L’année touchant à sa fin est le moment choisi pour partager quelques lectures que j’ai pu découvrir. Cela pourrait servir de cadeaux de Noël et de fêtes de fin d’année pour certains. Ces lectures, je les partage dans l’esprit que notre pays est assez éprouvant pour chacun de nous, dans toutes les sphères où nous pouvons évoluer. Des moments d’échappatoire, de réflexion et de déconnexion de ce si fort réel s’imposent et cela, par de bonnes lectures. J’espère que les lecteurs ne me taperont pas au dos, tellement mes lectures ne suivent aucune cohérence.

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Je vais commencer par suggérer «Souvenirs d’un chef du protocole» de Daniel Jouanneau qui était l’introducteur des ambassadeurs vers la fin du magistère de François Mitterrand et le premier mandat de Jacques Chirac. Cet ouvrage, j’ai plongé dessus en m’imaginant ce qu’auraient pu être des mémoires de feu Bruno Diatta, si l’emblématique chef du protocole sénégalais avait laissé à la postérité un témoignage écrit, après tant d’années passées aux côtés des quatre chefs d’Etat qui ont dirigé notre pays. L’ouvrage de Jouanneau est agréable avec des anecdotes puissantes sur les coulisses de l’Etat français. Il donne au respect du protocole toute la trempe qu’elle impose dans la bonne marche d’un Etat. Quand on vit dans un pays comme le Sénégal, où il est de bon ton de chahuter tout ce qui est Etat ou République, lire les exigences de Jouanneau aux côtés des présidents Mitterrand et Chirac, comprendre la gestion de certaines entorses au protocole pouvant causer des incidents diplomatiques, est une cure pour raviver la foi en une bonne administration publique. Comme le diplomate de carrière Jouanneau le dit dans ses mémoires, «un bon protocole rassure, un protocole approximatif inquiète».

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Pas trop loin des cercles diplomatiques, la deuxième lecture est un roman de Gilbert Sinoué, intitulé «L’île du couchant». On y suit la montée au pouvoir dans ce qui est aujourd’hui le Maroc, du sultan et commandeur des croyants, Moulay Ismaïl. Dans un style embrassant par moments le récit historique, on est embarqué dans le demi-siècle de règne d’un homme qui réussira à unifier le Maroc. Chacun des chapitres de ce livre se dévore et la richesse des sociétés qui ont pu s’ériger dans tout le Maghreb s’apprécie. J’ai plongé dans des intrigues de cour et un voyage sur la formation d’un Etat viable par le courage et l’abnégation de grands hommes. Des mots me restent de cette lecture, donnant tout un sens au respect à devoir à des pionniers et à ceux qui se sont donnés dans le passé pour que jouissent ceux du présent : «Aujourd’hui nous sommes parce que des hommes furent.» Cette ligne mérite d’être enseignée à toute notre jeunesse. J’étais à une cérémonie familiale où un des patriarches soulignaient à une assistance grandement composée de jeunes que l’histoire du Sénégal ne commence pas en 2000. Le rappel est bon pour toute une armée de jeunes qui pensent crânement que le Sénégal se fait par eux, en voulant omettre tout le legs des aînés dans le récit national.

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La troisième lecture est une plongée dans le monde industriel et celui de la production, qui font la force du capitalisme actuel. «Behemoth : une histoire de l’usine et la fabrication du monde moderne» de Joshua Freeman est la grosse brique que j’ai traînée une dizaine de mois. La lecture a été hachée, peut-être par souci de parcimonie, mais j’ai adoré cette histoire mondiale de l’industrialisation qui s’étale sur trois siècles. On part des «sombres moulins sataniques» qui ont aidé à faire la révolution industrielle comme les surnommait William Blake, aux villes-usines telles qu’on en a dans plusieurs régions du monde. Un constant lien est fait dans cet ouvrage entre la nature boulimique et gigantesque des industries qui modifient dans leur sillage les modes de vie et de consommation, de même qu’elles transforment radicalement l’environnement. En voyant la mise sur pied de villes nouvelles et de pôles industriels dans beaucoup de pays du continent africain, Diamniadio chez nous ou New Cairo en Egypte, on ne peut s’empêcher d’interroger les facteurs bloquants de l’industrialisation en Afrique. La solidité des références convoquées tout au long de l’ouvrage pour expliquer beaucoup de changements industriels et d’innovations dans les modes de production fait la force de ce livre.

Le temps pour lire se trouve difficilement dans notre cher pays, mais j’aurais essayé de ramasser quelque chose dans ces petits monstres qui changent la façon de voir les choses, une fois qu’on les ouvre. Bonne lecture.

Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn