Pape Diop nourrit une obsession pour les figures religieuses. Celle-ci le pousse à reproduire les images de Cheikh Ahmadou Bamba et Serigne Babacar Sy sur tous les supports. Sous la houlette du collectif Yaatal art, l’artiste dont les dessins ornent les rues de la Médina expose au pavillon de l’Institut culturel français.
Sur un morceau de contreplaqué usé jusqu’à la corde, effiloché sur les bordures, mais recouvert d’une couche de chaux, une main est venue tracer des esquisses représentant Cheikh Ahmadou Bamba et un lion. Ces dessins, grossièrement tracées sur bois, portent la marque de Pape Diop. L’artiste était parti jadis sillonner les routes de l’Europe, la guitare à la main. Dans les années 2000, il est rapatrié à Dakar, déclaré «fou». Commence alors une nouvelle vie pour lui. Errant dans les rues de la Médina, il y laisse des traces de son passage. Sur des bouts de bois, il dessine jusqu’à l’obsession. Sans repos et en usant de tous les matériaux et supports environnants pour servir son inspiration continue. Mamadou Boye Diallo qui le présente en ces termes est pourtant arrivé à nouer des liens forts avec lui. «Je connais Pape Diop depuis que je suis adolescent. C’est un fou comme il s’appelle lui-même. Mais moi, je ne le considère pas comme un fou, mais plutôt comme un génie. Il se balade pied nu et dessine avec des mégots de cigarette, du charbon, de l’huile de moteur et son travail m’a intéressé. Ce qui fait que j’ai commencé à le collectionner. Là, j’ai plus de 2 000 contreplaqués et seulement 10% sont exposés ici», raconte M. Diallo dont le collectif Yataal art porte cet exposition sous le thème Hors norme. «Pape Diop, artiste brut, crée avec une entière liberté, faisant fi des principes académiques et des diktats imposés par la société», explique le petit livret qui sert de guide dans cette expo. Mamadou Boye Diallo le suit depuis des années. «Je le suis, je le filme et je l’enregistre depuis quatre ans maintenant.» Les pièces qu’il a récupérées constituent l’exposition qu’abrite le centre culturel français.
Dans sa pratique artistique, Pape Diop s’affranchit de tous les codes. C’est sur les murs, les morceaux de bois laissés à terre par les menuisiers de la Médina qu’il peint. Les œuvres exposées sont ainsi une succession de pièces de bois, de taille, de texture et de formes différentes. Avec ses doigts, des mégots de cigarette ou de l’huile moteur, Pape Diop sillonne les rues de la Médina pour dessiner, tracer. Sur chacune des plaques de bois exposées, la main de l’artiste a laissé les contours des personnages. Mais très souvent, il s’agit de Cheikh Ahmadou Bamba ou de Serigne Babacar Sy. Cette façon compulsive de dessiner est une forme d’auto-thérapie pour l’artiste, estime M. Diallo. «L’art brut est l’art de la santé mentale. Je crois qu’il se fait lui-même sa propre thérapie dans la rue», souligne-t-il. Mais cette façon de faire est aussi à la base de la fascination que nourrit M. Diallo pour l’artiste. «Ma fascination c’est pour cet art brut, la matière avec laquelle il travaille. Le fait de travailler avec de l’huile de moteur, du charbon de bois ou des batteries, c’est trop fort. Tous les autres artistes vont acheter du matériel, de la peinture acrylique, vont faire leur cadre. Lui ramasse des contreplaqués pour dessiner dessus. En fait, il ramasse des trucs morts et les ramène à la vie», souligne-t-il. Fondée en 2010, le collectif Yaatal art a mis en place un musée à ciel ouvert à la Médina consacrée au «street art». «Omniprésents, les dessins de Pape Diop ornent chaque ruelle de la Médina et l’artiste se plaît à exposer ses œuvres sur les comptoirs des boutiques, sur les arbres», écrit le collectif à son propos. Cette exposition qui donne une nouvelle dimension au travail de cet artiste est visible à l’Institut culturel Léopold Sédar Senghor jusqu’en mai.
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