Tout comme son prédécesseur, le Président Bassirou Diomaye Faye aurait donné des instructions à l’ambassadeur du Sénégal en France pour sauver des enchères la bibliothèque du premier Président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor. Après ses médailles, ses livres sont sur le point d’être dispersés au cours d’une vente devant se dérouler ce 16 avril à Caen, en France. Et pour Sally Alassane Thiam, président de l’Ong Afrique-Patrimoine, cette démarche ne peut pas continuer à chaque fois car, dit-il, le Sénégal n’est pas un pays riche. Il préconise plutôt une approche bilatérale à ce problème.La grande majorité de la bibliothèque de l’ancien président de la République du Sénégal Léopold Sédar Senghor sera mise en vente aux enchères le 16 avril prochain à Caen, en France. Et ce sont des ouvrages de portée historique et un trésor littéraire et patrimonial qui risquent d’être éparpillés. Qu’est-ce qui se passe ?

Il y a lieu de rappeler la genèse du problème. Le Président Senghor possédait plusieurs belles bibliothèques. Il y a celle qu’il a laissée à Dakar, d’autres à Caen, d’autres à Paris et d’autres dans des collections. Maintenant, cette bibliothèque dont on parle, qui était la bibliothèque personnelle du Président Senghor, se trouvait au niveau de la Normandie. Et quand le Président Senghor meurt en 2001, il a laissé ses objets personnels à son épouse Colette Senghor. Quand cette dernière meurt également en 2019, elle laisse les objets à sa sœur. A la mort de cette dernière, les objets sont allés à sa gouvernante, c’est-à-dire la dame qui s’occupait d’elle durant ces dernières années à Verson, en Normandie. Donc aujourd’hui, c’est cette dame qui a hérité de la sœur de Colette ces objets-là, qui les met en vente pour pouvoir peut-être survivre et également payer au fisc français les droits de succession qui sont des impôts qu’elle paye à l’Etat français, sur ce qu’elle a hérité. Et c’est là d’où vient tout le problème.

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Elle a déjà vendu différents tableaux d’abord en France, avec la complicité de son notaire qui ne l’aide pas du tout à régler ce problème. Et c’est quand même très gênant de voir des objets personnels du Président Senghor, ses décorations qui sont de portée historique, être vendus en octobre dernier au niveau de Caen. C’est très grave et c’est une honte, au nom de la relation séculaire que le Sénégal entretient avec la France, de voir des objets d’un ancien Président, qui plus est membre de l’Académie française et un des pères fondateurs de la Francophonie, mais aussi qui a donné son nom également à la promotion de l’Ecole nationale d’administration d’où est sorti le Président Macron. Donc, c’est quelque chose de très regrettable ! Cette dame avait également fait d’autres ventes avant celle d’octobre dernier.

C’est une démarche aujourd’hui qui continue de prospérer et heureusement que l’année dernière, pour la préservation de la mémoire du poète et père de la Négritude, le Président Macky Sall avait arrêté l’hémorragie en achetant l’ensemble des objets personnels de Senghor qui se trouvent aujourd’hui au niveau du Musée des civilisations noires de Dakar. Et 6 mois après, cette dame revient aux nouvelles en voulant vendre la bibliothèque de Senghor. Donc, c’est quand même un problème très grave. Et le 16 avril prochain à l’hôtel des ventes de Caen en France, aura lieu la vente aux enchères d’une partie de la bibliothèque du père fondateur de la Nation sénégalaise qui est le Président Léopold Sédar Senghor.

Vous vous rendez justement à Caen pour dénoncer cet acte, afin que cela ne puisse plus se reproduire. Quelle coopération faudrait-il envisager entre la France et les nouvelles autorités sénégalaises pour empêcher la vente de ces œuvres et garantir leur préservation ?
Le Sénégal et la France sont déjà des partenaires à bien des égards par l’histoire, par l’économie, par la culture, par le patrimoine matériel. Et même le palais de la République du Sénégal aujourd’hui, c’est un patrimoine qui date de l’époque coloniale, parce que c’était l’ancien Palais du gouverneur qui a été construit en 1905. Et on peut aussi citer Saint-Louis. Là-bas, il y a le métissage, il y a la culture, le patrimoine. Donc, ce sont des relations séculaires qui ne datent pas d’aujourd’hui. Rien que pour cela, la France doit pouvoir accompagner son partenaire sénégalais à sauver ces objets.

