L’artiste peintre martiniquaise Mounia Orosemane expose pour la première fois ses œuvres à la galerie «Quatorzerohuit» à Dakar. Dans cette nouvelle proposition esthétique, l’artiste chanteuse et plasticienne, connue pour avoir été une égérie de la marque Yves Saint-Laurent pendant plus de deux décennies, a réalisé une exploration de son intention intérieure, «celle d’une créatrice à l’âme heureuse». Par Ousmane SOW –

Passionnée de mode, Mounia Orosemane l’est aussi par la peinture à laquelle elle a été initiée par Bernard Buffet et inspirée par des peintres et sculpteurs italiens, tout autant que des artistes martiniquais comme Henri Guédon et Geneviève Moures. La peinture, elle y consacre dorénavant une grande partie de son temps et a réalisé plusieurs expositions de ses créations en France, au Japon, en Côte d’Ivoire, à Monaco, et en 2012, à la Fondation Clément, à la Martinique. «J’ai travaillé, je pense, avec tous les grands couturiers en Italie, en Espagne, au Japon. Et j’ai toujours, en parallèle, peint grâce à Yves Saint-Laurent et Pierre Berger qui m’ont forgée un peu et qui m’ont additionnée, je dirais, à leur connaissance par rapport aux différentes expositions où j’allais ou bien quand ils ne pouvaient pas, moi, je représentais la maison Yves Saint-Laurent. Et ça m’a donné envie de peindre. Et j’ai commencé à peindre comme ça», a-t-elle fait savoir à l’occasion du vernissage de son expo, le jeudi 23 janvier dernier à la galerie «Quatorzerohuit». Avec cette exposition à Dakar intitulée «Retour à l’autre : traversées symboliques, martigalais», l’artiste, connue à l’échelle internationale comme la  première femme noire arpentant les podiums comme égérie de Yves St Laurent, revient aux sources. Depuis ses débuts dans les années 1990, lorsqu’elle exposait à l’hôtel Intercontinental à Paris, elle n’a cessé de peindre. «J’ai fait des expositions et ma première exposition à L’hôtel Intercontinental à Paris était incroyable. C’est comme ça que ça a commencé. Et là, aujourd’hui, je suis au Sénégal. Alors, le Retour à l’autre, évidemment, c’est moi-même. Parce que, nous les Antillais, nous venons d’Afrique. On ne peut pas dire qu’on vient d’ailleurs. On vient d’Afrique. Et avec cette exposition, ça veut dire que je retourne à l’endroit où a été ma base. Et je suis ravie d’être là à Dakar, parce que là, j’ai été reçue royalement», confie-t-elle avec émotion.

Une première au Sénégal pour cette artiste multicarte qui revendique un ancrage africain profond et une vision singulière de l’art. «Dans cette nouvelle proposition esthétique, l’artiste Mounia Orosemane a réalisé une exploration de son intention intérieure, celle d’une créatrice à l’âme heureuse», précise Mickaël Caruge, doctorant en Histoire de l’art. Dans ses toiles, une autre perspective morale apparaît quand elle peint la «maxime de la sagesse», comme présences abstraites qui ne voient pas, ne parlent pas, n’entendent pas (le mal). «Je dis : ne rien entendre, ne rien voir et ne rien écouter. Et dans ce triptyque, je veux dire par là aux gens, arrêtez de parler pour ne rien dire. Arrêtez d’entendre pour ne rien dire. Arrêtez de voir pour ne rien dire. Soyons unis. Aimons-nous ! Nous sommes des êtres humains, on s’aime. Il faut s’aimer, même si on ne se connaît pas. C’est pour ça que je dis retour à l’autre», expli­que l’artiste qui a reçu dans les années 80, le Prix Senghor à Paris, des mains de Léopold Sédar Senghor, pour son parcours dans l’histoire de la mode.
L’exposition de Mounia Orosemane renferme près d’une vingtaine d’œuvres réalisées exclusivement à la peinture à l’huile et qui se distinguent par leur texture et leurs détails. On retrouve beaucoup de dentelles. «Dans mes tableaux, je termine toujours par une dentelle. Il y a beaucoup de dentelles. Mais je ne dirai pas comment je fais mes dentelles. J’aime ce style de peinture, parce que ça me rappelle la haute couture. Et dans toutes mes œuvres, vous allez voir qu’il y a des couleurs, mais c’est toujours de la peinture à l’huile. Je n’utilise pas l’acrylique», précise l’artiste, refusant de dévoiler le secret de sa technique.

«La culture, c’est la vie»
Commissaire de l’exposition et spécialiste de l’art africain contemporain, Oumy Diaw, qui a accompagné Mounia Orosemane dans cette aventure, a souligné que cette exposition marque un moment de communion entre les peuples de la diaspora et le Sénégal. «Je suis vraiment très honorée d’avoir pu l’accompagner à Dakar, de monter cette exposition de A à Z, ici, à la galerie qui appartient à un grand collectionneur d’art et mécène sénégalais. Et nous avons décidé justement d’honorer 2025 avec une nouvelle ère et cette rencontre entre les peuples de la diaspora et le Sénégal», fait-t-elle savoir. Première femme noir mannequin haute couture, Mounia Orosemane a côtoyé Aimé Césaire, qui la considérait comme sa fille, et cultivé des liens avec Léopold Sédar Senghor. «L’artiste Mounia Orosemane est presque une fille de Aimé Césaire parce qu’elle l’a connue, il l’a traitée comme son enfant. Et elle avait une attache aussi avec Senghor. Donc, il est vraiment intéressant de voir que cette génération de très grands penseurs, leur esprit est encore vivant», explique Oumy Diaw. En tant que productrice de l’exposition, elle voit dans cette rétrospective, une opportunité pour les nouvelles générations de renouer avec leurs racines. «La culture, c’est la vie, et je pense qu’il est temps que les jeunes s’approprient encore plus ceci. Mais il faut toujours revenir aux penseurs comme Aimé Césaire et Senghor, parce qu’ils ont eu leurs discours, mais chaque mot qu’ils ont utilisé, dévoile en fait des phases cachées qui sont éternellement infinies», a-t-elle témoigné.
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