Depuis le début du mois musulman de Muharram, des centaines de musulmans chiites fidèles au guide religieux Chérif Mohamed Aly Aïdara, venus de tous les coins du Sénégal, de la sous-région, d’Europe et des pays asiatiques, sont plongés dans une ferveur religieuse à Darou Hijratou, village du département de Vélingara, au Sud du Sénégal, pour commémorer les 10 derniers jours de l’imam Hussein sur terre, atrocement tué le 10ème jour de ce mois, coïncidant au samedi 29 juillet. En route vers Achoura, tous à Daroul Hijratou, l’autre Karbala, qui fait sa toilette pour accueillir le monde du chiisme.Par Abdoulaye KAMARA –

Le petit village de Daroul Hijratou, au Sud du Sénégal, va avoir du mal à contenir tout le monde chiite Mozdahir d’Afrique, d’Europe, des Etats-Unis et de l’Asie qui a fait allégeance au guide religieux Chérif Mohamed Aly Aïdara et qui est déjà sur place ou qui s’apprête à venir commémorer, dans la tristesse et le deuil, l’anniversaire de l’assassinat du petit-fils du Prophète de l’islam, l’imam Hussein. Déjà, dans le village natal du guide religieux, se trouvent des pèlerins qui sont plongés dans une ferveur religieuse teinte de tristesse, mais aussi faite de labeur pour mettre les petits plats dans les grands afin de faire la toilette du village et apprêter les logements qui doivent abriter de grands érudits de l’islam chiite devant venir de tous les coins du monde. Mme Zahra Christiane Guillaume, une sexagénaire française, reconvertie musulmane chiite, décrit l’ambiance et la ferveur : «Nous sommes ici comme à Karbala, cette ville irakienne que je connais bien. Je remarque qu’il y a beaucoup de jeunes qui se dévouent à la tâche pour accueillir les hôtes. Contrairement à Karbala où ce sont des personnes âgées qui s’activent autour d’Achoura. La jeunesse, c’est l’espoir et l’espérance d’un meilleur devenir du chiisme. Nous n’avons pas regretté d’être venus sur invitation du guide Chérif Mohamed Aly qui s’ingénie à participer au développement du chiisme et du Sénégal. A la différence de Karbala, tout ici est à faire, à construire. Avec l’aide de Dieu et la détermination du guide Chérif Aly, tout va marcher.» Ndèye Astou Diouf, venue de Dakar, apprécie à son tour : «La ferveur religieuse trouvée ici nous soulage. On ne sent pas la fatigue ; au contraire, la présence de notre guide augmente notre spiritualité, contents de le rencontrer tous les jours.» Et puis de lever un coin du voile sur les activités de dévotion auxquelles les pèlerins sont soumis pendant cette première décade du mois lunaire de Muharram. Elle dit : «Après la prière de la nuit, nous nous rassemblons pour réciter le Coran plusieurs fois et puis un homme vient raconter l’histoire de Karbala et de l’islam de manière générale. Une histoire qui est, par la suite, analysée par un érudit. Et puis on chante à la gloire de l’imam Hussein, du Prophète et sa famille, on fait la ziarra du Prophète et, à la fin, le guide Chérif Aly Aïdara clôture par des prières pour tous.» Tous ces moments sont empreints de solennité et de tristesse. Chérif Alhassane Aïdara, président du Comité d’organisation, fils du guide, conte le sens d’Achoura. Il dit : «Achoura est en réalité un jour de deuil pour le Prophète de l’islam, pour sa famille et pour tous ceux qui les aiment, contrairement à la pratique courante dans beaucoup de pays de la sous-région et même au Sénégal qui en font un jour de fête. C’est le jour durant lequel le petit-fils direct du Prophète (le seul vivant à l’époque) a été découpé, massacré. Si le Prophète était vivant, il allait être triste. Surtout que Hussein a subi le supplice pendant 10 jours, capturé par les armées du khalife de l’époque, le 1er jour de Muharram, qui l’ont séquestré à Karbala (ville irakienne) avant de le tuer atrocement.» Il poursuit : «Chérif Aly, depuis plus de 20 an démontre à la face du monde qu’Achoura ne peut pas être un jour de joie, bien au contraire. Ce sera encore l’occasion, à partir de son village natal, de sensibiliser le monde musulman sur le sens véritable d’Achoura.» Samedi prochain, sur un site aménagé pour l’événement, et qui arbore déjà les atours d’un domaine royal avec un imposant immeuble équipé et une cour vaste d’une demie douzaine d’hectares, va se dérouler la cérémonie officielle qui consiste en la lecture du Saint Coran, plusieurs fois le long de la matinée, à des prières et puis une conférence qui sera animée par le guide Chérif Aly Aïdara, à laquelle vont prendre part plusieurs savants et érudits du monde de l’islam chiite. C’est la première édition d’Achoura à Daroul Hijratou.

