A côté de la mendicité, les élèves des écoles d’apprentissage exclusif du saint Coran et des sciences islamiques, nommés talibés au Sénégal, font du ramassage de la ferraille leur seconde activité pour trouver de l’argent à leur maître pour, dit-on, les entretenir avec. En plus d’être plus digne, la collecte de la ferraille est un filon vraiment porteur pour talibés et maitres-coraniques. Par Abdoulaye KAMARA –

«Un talibé ne vous a-t-il pas vendu une marmite aujourd’hui ?», interroge, toute essoufflée, une femme, trentenaire, venant du village de Biarou à 12 km de Vélingara, situé dans la commune de Saré Coly Sallé. Le tenancier du dépôt de ferraille sis dans un coin bouillant du marché du quartier Sinthiang Houlata de Vélingara n’a pas prêté suffisamment d’attention à la question de la femme, qui a fait 12 km à moto pour retrouver le «voleur» de sa marmite. «Un talibé, tenant un sac plein de ferraille, est entré dans notre maison ce samedi matin, nous n’avons manifesté aucun signe de méfiance à son égard. Après son départ, nous avons remarqué la disparition d’une de nos marmites. Il en est le voleur. C’est sûr», poursuit-elle. Elle espère obtenir une réponse favorable à sa préoccupation. Le tenancier du dépôt, Mohamed Diaby, toujours occupé à noter sur un calepin le poids de la ferraille pesée par ses employés, se donne du temps pour lever les yeux sur son hôte du jour. Puis, il répondit négligemment : «Nous n’avons pas reçu de marmite toute la journée d’aujourd’hui. De Biarou, souvent les talibés s’arrêtent au dépôt se trouvant à l’entrée de Vélingara.» Et puis de continuer de recevoir des bouts de papier sur lesquels les préposés au pesage des rebuts de métaux divers notent le poids de métal ramené par chaque collecteur. La plupart des collecteurs trouvés ce samedi-là autour de Mohamed Diaby et sa dizaine d’employés sont des talibés.
Le ramassage de la ferraille est devenu le nouveau filon porteur des talibés. La nouvelle activité économique de ces jeunes. Oumar Boiro, 18 ans révolus, est talibé, utilisé au quotidien par Diaby. Il décline son identité : «Je suis originaire de la Guinée-Bissau. Je vis ici depuis 7 ans avec mon marabout. J’ai appris tout le Coran et je continue à me familiariser avec certaines sciences islamiques, la charia, des sciences ésotériques et l’histoire de l’islam auprès de mon marabout. J’ai pris de l’âge pour continuer à mendier. Je travaille ici pour trier les différentes sortes de métaux qui arrivent, faire le pesage et parfois aider à embraquer la ferraille dans les camions. Je peux gagner 1000 francs par jour et même plus.» Une information que confirme son patron, qui ajoute : «Ici chaque travailleur journalier, tous des talibés, gagne au moins 1000 francs par jour. Selon la charge de travail, ils peuvent aller jusqu’à 4000 francs, le maximum qu’ils peuvent gagner par jour avec moi.» Désormais, ils sont nombreux à avoir abandonné la sébile pour des sacs en nylon dans lesquels ils mettent des métaux divers ramassés dans les rues, les décombres ou chantiers de bâtiments ou autour des ateliers de réparation de voitures, de réfrigérateurs, etc. «Il arrive que les talibés volent. Parce que la pression est forte : il faut coûte que coûte présenter de l’argent à son marabout. Sinon c’est la belle correction», déclare, dépité, un enseignant. Pour sortir de la ville de Vélingara et se rendre dans l’arrière-pays à la recherche de la ferraille, les talibés font dans l’autostop, avec moins de bonheur ils peuvent faire des kilomètres à pied, avec un sac lourd de métaux. Mais au bout de l’effort, il y a la joie. Oumar Boiro enchaîne : «Travailler et obtenir de l’argent vaut mieux que de mendier. Avec la ferraille, on gagne de l’argent à tous les coups.» Pour avoir une idée du nombre de talibés dans la seule ville de Vélingara, M. Diaby renseigne : «Il y a au moins 9 daaras avec chacun une vingtaine de talibés au moins.» Donc chaque jour près de 200 jeunes sont libérés dans les rues de Vélingara. Si tous devaient mendier leur pitance au quotidien, certainement beaucoup de talibés allaient rentrer le ventre creux. Heureusement que Diaby leur offre une alternative. Même si on pourrait parler de «pire forme de travail des enfants», car ils ont une moyenne d’âge de 11 à 12 ans.
Allier travail et études
Pour Oumar Boiro talibé, la collecte des métaux n’empêche aucun talibé d’apprendre le Coran à temps plein. Il donne leur emploi du temps journalier : «Nous nous levons à 5 heures 30 pour étudier le Coran après la prière de fadjr. Vers 7 heures, nous sortons de la maison pour aller quémander le petit déjeuner et puis aller au travail pour ce qui me concerne et bien d’autres aussi. A 14 heures, nous nous retrouvons tous à la maison pour étudier le Coran jusqu’après 17 heures. On peut sortir ensuite pour revenir la nuit étudier.» Mohamed Diaby confirme : «A 14 heures, je libère les talibés qui rentrent apprendre le Coran. Leur marabout sait qu’ils sont là, pour ce qui concerne les permanents. Je les utilise, au besoin, dans mon champ de 7 heures à 14 heures au su du marabout.» D’ailleurs pour un test, Oumar Boiro a parfaitement récité la dernière sourate du Coran : La Vache. Preuve qu’il étudie au daara à des heures précises, malgré le long temps mis dehors. Mais à quel rythme ?
De toutes les façons, en plus de débarrasser la ville de Vélingara et environs de ses rebuts de métaux à recycler, parfois dangereux, Diaby apprend aux talibés à vivre à la sueur de leur front et oublier la facilité de la main tendue.
Dans ce coin de ce marché, la ferraille est partout, obstruant parfois la circulation, surtout quand des camions gros porteurs se positionnent pour em­barquer les fers «vers Da­kar», a informé Mohamed Diaby.
Ici se retrouvent plusieurs types de métaux qui n’ont pas la même valeur marchande. «Le prix du fer fluctue selon le marché international, actuellement le kg est à 100 francs, l’aluminium, le cuivre coûtent 500 francs le kg. Il y a d’autres types de métaux dont le prix au collecteur est déterminé par la loi du marché», note Mohamed Diaby.
Les talibés modèles de réussite sociale au pays
Oumar Boiro, talibé, ajoute : «L’argent que je gagne au quotidien est remis au marabout. Qui prend une partie et garde une partie pour moi. J’en garde pour moi-même dans des lieux que je tiens au secret. Après avoir réuni un montant assez important, le marabout devra m’autoriser à aller rendre visite à mes parents en Guinée-Bissau. Je n’y suis pas allé depuis 7 ans. Mais je communique avec eux de temps à autre.» Oumar et son marabout sont tous originaires des villages peuls de la zone de Pirada, non loin de la frontière avec le Sénégal.
Le marabout, Thierno S. Baldé, renchérit : «Après avoir libéré un talibé, majeur, je l’accompagne revoir ses parents. Il aura gardé assez d’argent pour s’acheter des vêtements pour lui-même et pour des membres de sa famille. Arrivés au pays, nous sommes bien accueillis et l’enfant est couvert d’admiration par les parents et voisinage : il peut présider des prières, donner des conférences religieuses, tout en se montrant courtois, propre, altruiste et généreux.» Selon toujours Thierno S. Baldé, «dans nos contrées, il n’y a presque pas de réussites sociales produites par l’école d’enseignement du portugais. Très peu d’enfants fréquentent ces écoles et ne poursuivent pas loin leurs études. Ceux qui ont la chance d’étudier le portugais ne sont pas plus nantis que ceux qui ne sont pas allés à l’école. En tout cas dans les villages de Pirada et même vers le Ngabou que je connais mieux.»
A chaque retour au pays natal, «on nous confie la charge d’apprendre le Coran à d’autres petits. Nous ne sommes pas demandeurs. Avec souvent ce mot : «Je te le donne pour la vie et la mort. Je ne veux le voir ici que quand il aura appris le Coran totalement.» Il s’agit souvent de neveux, de voisins, mais aussi de citoyens inconnus simplement fascinés par le bon comportement des produits de nos écoles, contrairement à ceux qui sont allés dans d’autres types d’écoles dont le comportement est peu recommandable». Le marabout ajoute : «Ce sont des marabouts, anciens talibés, qui ont des maisons dans les grandes villes du Sénégal, qui hébergent les compatriotes dans ces localités en saison sèche pour travailler dans les chantiers de bâtiments ou comme gardiens dans des domiciles et trouver les moyens financiers pour prévenir la soudure des mois d’août et septembre.» Dans ce pays, selon M. Baldé, les modèles de réussite sociale se nomment marabouts ou émigrés et non intellectuels en langue portugaise.
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