurs, au degré d’urbanisation du pays et au nombre d’habitants des villes et des villages.
Au Sénégal, on était 3 millions en 1960. Et en 2018, on est plus de 14 millions d’habitants. Notre production de déchets a augmenté dans des proportions supérieures à la croissance démographique du Sénégal. Le taux de croissance des déchets est sûrement supérieur au taux de croissance économique du pays. Tous les Sénégalais qui prêtent attention à notre environnement savent que nous étouffons, que nous respirons mal. D’année en année, notre cadre de vie se dégrade dans l’indifférence de tous, citoyens et pouvoirs publics confondus.
Depuis 1960, aucun pouvoir ne s’est véritablement attaqué aux ordures. On se contente de les ramasser et de les déposer dans un autre endroit, à l’abri des regards. Cette politique inadaptée n’est plus acceptable. Il faut maintenant ramasser, recycler et traiter. Il faut une rupture sans délai dans notre politique de gestion des ordures. Pour des raisons de santé publique, les autorités doivent mettre en place une nouvelle politique permettant d’éloigner les producteurs de leurs produits polluants. Il est admis aujourd’hui par tous que bien gérées, les ordures sont de l’or. Les sciences de l’environnement ont tellement fait de progrès que valoriser les ordures est une pratique routinière dans les pays qui le veulent. Le Sénégal a la chance d’avoir des ressources humaines bien formée dans les sciences de l’environnement. L’Institut des sciences de l’environnement (Ise) et l’Ecole supérieure polytechnique (Esp), entre autres, forment des ingénieurs et des docteurs qualifiés pour concevoir et exécuter une politique de bonne gestion des ordures.
Le pouvoir actuel vise l’émergence de notre pays, donc mène une politique, sans le savoir peut-être, qui va augmenter la quantité de déchets produits par l’homme. En effet, toute amélioration de la qualité de vie du consommateur va engendrer une augmentation de sa production de déchets. Ainsi, si le Sénégal devient émergent, le cadre de vie des Sénégalais va se dégrader si la politique de gestion des ordures ne change pas. L’émergence que les Sénégalais veulent doit non seulement augmenter leur pouvoir d’achat entres autres, mais doit leur permettre également de vivre dans un environnement sain et agréable. Il est temps que la gestion des ordures soit considérée comme une priorité nationale au même titre que la sécurité alimentaire pour laquelle l’Etat fait de grands efforts.
Actuellement, personne ne sait quel département ministériel est en charge des ordures. Aucun ministre ne veut de ce bébé. Toutes les tentatives de combinaison pour nous débarrasser des ordures ont échoué. Ce n’est un secret pour personne, le Sénégal n’a pas une politique cohérente de gestion des ordures à court, moyen et long terme.
Les ordures n’étant gérées par aucun ministère en fait, l’évidence est de lui créer un département ministériel spécifique en le dotant de moyens suffisants pour désormais ramasser les ordures, recycler ce qui peut l’être et traiter le reste. On ne peut plus se satisfaire de les ramasser et de les déposer loin des habitations seulement.
Parallèlement à une nouvelle politique de gestion des ordures adaptées, l’Etat doit s’attaquer frontalement au secteur, favorisant la production de déchets pour les maîtriser. Les emballages en plastique doivent être abandonnés en faveur du papier à chaque fois que cela est possible. L’eau de boisson produit beaucoup de sachets plastiques et de bouteilles. Les Sénégalais doivent être informés que l’eau du robinet n’est pas plus mauvaise que les eaux vendues dans des sachets ou dans des bouteilles. C’est vérifiable. Une bonne campagne d’information menée en collaboration avec les médias permettrait de significativement réduire la production de sachets plastiques dangereux pour les animaux et l’environnement. Des contrôles bactériologiques de l’eau vendue dans la rue pourraient donner des résultats explosifs, montrant que les sachets en dosette seraient pires que le lait contaminé Lactalis.
L’Etat doit interdire comme beaucoup d’autres pays les sachets plastiques, surtout de faibles grammages. La pollution de notre environnement par le plastique a atteint un niveau qui menace notre élevage et notre agriculture. Le résultat attendu dépendra de la fermeté de l’Etat et des moyens mis en œuvre pour le contrôle de l’application de l’interdiction.
Les Sénégalais doivent être sensibilisés pour qu’ils utilisent au moins 3 poubelles : une poubelle pour les restes de nourriture, une deuxième pour les cartons et les bouteilles en verre et une 3ème pour le plastique et le métal. Avec ces 3 poubelles il serait plus facile de faire du recyclage et du traitement des ordures.
Il y a de réels problèmes de gestion des ordures au Sénégal. Tout se fait à l’informelle approximative. Avec un département ministériel dédié, des textes règlementaires et des manuels de procédures de gestion des ordures seraient rédigés suite à des concertations inclusives entre tous les partenaires impliqués dans cette nouvelle politique.
Le ministère dédié pourrait même prendre en charge l’assainissement qui est aussi un volet pour lequel le Sénégal est très en retard.
Pr Demba Sow
Ecole Supérieure Polytechnique
Université Cheikh Anta Diop