Une abrogation partielle déguisée en loi interprétative

Pastef avait d’abord annoncé son intention d’abroger totalement la loi d’amnistie, avant de se raviser en proposant une abrogation partielle. Finalement, l’un de ses députés a présenté une proposition de loi interprétative portant sur cette même loi. Ce revirement soulève une question légitime : pourquoi opter pour une loi interprétative plutôt qu’une abrogation totale ?
Il est donc important d’examiner les motivations qui ont conduit à ce choix, d’analyser la nature réelle de cette loi et d’envisager les éventuels recours possibles une fois la loi promulguée par le président de la République.
En y regardant de plus près, cette proposition de loi s’apparente en réalité à une abrogation partielle de la loi n°2024-09 du 13 mars 2024, qui portait sur l’amnistie des faits commis entre 2021 et 2024. L’appellation «loi interprétative» semble ainsi servir à contourner les recours juridiques classiques.
Il devient alors nécessaire de démontrer que cette proposition modifie bel et bien la loi initiale, de comprendre les raisons de ce choix et, enfin, d’explorer les voies de recours possibles.
En principe, une loi interprétative a pour vocation de clarifier ou de préciser le sens d’une loi existante, sans y ajouter de nouvelles dispositions. Elle vise uniquement à expliciter des éléments ambigus ou sujets à controverse. Dès lors, la proposition déposée par Amadou Bâ, député de Pastef, ne peut être considérée comme une véritable loi interprétative puisqu’elle altère le contenu de la loi initiale. En modifiant certaines dispositions, elle introduit de nouveaux éléments, ce qui va à l’encontre du rôle strictement explicatif d’une loi interprétative. En réalité, cette proposition constitue une abrogation partielle, car elle exclut certains faits de l’amnistie tout en en maintenant d’autres. Or, la loi initiale avait pour vocation d’amnistier l’ensemble des faits commis durant la période définie.
Ce choix d’une loi interprétative ne relève pas du hasard. En effet, une loi interprétative bénéficie généralement d’une protection juridique particulière qui lui permet d’échapper au contrôle de constitutionnalité ou au recours pour excès de pouvoir. Par nature, elle est considérée comme faisant corps avec la loi qu’elle interprète et produit, en principe, un effet rétroactif. Puisqu’elle est censée préciser le sens originel de la loi précédente sans introduire de nouvelles normes, elle ne peut normalement être déclarée anticonstitutionnelle.
De plus, le Conseil constitutionnel et les juridictions administratives n’exercent un contrôle que sur les textes qui créent de nouvelles normes juridiques. Or, une loi interprétative, en se limitant à expliciter une norme existante, ne remplit pas cette condition. Ainsi, les juridictions compétentes ne peuvent, en principe, se prononcer sur sa conformité à la Constitution dans le cadre d’un contrôle par voie d’action, c’est-à-dire avant sa promulgation.
Cependant, cette protection apparente n’est pas absolue. Si une loi interprétative dissimule en réalité l’introduction d’une nouvelle règle juridique ou porte atteinte à des droits fondamentaux, les juridictions peuvent malgré tout en contrôler la légalité. Ce contrôle s’effectue alors dans des circonstances exceptionnelles, notamment à l’occasion d’un procès. Dans ce cas, la loi devient un enjeu préjudiciel, défensif ou dilatoire, et l’audience est suspendue jusqu’à ce que le juge constitutionnel se prononce sur sa validité.
Mawdo DIENG
SG de l’Ujdan
Membre du Comité central du Pit-Sénégal