Le journal Le Quotidien, dans son édition du 11 juillet 2017, avait repris des propos de la directrice des Opérations de la Banque mondiale au Sénégal, Mme Louise Cord, tenus lors de la présentation du Livre blanc de la Banque mondiale sur les transports et la logistique au Sénégal. La directrice des Opérations de la Banque mondiale avait laissé échapper sa désapprobation pour les projets de réalisation d’un Train express régional (Ter), reliant Dakar à l’aéroport international Blaise Diagne, de la mise en place d’une compagnie aérienne nationale sénégalaise et la réalisation d’une ligne ferroviaire à grand écartement reliant le Sénégal au Mali. Mme Cord disait notamment que la Banque mondiale s’était abstenue de participer à de tels projets en raison de leur non rentabilité économique «alors même que certaines régions souffrent de leur enclavement». Elle persiflait, ajoutant : «Est-ce que cela en vaut le coût ?» Et comme si tout cela ne suffisait pas, elle indiqua avec un brin d’ironie : «Le danger c’est d’avoir beaucoup de projets, mais qui ne sont pas rentables et qui, de ce fait, demandent des investissements supplémentaires pour leur maintenance.» La déclaration a ému du monde et donné du grain à moudre à certains opposants au régime du Président Macky Sall qui ne s’étaient pas fait prier pour prendre à leur compte de telles critiques.
Les errements de la Banque mondiale
Je fais partie des nombreux Sénégalais qui avaient été heurtés par une telle sortie et je m’étais promis de «brûler» Mme Cord. On ne manquait pas de raisons pour le faire, car Mme Cord avait violé son devoir de réserve pour porter des jugements négatifs, avec maladresse et sans aucune circonspection à travers les médias, sur des choix politiques et économiques d’un pays hôte. Le code éthique de son institution ne devrait pas l’y autoriser. Il s’y ajoute que le contexte politique de la campagne électorale en cours pouvait laisser l’impression qu’elle chercherait à affaiblir le gouvernement dans le débat politique.
Mais la critique la plus objective était de se demander si on peut nourrir l’ambition de développer un pays sans le doter d’infrastructures comme des autoroutes, des trains, des aéroports et des avions. Quel est le pays au monde qui a pu émerger en brûlant les étapes de la mise en place d’infrastructures publiques ? En outre, l’institution que constitue la Banque mondiale avait toujours fait montre d’une prudence de mauvais aloi qui ne traduisait pas moins un manque d’ambitions pour des pays comme le Sénégal. Jules Renard prévenait «qu’avec de la prudence, on peut faire toutes espèces d’imprudence». En effet, on peut bien se rappeler que la même Banque mondiale s’était opposée dans un premier temps au projet de réalisation de l’autoroute à péage, initiée par le Président Abdoulaye Wade. Il avait fallu l’entêtement de ce dernier pour imposer le démarrage des travaux et une fois le premier tronçon exécuté, la Banque mondiale avait fini par se convaincre de la pertinence du projet et décider de participer aux financements des phases complémentaires.
On se rappelle également que c’est sur des conseils de la même Banque mondiale que le gouvernement du Sénégal, conduit par Abdoulaye Wade, avait commis les errements du démantèlement de la filière des semences d’arachides qui avait précipité le déclin de la Sonacos et de cette filière agricole. La Banque mondiale avait préconisé le démantèlement du rail sénégalais qui avait conduit à dépecer les rails de certains tronçons pour les vendre à la ferraille. Alors que la même institution veuille préconiser la réhabilitation de la ligne ferroviaire coloniale reliant Dakar à Bamako, selon des normes vieilles de plusieurs siècles, indique bien que les experts de la Banque mondiale ne partagent pas les ambitions légitimes du Sénégal de donner à son Peuple les mêmes conditions de transport, de confort et de sécurité que les populations des autres pays du monde.
Il apparaissait étonnant que la Banque mondiale ait pu être la seule institution au monde à adopter une telle appréciation négative des projets majeurs du gouvernement sénégalais. Tous lesdits projets avaient bénéficié de financements d’autres institutions publiques comme privées. La Banque mondiale, qui avait approuvé le Programme Sénégal émergent (Pse), et s’était engagée à participer à son financement à l’occasion de la réunion du groupe consultatif tenu à son siège même à Paris en 2014, était donc malvenue pour douter de la pertinence des actions prioritaires déjà définies dans ce même Pse.
