Un double meurtre, commis dans la nuit du 18 au 19 août, aura suscité l’émoi et la consternation de tout un pays. Ce sont des meurtres au couteau d’un autre âge qui tiennent en haleine, depuis une bonne dizaine de jours, toute une population. La presse et les réseaux sociaux en ont fait le sujet majeur, créant un vacarme indescriptible autour d’une enquête. Toute la lucidité aura été troquée par un sensationnalisme vulgaire avec une flopée de personnes cherchant à susciter du buzz autour d’eux et se faire un nom, le tout en dansant de façon éhontée sur les dépouilles des victimes.

On aura assisté au bal des pires vulgarités et à un règne de l’absurde, où la météo judiciaire d’une affaire effroyable sera faite par des enquêteurs de pacotille souvent établis dans la diaspora et dotés du courage niais que donnent les foules à tout gourou n’étant embarrassé d’aucun mensonge. Avec la force des réseaux sociaux, on verra émerger des influenceurs se découvrant des talents de scénaristes de thrillers criminels ou des âmes de détective qui contribueront davantage à multiplier les fausses pistes, à susciter davantage de sidération dans le confort de leurs certitudes et à encourager toutes les réactions excessives. Certains chroniqueurs judiciaires choisiront, dans ce chaos, de se taire et de laisser la parole aux maîtres des poursuites, d’autres se noieront par contre dans ce malheureux jeu de vedettariat médiatique pour hurler avec les hyènes et surtout se décrédibiliser devant l’opinion. Le nombre de versions qui ont été diffusées dans ce pays avant qu’il ne soit établi que les suspects sont poursuivis pour «meurtre et actes de barbarie, association de malfaiteurs» en dit long sur une logique de donner des informations inédites sans se soucier de leur véracité et de leur impact sur une enquête.

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La gestion de cette affaire de double meurtre à Pikine rappelle également, dans un contexte de multiplication des canaux de communication et une prééminence des réseaux sociaux, que nos Forces de sécurité et les représentants de la Justice changent de paradigme. Il est nécessaire qu’il y ait une présence plus remarquée sur toutes les plateformes et qu’une communication dynamique avec des éléments de langage accessibles à tous soit véhiculée aux masses. Les dégâts que font la désinformation et la manipulation de certaines informations sur la perception des enquêtes et instructions, doivent pousser à ce que nos services de sécurité maîtrisent le discours sur les affaires sensibles. On ne peut laisser véhiculer tout et n’importe quoi sur des enquêtes, au risque de créer des situations chaotiques où tous les impairs seraient possibles. Je ne cesserai de le dire, depuis les événements de mars 2021, les Forces de défense et de sécurité ont laissé prospérer un lit de «sources d’informations parallèles» qui, dans toute situation qui se présentera, ne feront que chahuter le travail qui est fait et caricaturer le bien-fondé des enquêtes. Rien de concret n’a été fait depuis pour inverser de tels paradigmes, encore que ceux qui animaient certaines de ces officines de désinformation sont désormais au pouvoir. Il faudra, comme cela se fait ailleurs, que les acteurs de la Justice comme nos services de sécurité se décident de communiquer de façon accessible avec le commun des Sénégalais pour déconstruire et surtout donner la bonne information.

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Comme dans toute affaire criminelle qui suscite l’émoi dans ce pays, les appels à recourir à la peine de mort n’ont cessé de se multiplier. A problème sérieux, la solution la plus simple est d’opposer de la mort à de la mort. Point Godwin de toute discussion sur la criminalité et la violence au Sénégal, la peine de mort est ce bâton qu’on tire pour s’empêcher de réfléchir aux maux d’une société gangrenée par la violence. On refuse d’interroger les causes réelles d’une violence qui aura gagné toutes les franges de la société sénégalaise. On préfère détourner le regard sur la violence verbale dans tous les discours et interactions. On préfère ignorer la nature belliqueuse et guerrière qui anime des milliers de jeunes dans nos rues et contrées, avec l’insulte à la bouche et une insolence que rien ne saurait expliquer. Les routes sénégalaises suffisent comme laboratoire de l’insolence, de l’irrévérence et de la violence omniprésente dans toutes les interactions. Chacun y va pour sa poire et l’hostilité reste la seule réaction face à toute remontrance. L’Etat sénégalais veut convoquer des états généraux des transports, il faudrait voir plus large car la violence au volant n’est qu’un continuum d’une violence qui a fini d’installer son lit dans notre quotidien. Ce pays a un sacré travail à faire sur lui-même. On aura beau nous voiler la face, la violence est partout.

Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn