Vente des migrants : que d’hypocrisie !

L’esclavage du 21e siècle, pratiqué encore dans beaucoup de pays et particulièrement mis en évidence en Libye à travers les médias, continue encore d’alimenter les débats. Et tout le monde y va de sa surprise, et de son indignation.
C’est certes une abomination, car penser à ces lieux où on marchande des êtres humains, donne envie de vomir et nous fait remonter aux pires moments de notre histoire. Mais il serait dommage de s’arrêter au fait sans s’interroger sur le reste, parce que ce qui se passe en Libye ne relève pas de la «génération spontanée», c’est un résultat et il serait aussi malheureux que l’on efface de notre mémoire collective certains évènements, surtout quand ils sont si récents. Les faits sont têtus et le devoir de mémoire est un droit sacré.
La Libye de Mouammar el Kadhafi gênait plus d’un, surtout les pays occidentaux et cela pour plusieurs raisons, dont deux mériteraient d’être rappelées.
Le guide libyen, malgré son exubérance, dérangeait pour son attachement presque viscéral aux Etats-Unis d’Afrique et en ce sens, il fait partie de ceux qui ont encouragé et accompagné le processus de création de l’Union africaine. Mais il a surtout participé à la mise en place d’instruments de souveraineté comme le premier satellite africain pour assurer l’indépendance du continent en matière de communication notamment. Il n’avait de cesse de libérer l’Afrique du carcan dans lequel il est enfermé.
Mais le plus insupportable est la situation enviable vécue en Libye malgré les schémas et la manipulation présentant Kadhafi comme un tyran, avec la gratuité des besoins de base, la modicité du prix de certains produits, et le soutien apporté aux familles.
Mais la goutte qui a fait déborder le vase est sans aucun doute son projet de créer une banque centrale et une union monétaire africaines.
Les Occidentaux ont bien senti la menace sur le Fonds monétaire international (Fmi) et la Banque mondiale (Bm) qui nous tuent. Il fallait arrêter le processus pour maintenir la logique d’asservissement et défendre les intérêts menacés.
L’attaque de l’Irak et sa déstabilisation, comme la mise à sac de la Libye, répondent à la même logique : c’est surtout et avant tout décourager toute velléité de remise en cause du statu quo mondial, en plus de l’accaparement des richesses de ces pays. L’attaque de la Libye, programmée et planifiée, sera exécutée. Elle aboutira à l’assassinat de Kadhafi, installera ce pays dans un chaos durable qui explique l’état de non-droit actuel dans lequel il est plongé et tous les abus auxquels nous assistons.
Comment oublier aussi que c’est l’Europe qui a financé grassement les pays-tampons comme la Libye, pour arrêter le flux migratoire coûte que coûte, croyant ainsi décourager cet attrait de l’ailleurs qu’elle a si savamment suscité, à travers les clichés du bonheur et les cartes postales des téléfilms véhiculés par l’arsenal médiatique, qu’on utilise pour déculturer la jeunesse des pays pauvres.
L’Europe comme l’Amérique espèrent ainsi, endiguer le flux de migrants ou ce qui en reste, puisque beaucoup d’entre eux meurent dans le désert ou l’océan.
Il faut bien remarquer aussi, que c’est l’Europe et l’Amérique qui ont inventé la mondialisation chantée partout pour les bienfaits qu’elle devait apporter à notre monde et surtout aux pays pauvres, par le partage du savoir et la libre circulation des biens et des personnes entre autres.
Mais paradoxalement, c’est l’Europe et l’Amérique qui se barricadent face à l’extérieur, expliquant ainsi la crise qu’ils sont incapables de résoudre par l’arrivée de jeunes qu’ils ont appauvris dans leur pays et qui cherchent à survivre.
De tout cela, nous devons nous souvenir et éviter de vivre dans la naïveté car «les Etats n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts».
C’est cela qui gêne dans ce concert d’indignation et de condamnations, surtout venant des Occidentaux, comme si on venait de se réveiller, alors que ce qui arrive n’est que la conséquence logique d’une politique élaborée par l’Europe pour se défendre des «envahisseurs», comme on considère tous ces jeunes en quête de bien-être.