Le mea culpa de Louise Cord
Seulement, la représentante de la Banque mondiale avait pu mesurer rapidement la gravité de ses propos et s’était empressée de chercher à les ravaler. Le gouvernement du Sénégal avait lui aussi pris la mesure de la situation et fait montre d’une fermeté à l’égard de Mme Cord. Le chef du gouvernement, Mahammed Boun Abdallah Dionne, avait exigé le départ de Mme Louise Cord du Sénégal dans les 48 heures. Il avait fallu tout l’entregent du patron du département Afrique de la Banque mondiale, Makhtar Diop, pour calmer la situation après avoir passé un savon à sa représentante au Sénégal. Cette dernière avait ainsi demandé une audience avec le Président Macky Sall pour faire amende honorable et présenter des plates excuses et regretter sa «méprise et l’exploitation qui en avait été faite». Elle poursuivra sa contrition devant les médias pour dire publiquement que le propos qui lui était prêté n’emportait pas ou n’était pas conforme à l’opinion de la Banque mondiale. Elle a redit cela le 20 juillet 2017, en marge de la signature d’un nouvel accord de financement consenti par la Banque mondiale au Sénégal dans le secteur de l’eau et l’assainissement. A partir de cet instant, l’incident pouvait être clos, les rideaux devraient être tombés sur l’épisode de la déclaration controversée de Mme Louise Cord.
Mansour Elimane Kane ne pardonne pas
Le gouvernement n’avait point communiqué sur toutes ces péripéties. Mais c’était sans compter avec le ministre des Infrastructures, des transports terrestres et du désenclavement, Mansour Elimane Kane, qui semblait ronger ses freins.
Le 21 juillet 2017, M. Kane s’est autorisé à raviver la polémique et de quelle manière ! Il a profité de la signature d’un accord avec la Banque africaine de développement (Bad) afin de participer à compléter définitivement le financement du projet du Train express régional (Ter) pour mettre les pieds dans le plat. Le ministre des Infrastructures qui semblait attendre cette occasion pour en découdre avec son ancienne collègue de la Banque mondiale ne s’était pas fait prier pour tirer à boulets rouges sur Mme Louise Cord. C’était mal à propos, surtout venant d’un ministre en fonction et dans une instance où la Banque mondiale n’était pas représentée. La sortie au vitriol de Mansour Elimane Kane n’a sans doute pas manqué de gêner les responsables de la Bad, une institution à laquelle la Banque mondiale est aussi actionnaire et qui ont pu trouver la manœuvre discourtoise.
Il s’y ajoute que dès l’instant que Mme Cord a dit et répété qu’elle reniait les propos incriminés, pourquoi continuer alors à les lui reprocher et à lui faire la leçon ? Peut-être qu’un journaliste ou un citoyen lambda pourrait le faire, mais le propos qui sort de la bouche d’un ministre en exercice revêt une dimension et une portée particulières. Il faut dire que Mansour Elimane Kane ne semble pas encore avoir réalisé qu’un ministre ne peut pas parler comme «Monsieur tout le monde». Il a asséné ses vertes et pas mûres en traitant Mme Cord «d’employée qui a violé son devoir de réserve». Il s’est ainsi vertement attaqué à l’auteur des propos rapportés par Le Quotidien et a souligné que «des institutions comme la Banque africaine de développement, l’Agence française de développement et la Banque islamique de développement ne peuvent pas approuver un projet et qu’on dise qu’il n’est pas rentable». Il a fait la leçon à Louise Cord en affirmant : «Pour parler d’une rentabilité, il y a des déterminants. Les gens qui ont étudié le projet ont ces déterminants et c’est l’élément de trafic : trafic voyageurs et trafic tarifaire. Ce sont les éléments de calcul. C’est la contribution des autres bailleurs autant en termes de durée que de taux. Si une personne qui n’a pas ces éléments, tout ce qu’elle dit de la rentabilité, c’est de la voyance comme faisaient nos grands-pères».
De plus, le ministre des Infrastructures a insisté sur le projet de train à grand écartement entre Dakar et Bamako. Ce projet que la directrice des Opérations de la Banque mondiale a aussi jugé trop onéreux a également été défendu par le ministre. Selon Mansour Elimane Kane, «le Sénégal a refusé une réhabilitation partielle de la ligne». A la place, le pays a opté pour une ligne compatible avec le Ter d’une part qui, de ce fait, pourrait un jour arriver jusqu’à Saint-Louis et le Bus rapide transit (Brt) avec une intégration tarifaire.
