Par Abdoulaye KAMARA – En cette Semaine nationale de l’état civil (du 8 au 17 août) initiée par le Ministère des collectivités territoriales, de l’aménagement et du développement des territoires (Mctadt), les citadins de la ville de Vélingara continuent de boire jusqu’à la lie le calice de l’incendie de son Hôtel de ville un jeudi de l’année 2010 ; en termes de difficultés de trouver une copie de faits d’état civil. La difficile reconstitution des archives est passée par là. Retour sur un jeudi noir et ses conséquences.
Dans son bureau exigu de l’Hôtel de ville de Vélingara, le responsable de l’état civil ne se tourne pas les pouces. Moussa Diarra, à chaque minute de son temps de travail, est sollicité pour l’établissement d’une pièce d’état civil ou pour en récupérer une commande déjà payée. Le sexagénaire bien accompli semble trouver du plaisir à feuilleter de la paperasse, à être entouré de registres d’état civil, en vrac, sur son bureau, à même le plancher, tout autour de lui. Les quelques étagères disponibles dans le local ne parvenant pas à contenir tous les registres, certains sont posés à même le sol. Mais ce n’est pas là le problème de l’état civil de Vélingara. «Nous parvenons à satisfaire les citoyens demandeurs de nos services, à la limite de nos possibilités», rassure-t-il d’emblée. La trentaine d’années passées dans ce service prédispose Moussa Diarra à bien accueillir et à bien servir ses concitoyens de Vélingara. Toutefois, note-t-il : «La reconstitution des archives, après l’incendie de mars 2010, n’est toujours pas achevée. Cela pose problème. Des citoyens, dans un besoin urgent, sont souvent étonnés de constater qu’ils ne peuvent pas se faire établir une copie d’état civil jusqu’à nos jours.» Il explique : «L’incendie des locaux de la mairie, en mars 2010, a détruit la totalité des documents qui se trouvaient sur les lieux. Toutes les archives étaient perdues. Impossible de trouver une référence pour établir valablement une copie. De 2010 à 2015, il fallait se rendre à Kolda avec une copie de sa pièce datant d’avant l’incendie pour obtenir un «soit-transmis» au Tribunal et puis revenir quérir une copie.» Il poursuit : «Après l’incendie, le Président Abdoulaye Wade avait fait publier un décret instituant une Commission spéciale pour la reconstitution des archives de l’état civil communal de Vélingara. Une commission qui n’a toujours pas vu le jour, 13 ans après.» Conséquence, c’est la croix et la bannière pour que les natifs de la ville du maire Mamadou Oury Baïlo Diallo, âgés de plus de 13 ans ou qui se sont fait établir un certificat de décès ou un acte de mariage il y a plus de 13 ans, et qui n’ont pas cherché à approcher les tribunaux pour une autorisation spéciale d’établissement d’un fait d’état civil, puissent en avoir une copie. Et ils sont nombreux. Moussa Diarra donne des détails : «En 2015, nous avons reçu l’autorisation de faire les actes au niveau du Tribunal de Vélingara. Pendant 6 mois, les frais étaient pris en charge par l’Etat. Malgré la proximité et la gratuité, très peu de gens ont profité de cette offre. Ça devient compliqué année après année», se désole-t-il. Il renseigne davantage : «Pour la reconstitution de la totalité des archives de faits d’état civil perdus, il faut 4000 registres. Ce devait être à la charge de l’Etat, qui ne l’a pas fait. En plus des registres, il faut débourser 7500 pour le paraphage de chaque registre. C’est énorme tout cela. Cela ne devait pas provenir du budget communal.»
La destruction des archives de l’état civil de Vélingara a eu des conséquences fâcheuses dans la vie des citoyens. Des étudiants ont raté des concours professionnels, des élèves n’ont pas pu se présenter à des examens scolaires, faute du sésame. Et puis il y a eu cette mésaventure racontée par Moussa Diarra : «Un adulte d’âge mûr a pleuré comme un bambin dans mon bureau en 2016. C’est en fait un émigré devant voyager le lendemain, qui devait renouveler une pièce dont l’obtention exigeait la présentation préalable d’une copie d’extrait d’acte de naissance datant de moins de 3 mois. Il ne pouvait pas en avoir avant un long délai. Il a versé des larmes. On ne sait pas ce qu’il est devenu après.»
