L’année s’achève sur un rythme assez particulier dans notre pays. Le nouveau pouvoir, après avoir obtenu sa majorité confortable au Parlement, se décide enfin à procéder à la Déclaration de politique générale. Pour une première, le pays aura connu un sacré retard à l’allumage avec une Primature qui aura consulté tous les oracles et tâté tous les pouls avant de finir par se jeter à l’eau. Cela, en ayant toutes les cartes en main. Cet attentisme ou cette logique du contrôle absolu dont auront fait montre nos nouvelles autorités aura fait tache d’huile dans bien des domaines de la vie nationale et dans des secteurs porteurs de notre économie.

L’industrie du bâtiment et tout le secteur de la construction auront été mis à genoux par des mesures rigoristes pour tenter de trouver des cafards dans la gestion foncière du pays et surtout ferrer des promoteurs immobiliers. On constatera avec regret que les objectifs voulus au départ seront noyés dans la mare des réalités de toute une industrie. Les interdictions de construction sur le littoral, le gel de certains chantiers et les restrictions sur les opérations foncières auront eu comme effet majeur le dépôt de bilan de nombreuses entreprises, les limogeages de travailleurs des Btp en centaines et la perte de gains quotidiens pour des milliers des travailleurs et négociants informels qui s’agrippaient à la locomotive du bâtiment et des constructions. Face à l’impopularité des mesures et surtout leurs conséquences dramatiques, l’Etat sénégalais se ravisera en prenant la logique d’une étude au cas par cas des dossiers des particuliers, des promoteurs et entrepreneurs concernés sur les divers sites ciblés. On verra même dans les rangs du nouveau pouvoir des voix assez connues faire le plaidoyer d’une relance du secteur des constructions. Si on ajoute aux interdictions de construction et au blocage de chantiers, le refus systématique du gouvernement actuel de poursuivre certains grands chantiers et programmes publics, on peut comprendre à juste titre pourquoi toute la machine des Btp dans notre pays est grippée. Un nouvel an s’annonce avec une nouvelle aube, espérons que nos autorités sauront danser à la musique de l’économie réelle plutôt que de s’aligner sur un mauvais tempo qui dépasse rarement le stade de fantaisies d’esprits fertiles.

Les médias auront été une industrie dans laquelle il fallait toute cette année avoir le cœur bien attaché. Le pouvoir aura trouvé un punching ball bien amusant sur lequel asséner des coups pour se donner des airs rigoristes, chanter le chœur d’une rupture systémique et surtout mettre au pas tout promoteur de discours contraires. Les offensives violentes auront été nombreuses, allant de convocations à la police à des blocages de comptes d’entreprises, sans oublier une flopée de redressements fiscaux. C’est ainsi que pendant près de six mois, plusieurs médias auront fonctionné en étant grandement handicapés par des mesures économiques hostiles (ruptures unilatérales de contrats de partenariat, refus de payer les ardoises publicitaires des ministères et agences d’Etat auprès des médias, refus de verser une subvention d’aide à la presse déjà budgétisée). Le dernier clou à enfoncer dans le cercueil bien poli des médias sénégalais sera la fameuse liste du ministère de la Communication pour se faire un gendarme des médias et tracer une ligne entre médias fréquentables et ceux infréquentables, entre des organes légaux et d’autres illégaux. On peut ainsi se dire qu’au vu de tous ces coups de bélier, la dégringolade de tous nos indicateurs mesurant le fonctionnement de la démocratie et le respect des libertés de presse et d’opinion sera sérieuse. Une nouvelle aube s’en vient, une prière fervente serait d’espérer qu’un retour à une orthodoxie et une lucidité se produise. Je ne vais pas me garder de laisser germer dans mon esprit un brin d’espoir.

La scène politique aura été pour sa part une arène de gladiateurs qui ont décidé de bander les muscles, de faire de l’invective et de la violence les modes premiers de fonctionnement et d’expression. Toutes les attaques ont pu être cautionnées, toutes les pratiques viles auront eu blanc-seing. Tout ce qu’il y a de méchant et d’abject aura pu voir le jour pour faire des adversaires d’un instant des ennemis à vie et troquer la lutte des idées avec une bataille d’égos surdimensionnés au point que tout le pays en pâtisse. Tout cela se produit devant l’œil complaisant et distant de la première autorité du pays, qui semble se satisfaire face à tout dossier d’une stratégie du pourrissement.

Le cycle infernal de l’information dans ce pays, avec un passage d’une polémique à une autre, peut donner l’impression que le silence est une arme pour tout détenteur de pouvoir. On se trompe malheureusement car tout excès dans l’arbitraire, tout acte injuste et toute cabale politique affaissent les fondations du modèle démocratique sénégalais. La République qui est l’idéal vers lequel beaucoup d’entre nous convergent se trouve vidée de ses valeurs les plus essentielles. Une métropole mondiale se voit privée de son premier magistrat, car des calculs politiques et une méchanceté de primates empêcheraient à ce qu’on puisse concevoir et laisser se faire une cohabitation harmonieuse. Tout est mis en branle pour tordre le bras à la justice, mettre au pas les imprudents et faire plus que tout plour plier la loi et l’ordre aux aspirations des vainqueurs. Les arrestations et emprisonnements arbitraires ne se comptent plus. La société civile aura décidé de se taire sur la majorité des sujets. Il reviendra à chacun de se débrouiller !

De son fauteuil sur la Corniche ouest, la statue de Léopold Sédar Senghor faisant face aux «Dents de la mer» doit s’interroger très curieusement sur ce Sénégal de 2024. Cet architecte de la République du Sénégal telle qu’on la connait et telle qu’on la chérit, doit se dire qu’il n’aurait pas pensé voir son pays passer de hauts en déclins à un rythme aussi fou, bien que «l’irrégularité dans la répétition» est ce qui fait le rythme africain pour ne pas dire le rythme sénégalais. Le parallélisme asymétrique qu’aura théorisé Léopold Sédar Senghor comme «une répétition diversifiée du rythme dans le temps et dans l’espace», qui se traduira dans l’architecture de sa demeure, est ce qui caractérise le mode de vie actuel dans notre pays. Et ce, dans tous les secteurs ! A cette chronique, chaque lecteur peut joindre les tumultes, hauts et bas connus dans son domaine d’activité, avec tous un dénominateur commun. Après une année en dents de scie, une prière fervente serait que ce pays et ses maîtres reviennent à la lucidité, à une orthodoxie et se décident enfin à affronter la réalité sincère du pouvoir et de la gestion des Etats, loin des considérations d’opposants excités, en ayant les intérêts de tous en considération et en agissant pour le bien commun.
Bonne année 2025 à vous, chers lecteurs.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn