#Vélingara – Désaffection pour l’école française : A Djiba Moudou, l’arabe et le Coran dans les cœurs

Djiba Moudou se détourne de l’école publique sénégalaise. Le village d’origine de Ousmane Tounkara, activiste sénégalais basé aux Etats-Unis, préfère inscrire ses enfants à l’école d’enseignement de l’arabe et du Coran, plutôt qu’à celle qui enseigne en français. Enda jeunesse action a initié un forum pour en trouver les causes et puis des solutions.Par Abdoulaye KAMARA –
Il existe encore au Sénégal des villages qui ne sont pas très attirés par l’école publique d’enseignement en français. C’est le cas du village d’origine de l’activiste sénégalais basé aux Etats-Unis, Ousmane Tounkara. Dans l’école élémentaire de Djiba Moudou, village de la commune de Kandia, dans le département de Vélingara , se trouve une classe à cours multiples (Ci/Cp) qui compte 5 élèves contre 75 pour une seule classe de l’école privée d’enseignement de l’arabe et du Coran de la localité. Une situation qui préoccupe Enda jeunesse action (Eja) qui a mis ensemble, pour en discuter, enseignants, gestionnaires du système éducatif du terroir et parents d’élèves. C’était jeudi passé dans la place publique de ce village qui fait près de 500 habitants. Chérif Diao, responsable de projet à Eja, a justifié la tenue du forum : «Constatant que l’école publique de Djida se dirige vers une mort certaine, j’ai posé le problème de la cohabitation avec l’école privée arabe qui la concurrence fortement. Je m’en suis ouvert à l’inspection de l’Education qui a accepté de nous accompagner dans la réflexion pour trouver des solutions.»
Chérif Mballo, le directeur de l’école d’enseignement en français de Djiba Moudou, présente son établissement. Il révèle : «L’école élémentaire publique de Djiba compte 6 classes pédagogiques pour 3 classes physiques. Nous fonctionnons avec des classes à cours multiples. Chacun des 3 enseignants gère 2 cours. Aucune classe n’a plus de 10 élèves. Le Ci/Cp compte 5 élèves dont 3 pour le Ci et 2 pour le Cp. Nous avons également un enseignant en arabe. Malgré cela, les élèves abandonnent l’école publique pour rejoindre l’école privée arabe. Parfois en pleine année scolaire. La situation est grave. L’école meurt à petit feu.» Alors que, ajoute-t-il, «l’école privée arabe compte 6 classes pour le cycle élémentaire et 2 classes pour le cycle moyen (une classe de 6ème et une classe de 5ème). L’enseignement y est gratuit. Les bâtiments sont bien entretenus. Les prestations et les fournitures sont assurées par la diaspora du village. Chacune des classes fait près de 70 élèves.»
Cette rencontre d’échanges initiée par Eja, qui a connu une forte mobilisation des habitants du village, des femmes surtout, toutes voilées, a déterminé les causes de la désaffection pour l’école publique au profit de l’école privée arabe.
