Une analyse des incohérences et des responsabilités dans le rapport de la Cour des comptes
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Le récent rapport de la Cour des comptes soulève plusieurs questions et incohérences qui méritent d’être examinées attentivement, notamment en ce qui concerne la gestion des finances publiques entre 2019 et 2024, la validation des rapports par les magistrats, ainsi que les interactions avec des institutions internationales telles que la Banque mondiale (Bm), le Fonds monétaire international (Fmi), l’Uemoa et la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao). Voici les points’clés de cette analyse :
Un rapport spécifique au lieu du rapport annuel
Le rapport de la Cour des comptes couvre la période de 2019 au 31 mars 2024 et est basé sur une demande de l’Uemoa pour effectuer un audit global du dernier mandat présidentiel. Ce n’est pas un rapport annuel de la Cour des comptes, qui se concentre habituellement sur l’exécution budgétaire. Cependant, si la Cour des comptes valide chaque année l’exécution budgétaire, ces dépenses devraient être conformes aux audits de l’Inspection générale des finances (Igf). La question qui se pose alors est : pourquoi des irrégularités n’ont-elles pas été détectées plus tôt ?
Le retard dans la publication du rapport
Alors que le rapport aurait dû être publié dans un délai de six mois, il a été retardé de dix mois. Ce retard pourrait être dû à plusieurs facteurs : • Des contraintes internes liées à l’accès aux documents ou à une surcharge de travail. • Des blocages politiques pour retarder la publication ou modifier certaines conclusions.
Le rôle des experts indépendants mandatés par le Premier ministre
La Cour des comptes est censée être l’organe principal en charge du contrôle des finances publiques. Pourtant, le Premier ministre a fait appel à des experts indépendants pour effectuer l’audit. Cela soulève des questions sur : • La perte de confiance dans la Cour des comptes. • La volonté d’ajouter une caution externe pour justifier certaines conclusions. • La possible instrumentalisation du rapport.
4. L’utilisation de termes contradictoires
Le rapport parle d’irrégularités et de dysfonctionnements, tandis que le discours du Premier ministre évoque des problèmes de mal gouvernance et de détournements. Cette différence d’interprétation entre la Cour des comptes et le gouvernement ouvre un débat sur : • L’objectivité du rapport. • La manière dont il est utilisé pour des objectifs politiques.
5. L’absence des présidents de chambre dans le processus
Traditionnellement, ce sont les présidents de chambre qui encadrent et valident les rapports de la Cour des comptes. Leur absence dans le processus soulève plusieurs interrogations : • Ont-ils été écartés du processus ? • Y’a-t-il eu des dissensions internes concernant le rapport ?
6. Mamadou Faye, Premier président de la Cour des comptes, ne figure pas sur le rapport
Le fait que le nom de Mamadou Faye, le Premier président de la Cour des comptes, n’apparaisse pas dans le rapport est particulièrement troublant. En tant que responsable de la Cour des comptes, son absence pourrait indiquer : • Qu’il a refusé d’associer son nom à ce rapport. • Qu’il a été mis à l’écart du processus de validation. • Une absence de consensus autour des conclusions du rapport.
7. Suppression des rapports de 2018 à 2022 du site gouvernemental
Un élément particulièrement préoccupant est la suppression des rapports de 2018 à 2022 du site officiel du gouvernement. Cette suppression a eu lieu en parallèle avec la publication du rapport couvrant la période 2019-2024, ce qui soulève plusieurs interrogations : • Les rapports précédents contenaient-ils des éléments contradictoires avec celui de 2019-2024 ? • Cette suppression était-elle une tentative d’effacer des traces gênantes pour éviter toute comparaison ? • Est-ce un moyen de masquer certaines anomalies dans la gestion financière pendant cette période ?
8. Le rôle de Al Amine Lô et Cheikh Diba
Plusieurs figures-clés ont joué un rôle important sous l’ancien régime et le nouveau : • Al Amine Lô • Ancien Directeur national de la Bceao pour le Sénégal sous l’ancien régime. • Actuellement Secrétaire général du gouvernement. • Il a pris part à la communication du gouvernement en soulignant les irrégularités budgétaires, bien qu’il ait occupé un rôle-clé dans la gestion de la Banque centrale sous l’ancien régime. Cela soulève la question de la responsabilité de ceux qui ont supervisé les finances sous l’ancienne Administration. • Cheikh Diba • Ancien directeur de la Programmation budgétaire à la Direction générale du budget sous l’ancien régime. • Aujourd’hui ministre des Finances et du budget. • Il est aujourd’hui en première ligne dans la gestion des conséquences du rapport et de la communication gouvernementale.
9. Amadou Hott, comptable des finances publiques, vise la Bad
Amadou Hott, ancien ministre des Finances (2019-2022), est un acteur-clé dans la gestion des finances publiques pendant cette période. Pourtant, il se positionne aujourd’hui comme candidat pour la présidence de la Banque africaine de développement (Bad). Cela pose la question suivante : comment peut-il prétendre diriger une institution financière majeure alors qu’il a été comptable des décisions budgétaires critiquées par le rapport ?
10. Pourquoi la Cour des comptes n’a-t-elle pas demandé l’ouverture d’enquêtes judiciaires ?
Le rapport de la Cour des comptes évoque des irrégularités, mais n’a pas recommandé l’ouverture d’enquêtes judiciaires, ce qui soulève des questions : • Les irrégularités identifiées sont-elles simplement administratives ou n’ont-elles pas de portée pénale ? • Pourquoi la Cour n’a-t-elle pas proposé d’enquêtes judiciaires si les dysfonctionnements sont aussi graves qu’évoqués par le gouvernement ? Conclusion : un rapport sous tension. Ce rapport, censé être un exercice technique d’audit, semble être devenu un instrument politique. Les contradictions dans les termes utilisés, l’absence de signatures importantes, le retard de publication et la suppression des rapports précédents soulèvent des interrogations sur l’intégrité et l’objectivité du processus. Les acteurs politiques et les responsables de la Cour des comptes jouent un rôle crucial dans ce débat, et il est essentiel de comprendre les dynamismes internes et les pressures externes qui ont façonné ce rapport. La transparence et l’indépendance de la Cour des comptes doivent être remises en question si des failles ont permis de dribbler des institutions aussi importantes que la Bm, le Fmi, l’Uemoa et la Bceao.
Ramatoulaye SECK
Journaliste
seck61900@gmail.com
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