Darou Hijratou,
l’autre Karbala
En 1950, lorsque le papa de Chérif Aly Aïdara donnait le nom Daroul Hijrat (maison de l’immigration) à ce patelin de la commune de Bonconto dans le département de Vélingara, il ne savait pas si bien faire. Il n’imaginait pas, certainement, qu’une ville syrienne portait le même nom et que celle-ci a logé des femmes martyres de l’islam chiite. Chérif Alhassane Aïdara raconte : «Il n’y a pas de hasard, les érudits ont le don de voir loin. Après le massacre de la famille du Prophète par ses armées, le khalife de l’époque avait pris des femmes de la famille prophétique pour en faire des captives qu’il a fait emmener en Syrie où il vivait. Là-bas, il les a logées dans une zone qui portait le nom de Daroul Hijrat (la maison de l’immigration.). Il n’y a pas de hasard. Ce village est celui de descendants du Prophète, de la famille du Prophète, de l’imam Hussein et de tous les martyrs.» Son grand-père et homonyme, Chérif Alhassane, étant lui-même un descendant de la famille prophétique.
Selon le chef du village actuel, Amadou Tidiane Cissé, 73 ans, «le village est fondé par ses grands-parents en 1949. Une année après, un devin a annoncé l’arrivée, dans le village, d’un savant musulman de teint clair et qu’il ne faudrait, sous aucun prétexte, laisser partir. Il a dit qu’il a vu une mosquée érigée sur le site». Il poursuit : «Mon grand-père eut peur, car dans la zone ne se trouvait aucune mosquée, habitée à l’époque par des animistes qui étaient hostiles à l’islam et qu’il pourrait subir des représailles. Ce que l’homme prédit arriva. Le papa de Chérif Mohamed Aly Aïdara arriva la même année en compagnie du chef de canton de l’époque, Saïdou Diao, à la recherche d’un village d’accueil. L’accord trouvé, le premier khalife de Médina Gounass, Thierno Mahamadou Saïd Bâ, qui avait déjà rencontré l’érudit Chérif Alhassane, est venu bénir l’accord en insistant sur les observances strictes des interdits de l’islam, à savoir pas d’usage d’alcool, ne pas soumettre les femmes à de durs travaux, ne pas élever des chiens et ne pas fumer de la cigarette. Et puis Chérif Alhassane de proposer de débaptiser le nom du village qui porte, depuis lors, le nom de Daroul Hijrat, en lieu et place de Missira Pakane.»
Aujourd’hui encore, conformément au vœu du premier khalife de Médina Gounass, ce village de près de 3000 âmes n’a pas d’école française. Leurs enfants vont dans les écoles des villages d’Amanatoulaye et Sinthiang Aliou, à moins de 3 km de là. Tous les habitants sont d’ethnie peule, dans toutes ses variantes dialectales (peulhs guinée, peulh firdou, toucouleurs).
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