Les causes évoquées
Selon le directeur de l’école publique, Chérif Mballo, «le village de Djida Moudou est très porté vers l’islam. Les parents préfèrent l’enseignement de l’arabe et du Coran à toute autre forme d’enseignement». Pour ce parent d’élève, la cause de la désaffection pour l’école d’enseignement en français est le dénuement de celle-ci : «L’environnement physique de l’école publique n’est pas attractif. La seule classe en dur n’a pas de toiture, les portes sont ballantes et le plancher est sablonneux. Nous ne pouvons pas laisser nos enfants étudier sous les rayons du chaud soleil. Les 2 autres classes sont en huttes. Il faut construire des salles de classe.» Fodé Diaby, enseignant qui a fait un séjour de 5 ans à Djida, croit savoir : «Il y a une famille influente du village qui s’est retirée de l’école et a dû influencer les autres. C’est la famille qui assure à la fois la chefferie du village et les fonctions d’imam.» Et puis, le comportement des enseignants peut créer un désamour vis-à-vis de l’école. M. Diaby se remémore : «Je me rappelle, quand j’étais directeur de cette école, un parent avait retiré son enfant pour avoir surpris un enseignant, debout à la porte de sa classe, habillé en short, tenant une cigarette à la bouche. Ce parent a dit qu’il ne peut pas confier l’éducation de son enfant à une personne qui fume de la cigarette et qui se met en short devant les enfants.» Et puis : «Ceux qui vont au collège abandonnent à mi-chemin pour cause de mariage forcé pour les filles et, pour les garçons, faute de moyens de transport (vélo) jusqu’au village de Médina Mary Cissé qui abrite le collège (10 km de là). Donc aucun avenir en perspective pour ces élèves.» Saïbo Yaffa, président du Comité de gestion de l’école de Djida, ajoute : «Ici, on croit qu’aller à l’école française, c’est épouser des habitudes et pratiques contraires aux recommandations de l’islam.» Un enseignant de la zone précise : «Il y a aussi que la diaspora de ce village est très aisée et analphabète en français, pour la plupart. L’école d’enseignement en français n’a pas produit dans ces localités, des modèles de réussite sociale qui pourraient convaincre des vertus de l’enseignement en français.»
Solutions préconisées
Les inspecteurs de l’Enseignement en arabe et de l’enseignement en français, responsables de la zone pédagogique en question, avaient participé au forum de Djida Moudou. Omar Lèye, inspecteur d’Enseignement en arabe, explique : «C’est un manque d’ouverture d’esprit qui pousse à croire qu’étudier dans les écoles d’émanation coloniale est illicite pour un musulman. L’islam recommande la recherche du savoir, n’importe lequel, pourvu qu’il soit utile pour soi et pour sa communauté. Par exemple, étudier les sciences physiques peut mieux faire comprendre les miracles de la création divine et raffermir sa foi. Donc les 2 types d’enseignement peuvent bien cohabiter dans la paix pour le bonheur des enfants.» M. Lèye a étayé ses propos avec des hadiths prophétiques et des versets du Coran, déclamés dans un arabe châtié. L’inspecteur d’Enseignement option français, responsable de la zone pédagogique, Pape Abdoulaye Seck, a indiqué : «Nous remercions Eja pour avoir initié cette rencontre si importante qui nous a permis d’en savoir plus sur les difficultés d’accès à l’école dans ce village. Il y a une forte concurrence de l’école privée arabe au détriment de l’école publique. Nous allons poursuivre la sensibilisation, élaborer des plans d’actions avec Eja et chercher à améliorer l’environnement de l’école. L’enseignement de l’arabe à côté du français ne devait pas poser problème puisque l’option de l’Etat, c’est d’aller vers la diversification de l’offre éducative.» Pour le directeur de l’école élémentaire de Djida, «il faut aller vers la fusion des 2 écoles et enseigner équitablement dans ces 2 langues». A ce propos, l’inspecteur en arabe dit : «Il faut certes enseigner équitablement l’arabe et le français, mais il faut aussi interroger les contenus des enseignements dispensés par certaines écoles privées arabes. On ne peut pas laisser les écoles enseigner sans avoir un œil sur les contenus de leurs programmes.» A rappeler qu’Eja appuie les établissements scolaires de la zone pour booster les performances des élèves.
En début d’année scolaire, son responsable local, Chérif Diao, a remis 100 000 francs au Comité de gestion de l’école (Cge) aux fins de rendre disponibles les fournitures scolaires, pour ne pas retarder le démarrage des cours. Il a fortement recommandé au Cge de donner cahiers et stylos à crédit aux élèves et parents. Les fonds issus de la vente desdites fournitures reviennent à l’établissement. Mieux, l’Ong a aussi mis à la disposition du village, des chaises et des ustensiles de cuisine à louer. Là également, les fonds issus des prestations visent à rendre autonomes les femmes du village pour mieux s’occuper de l’éducation de leurs enfants.
akamara@lequotidien.sn