Il est le seul réparateur de montres encore en activité dans la ville de Vélingara. Founé Baldé, 58 ans, reconnaît que le métier est en voie de disparition, même si, avec les revenus générés par ses prestations, il parvient à faire bouillir la marmite à la maison. Le Quotidien est allé retrouver Founé dans son horlogerie sise au Marché central de Vélingara.Par Abdoulaye KAMARA(Correspondant) –

On croyait le métier inexistant de nos jours. Du fait de la multiplicité des instruments de lecture de l’heure (téléphones) et, surtout, de la modicité du prix d’achat d’une montre. Le métier de technicien en réparation ou en réglage des montres, pendules ou réveils résiste au temps. Défie la technologie. Affronte l’électronique. 10 heures 46 mn, jeudi 3 août. Sous la véranda de la vieille bâtisse qui logeait la défunte Sonadis (Société nationale de distribution) de Vélingara, est assis un homme, la soixantaine toute proche, aux cheveux grisonnant, l’habillement peu soigné, qui s’y tourne les pouces. Il lève des yeux dans lesquels se lit l’espoir de recevoir le premier client du jour. Les genoux presque coincés à une table haute d’à peu près 80 cm, sur laquelle se trouvent des rebuts de montres, des pièces détachées, de vieilles horloges, des pendules, des montres en bon état et divers outils de réparation, Founé Baldé, horloger comme on le nomme, scrute le vide dans l’espoir dans de recevoir un premier client. Il dit, presque désespéré : «Je n’ai pas encore reçu de client depuis 8 heures que je suis là. Je croyais que tu venais avec une montre à réparer», dit-il d’un ton décontracté. Trouvant là un interlocuteur pour briser le silence dans lequel il se trouve plongé, il donne des informations sur la pratique du métier à Vélingara : «Je suis le seul horloger en activité actuellement à Vélingara. Nous étions 3 à pratiquer le métier ici, il y a 15 ans. Mais depuis les années 2008, je suis le seul réparateur dans toute la ville. Peut-être dans le département aussi. Je reçois des clients venant de plusieurs villages du département en tout cas.» La discussion est interrompue par l’arrivée d’un octogénaire. Babagallé Keïta, notable du quartier Hafia, tend une montre dont le boitier a perdu les verres qui le couvrent. Founé s’ingénie à lui trouver une vieille montre de même calibre pour changer les brisures de verres de la montre du vieil ami de son défunt papa et maître dans le métier. La prestation faite, le vieil homme remercie Founé et formule des prières. Sans bourse délier. «Je ne peux pas lui faire payer. Vu son âge. C’est un habitué des lieux», indique-t-il. A 13 heures 28 mn, arrive un jeune trentenaire dont les bracelets de la montre ne tiennent plus sur le cadran. Pour sa remise en l’état, il débourse 500 francs. Cette tâche effectuée avec minutie, sans porter de verres correcteurs, Founé Baldé clôt sa journée, devant rentrer avec la somme de 500 francs à la maison. Non sans donner rendez-vous pour 15 heures dans l’après-midi. Dans l’espoir qu’un client pourrait se signaler et qu’il pourrait retrouver, le soir venu, sa famille de 4 enfants et leur maman avec au moins 500 francs supplémentaires dans les poches.

«Le métier nourrit ma famille»
Lorsqu’à la fin des années 70, le jeune Founé Baldé acceptait de se mettre aux côtés de son défunt papa pour apprendre le métier de technicien en réparation et réglage des montres, l’art faisait bien nourrir son homme. «Notre Papa nous a nourris avec ce métier. Il avait, un moment, établi son atelier dans ce marché, mais pas pour longtemps. Etant sûr de son art, il a déménagé à la maison qui ne désemplissait pas. Ça marchait bien. Ayant abandonné l’école, j’ai aussitôt songé à me mettre à ses côtés pour apprendre. Je n’ai rien regretté sur ce plan. Le seul regret, c’est d’avoir abandonné les études en classe de Cp (Cours préparatoire)», rappelle-t-il. Et puis d’évoquer les marques de montres qui étaient les plus prisées. Founé cite : «Rolex, Mortima, Sony, Omega, Nido, Plica…» De toutes ces marques, croit-il savoir, les marques Rolex et Sony sont toujours dans le marché, mais en version électronique. Il précise : «J’ai appris le métier avec des montres fonctionnant de manière mécanique, cela ne m’empêche pas, aujourd’hui, de réussir à remettre à l’endroit des montres électroniques. La technologie n’a pas pu nous dérouter dans le métier.» Toutefois, reconnaît-il, «les recettes baissent progressivement. Je peux rentrer avec 4000 francs, 2000 francs ou même 500 francs. Mais jamais bredouille. Je nourris ma famille à partir de l’argent que je reçois de cet atelier. Je n’ai pas d’autres activités. Je ne pratique même pas l’agriculture. Je ne reçois plus autant d’argent que les années d’avant-2005. Mais Dieu merci, ma famille ne connaît pas de période de disette».

Les clients de cet artisan se comptent parmi toutes les couches de la population, notamment les jeunes et les vieux, avec une prédominance des personnes âgées. Babagallé Keïta, octogénaire, témoigne : «Je suis analphabète en français, je ne peux pas lire les chiffres. Les aiguilles et leur position sur la montre n’ont pas de secret pour moi. Et puis, depuis plus de 50 ans, je ne me suis pas séparé d’une montre.» Moussa Camara, sexagénaire, n’a pas dit le contraire : «Je suis habitué à mettre une montre sur le bras. Sans montre, je sens un vide, un sentiment de manque dans l’apparence. Et ça me gêne que l’on constate que la montre que je mets ne fonctionne pas. C’est pourquoi toutes les montres que je mets indiquent la bonne heure. Je me rends souvent chez le réparateur pour toujours être à l’heure à la mosquée.»

L’avenir du métier en question
Founé Baldé travaille seul. Non content d’être le seul pratiquant du métier d’horloger dans cette ville de près de 40 000 âmes, il ne forme aucune autre personne, en ce moment, et n’en a jamais formé auparavant.

Il renseigne : «Je n’ai jamais reçu d’apprenti, jamais reçu de demande dans ce sens. Mon père aussi n’en avait pas. Ms Sané et Keïta, qui étaient les 2 autres horlogers établis dans cette ville, en avaient. Je ne sais pas ce que sont devenus ceux-ci après le décès de leurs maîtres.» Founé Baldé poursuit : «Mes enfants ne vont pas apprendre ce métier. Il est en chute libre. En voie de disparition. Les nouvelles technologies vont entraîner sa mort certaine.» Le certificat de décès du métier de réparateur de montres est en transcription à Vélingara. Sa signature n’empêchera pas pour autant le port de la montre. Que faire, ce moment venu, en cas de besoin de réparation ? C’est la question que tout le monde se pose.
akamara@lequotidien.sn