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L’Etat français est directement impliqué parce que cette dame qui a hérité des objets paie 60% à l’Etat français. Donc, par le biais du ministère de l’Economie français, le gouvernement français, notamment le Président Emmanuel Macron, peut demander au ministère de l’Economie d’exonérer ces charges d’impôts à la dame. Et ensuite voir comment le Sénégal peut avoir un droit de préemption, c’est-à-dire qu’il ait la priorité pour l’achat à un franc symbolique de tous ces objets, afin que l’ensemble du patrimoine de Senghor, qui est un trésor patrimonial, un trésor littéraire, puisse revenir et servir au niveau des bibliothèques, de l’enseignement, de l’éducation sénégalais, mais également africains. Et aujourd’hui, c’est une situation très compliquée et on doit juste éviter que cela se reproduise dans les prochaines années, parce que cette dame a encore un patrimoine extraordinaire dans ce qu’elle a hérité. En tant qu’organisation non gouvernementale et membre de la Société civile, on ne peut pas prendre position. Tout ce qu’on peut, c’est tirer la sonnette d’alarme et alerter pour dire quelles sont les dispositions à prendre.

Alors, quelles actions concrètes votre organisation, Afrique-Patrimoine, compte-t-elle entreprendre pour s’opposer à cette vente et protéger ces œuvres ?
Des actions concrètes, c’est d’abord, hier (vendredi), lancer un message symbolique dans la maison-même où a vécu le Président Senghor, pour que l’opinion internationale et l’ensemble de l’opinion nationale puissent être au courant de ce scandale. C’est la première action concrète que l’on a faite avant de prendre l’avion pour aller en France afin de dénoncer cet acte. Et en tant que président de l’Ong Afrique-Patrimoine, j’ai écrit un ouvrage sur la protection du patrimoine et les enjeux que le patrimoine pouvait avoir au sein de nos nations. (Ndlr : Le livre est intitulé : «Mon combat pour le patrimoine de l’Afri­que »). Mais dans ce livre, j’explique également que l’Afrique ne peut pas faire l’impasse sur son héritage culturel.

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Et aujourd’hui, ce sujet-là peut rentrer dans la question de la restitution. Il faut restituer ce qui appartient à l’Afrique, au Sénégal. On va aussi alerter les médias internationaux. Et l’autre action concrète, c’est de mettre en place une forme de convention internationale sur le patrimoine africain pour que l’ensemble des pays européens et africains qui sont engagés sur des sujets de la restitution, puissent prendre des décisions et aussi se baser sur des textes juridiques pour trouver une solution. Et le deuxième objectif, c’était le sujet de la représentation des sites du patrimoine africain à l’Unesco. Et ce qu’on avait convenu, c’était de créer d’abord le label du patrimoine africain en Afrique pour que les Africains puissent eux-mêmes prendre en main le destin de leur patrimoine. Et ensuite, proposer des ouvertures à l’international avec une meilleure représentation au niveau de l’Unesco. Ce sont là des actions concrètes qu’on a menées depuis 4 ans sur le terrain pour que les choses puissent avancer.

Comment pensez-vous sensibiliser le public, tant au niveau local qu’international, sur l’urgence de protéger et préserver ce patrimoine culturel africain lorsque des œuvres aussi significatives sont sacrifiées pour des gains financiers ?

Le message, il est simple. Aujourd’hui, on essaie juste de sensibiliser la jeunesse africaine de manière générale et de l’appeler à retourner à sa source, d’aller s’abreuver au patrimoine culturel et naturel de son histoire, de son pays. Le Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, apparemment, a donné des instructions pour que l’ambassadeur du Sénégal en France, Maguette Sèye, puisse acquérir ces objets. Et j’ai eu la nouvelle tout à l’heure, dans l’après-midi (samedi). Et apparemment, les objets seront achetés par l’Etat du Sénégal. Mais notre démarche, c’est de dire qu’on ne peut pas à chaque fois acheter des objets. Le Sénégal n’est pas un pays riche. Donc, les fonds qu’on a aujourd’hui peuvent servir à gérer d’autres priorités au lieu d’aller acheter des objets. Ce que l’on dit, c’est non aux ventes aux enchères. Ce que l’on dit, c’est que le Sénégal doit arrêter d’acheter des objets. En tant qu’expert du patrimoine et membre de l’Ordre mondial des experts de Genève, j’ai dénoncé ce problème. On ne doit pas acheter, on doit essayer de trouver d’autres moyens pour régler ce problème dans le cadre de la coopération bilatérale culturelle. Donc, l’Etat français peut faire un acte symbolique en exonérant fiscalement cette dame de ce qu’elle doit payer. Et que le Sénégal puisse mettre un franc symbolique afin de récupérer la totalité du patrimoine de Senghor et le conserver, afin que cela puisse servir les universités, les centres de recherche et les musées. Donc, l’invite est que ce problème, qui est devenu récurrent, ait une approche bilatérale.

Propos recueillis par Ousmane SOW