On se rappelle que Mansour Elimane Kane avait failli en venir aux mains avec son compatriote Makhtar Diop, vice-président Afrique de la Banque mondiale, durant les Assemblées du printemps des institutions de Bretton Woods en 2016, à Washington, justement à propos du projet de la ligne de chemin de fer Dakar-Bamako. C’est dire que le ministre semble avoir la rancune tenace ou avait voulu faire un certain zèle. Il ne semble avoir cure de ses relations futures avec la Banque mondiale pour réagir de la sorte. On peut se demander si une telle désinvolture ou ce manque de tact serait à l’avantage du Sénégal ? Rien n’est moins sûr. De toute façon, de nombreux hauts fonctionnaires ne manquent pas de s’interroger sur les conséquences de ce «défi» lancé au groupe de la Banque mondiale. Les experts de la Banque mondiale avaient toujours nourri des appréhensions chaque fois qu’ils avaient à voir un dossier avec l’actuel ministre des Infrastructures du Sénégal.
Force est de dire que ce nouvel incident ou accroc ne va pas aider à arranger les choses. Pourtant, du temps où il était fonctionnaire de la Banque mondiale, Mansour Elimane Kane ne manquait pas de réagir dans le même sillage de ce qu’il ne pardonnerait pas à Louise Cord. Un haut fonctionnaire conte que c’était le même Mansour Elimane Kane qui avait été envoyé au Sénégal pour travailler le Président Wade au corps, afin de le convaincre de renoncer au projet d’autoroute à péage. Le Président Abdoulaye Wade l’avait congédié de son bureau sans ménagement. C’est dire…
Sur un autre registre, Mansour Elimane Kane apparaît comme un personnage un peu trop sanguin et ce caractère ne le dispose pas à entretenir les meilleurs rapports avec ses interlocuteurs. Quand il venait d’être nommé au gouvernement du Sénégal, il avait provoqué un grave incident à bord d’un vol de la compagnie aérienne South african airways entre New York et Dakar pour avoir refusé d’obtempérer à la demande de l’équipage de couper son téléphone portable à partir duquel il était en communication au moment du décollage. Il péta un câble pour menacer la compagnie aérienne de lui retirer l’autorisation de survoler l’espace aérien du Sénégal (sic). Sans doute qu’il n’avait pas encore réalisé qu’il n’était pas ministre en charge des Transports aériens.
* Ce titre est une paraphrase du titre d’un livre publié le 12 octobre 2016 par les journalistes français Gérard Davet et Fabrice Lhomme sur le quinquennat de François Hollande.
La critique la plus objective est de savoir si l’on peut ambitionner de développer un pays sans le doter d’infrastructures médicales en nombre et en qualité. Un pays en santé et qui mange mieux, c’est un pays économiquement viable avec une plus grande productivité. Pour nos femmes et soeurs de l’intérieur, l’ambition n’est pas le TER. Elle est plus modeste, c’est de ne pas mourir en couches dans une charette, le temps qu’on vous amène au dispensaire ou poste de santé, c’est d’avoir un scanner pour une mammographie et ne pas être obligé, avec leurs maigres économies, de rallier Dakar. Très peu de personnes sont, dans l’absolu, contre les projets du TER et du train à écartement. Mais est-ce vraiment la priorité No 1 ? C’est peut être cette question là qu’a voulu soulever, maladroitement hélas, Mme Cord. Dans une époque pas si lointaine, il y avait dans ce pays, les 4 communes et le reste, nous les indigènes, une nuisance. Si on n y prend garde, on se retrouvera avec une commune et les indigènes. C’est comme cela qu’on a partiellement contribué à la création du MFDC, en négligeant la Casamance (ou du moins en créant cette perception). Lorsque le Nord du pays est littéralement pris en charge médicalement par les immigrés, l’État perd de sa légitimité. Les régions font partie intégrante de ce pays et ont des attentes légitimes. Un sénateur aux Etats Unis qui représenterait son état de la façon dont nos députés nous représentent ne finirait pas son mandat. Il n y a pas d’exemples dans le monde ou (désolé) un pays s’est développé en mettant toutes ses ressources dans sa capitale, négligeant du coup ses régions. Et ce n’est pas Promoville ou autres artifices, aux ambitions lillupitiennes, qui feront la différence. Diourbel ressemble toujours à un paysage lunaire…