Il y a plus, en tuant Kadhafi, on a ouvert la voie à ces bandes armées, contrôlées jusque-là par le guide libyen, ces bandes armées qui sèment la mort et la désolation dans le sahel et après, on vient secourir des populations tranquilles victimes d’exactions qui n’auraient jamais dû avoir lieu si on n’avait pas libéré «les monstres». Que d’hypocrisie !!
Plus grave encore, l’Afrique est une mosaïque, elle est blanche au nord et noire au sud. Ne nous laissons pas distraire au point de l’oublier. La haine xénophobe que l’on devine sous-jacente à cette annonce vient de quelques individus égarés qui dans tous nos pays constituent des marginaux, soyons plus vigilants et toujours attentifs aux peuples d’Afrique qui doivent ensemble assurer le développement du continent.
Mais l’Europe n’est pas la seule fautive. Et cette crise des migrants, cet esclavage éhonté, révèle aussi l’échec d’une politique d’emploi des jeunes à l’échelle du continent et qui doit troubler tous les dirigeants d’Afrique.
En effet, comment comprendre qu’après autant d’années d’indépendance, la jeunesse africaine en soit arrivée à un tel degré de désespérance, que nos jeunes se jettent dans les océans, pour y mourir, ou traversent le désert pour périr ? On excelle souvent en brandissant des chiffres de croissance et des performances dans tel ou tel domaine, mais pourquoi cela ne retient-il pas nos jeunes ?
Est-ce que le modèle de développement qu’on s’acharne à nous faire adopter est le meilleur pour nos pays ?
C’est parce que nos jeunes ont perdu l’espoir de réussir dans leurs propres pays qu’ils risquent leur vie en bravant l’océan ou les affres du désert.
C’est parce que nos dirigeants ne sont pas encore convaincus que l’Afrique est le continent sur lequel tout le monde mise pour l’avenir et les faits le montrent chaque jour un peu plus, avec la rivalité des puissances de notre monde dans l’occupation du terrain dans notre continent.
Pourtant, l’Afrique demeure paradoxalement incapable de créer son unité, incapable de parler d’une seule voie, incapable de donner à ses enfants une bonne éducation, surtout supérieure pour arrêter la fuite des cerveaux, un emploi décent pour stopper cette saignée incroyable qui privera à terme le continent de l’intrant essentiel du développement : la jeunesse.
Et, je suis de ceux qui considèrent que les sommets de l’Union africaine, très souvent préoccupés par des questions essentiellement politiques, de plus en plus, doivent être spécialisés dans des domaines stratégiques comme l’agriculture pour nourrir le continent et le sortir de la tyrannie de certaines denrées et nous sortir de la dépendance, l’éducation par la création de structures communes d’enseignement supérieur de haut niveau dans des pays ciblés pour retenir nos élites dans nos pays, l’emploi pour que nos jeunes ne continuent pas à aller chercher le bien-être ailleurs en bravant la mort.
Nous aurons alors des programmes qui, à défaut d’être impératifs, seraient au moins indicatifs pour tous les pays africains, afin de créer un développement endogène du continent.
Mais si les dirigeants continuent à s’accaparer des biens du continent là où ils sont, pour la plupart, à partager ces biens avec leurs familles et leurs cours, à assurer un «développement au sommet» en oubliant la base, le continent va se confiner encore dans des attitudes réactives faites de récriminations ou de désapprobations souvent sans aucun effet.
Ce qui se passe en Libye est bien regrettable, mais ce n’est que le signal sérieux que l’Afrique doit changer de cap, que notre avenir doit être construit par nous-mêmes et si nos dirigeants n’ont pas la sagesse et la lucidité de le comprendre, c’est la jeunesse africaine qui doit, du Cap au Caire, de Dakar à la corne de l’Afrique, se lever et le réclamer.
Cheikh Adramé DIAKHATE
adramed@yahoo.fr