L’espoir avec le programme Nekkal
L’Agence nationale de l’état civil a initié le programme Nekkal, qui est un projet d’appui au renforcement du système d’information de l’état civil et à la consolidation d’un Fichier national d’identité biométrique. Ce programme, qui intervient, pour une première phase, dans 8 communes du Sénégal dont Vélingara, se propose de moderniser l’état civil à travers sa digitalisation. Dans ce domaine, Omar Ndiaye, adjoint au maire de Vélingara, note : «Le projet Nekkal est en train de construire un centre secondaire d’état civil dans la ville. Il sera réceptionné au mois d’octobre. Avec ce centre qui sera informatisé, tout citoyen de Vélingara, pour se faire établir un fait d’état civil, n’a pas besoin de se déplacer. Sa demande est satisfaite via le net. Ce qui règle définitivement le problème de l’archivage des documents et de leur conservation.» Et puis, toujours avec ce projet, selon Omar Ndiaye : «Nekkal va travailler à la restauration de certaines archives perdues. Un Comité communal chargé des faits d’état civil, composé de personnels de la santé, de religieux, de la presse, de leaders communautaires, est déjà mis en place. Ce comité va organiser beaucoup de séances de mobilisation communautaire pour sensibiliser sur l’importance des faits d’état civil, organiser des émissions radio… Les membres dudit comité devront inciter les populations, au cours des cérémonies de baptême, de mariage ou de décès, à se diriger vers les centres d’état civil pour obtenir un document administratif.»
Du jeudi noir de l’état civil
Le monde connut son jeudi noir en 1930, marqué par une mémorable crise économique. La ville de Vélingara, dans la région de Kolda, a aussi eu son jeudi noir. Le 18 mars 2010, en milieu de matinée, la mairie de la ville est incendiée, les domiciles privés de certaines personnalités politiques ciblées par des jets de pierres, certains carrément mis à sac. De même que le campement touristique municipal.
Les présumés auteurs de ces actes violents protestaient contre la forclusion de leur équipe de football, l’Asc Kawral, pour sa montée en Ligue 2 professionnelle. Moussa Niang, président de l’Asc Kawral au moment des faits, relate : «L’Asc Kawral s’est qualifiée avec brio à Kaffrine pour monter en Ligue 2. Nous avions déposé un dossier au niveau de la Ligue pro. Il y avait un cahier des charges à respecter. Et la Ligue pro a rejeté notre dossier. Pour protester contre ce rejet, nous avons organisé une marche, autorisée d’ailleurs. Le matin du 18 mars, nous avons fait la marche, traversé le Marché central sans aucun débordement. J’ai eu l’honneur de lire le mémorandum devant le Préfet. Pendant qu’on lisait le mémorandum, des éléments nous ont attaqués avec des jets de pierres. Nos éléments ont riposté. Nous, en tant qu’organisateurs et dirigeants, avons essayé de calmer la furie des jeunes. Malheureusement, ça a dégénéré. La mairie a été incendiée. Puis d’autres débordements ont été notés dans la ville. Nous étions 25 à être interpellés et envoyés à la Maison d’arrêt et de correction de Kolda. En première instance, nous avons été condamnés. Après avoir interjeté appel, la Cour d’appel nous a relâchés, après un séjour d’un peu plus de 8 mois à la Mac de Kolda.»
En fait, le rejet du dossier de l’Asc Kawral par la Ligue pro est lié au défaut de paiement des frais de participation de 6 millions de francs exigés pour prendre part à ce niveau du championnat professionnel. Les jeunes sportifs en voulaient aux responsables politiques de la localité, coupables, à leurs yeux, de ne pas les avoir assez soutenus pour trouver la somme d’argent demandée. Ce qui était présenté comme une marche pacifique dégénéra pour devenir le cauchemar des populations : la mairie et ses archives totalement détruits. En son temps, on a estimé à quelque 3000 le nombre de jeunes ayant pris part à cette marche.
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