Et la montagne accouche à nouveau d’une souris. Comme souvent depuis que le parti Pastef est aux responsabilités, les annonces sont grandiloquentes, les slogans claquent, mais à l’arrivée, excepté les fanas, le vulgum pecus reste sur sa faim. Alors qu’il ne fait plus de doute que le Projet était du flan, alors que le baobab 2050 s’est couché faute de consistance et de racines, alors que la connivence du procureur et de l’Exécutif a fini de consacrer la dérive dictatoriale et liberticide du régime, le Premier ministre, à grand renfort de communication, est monté sur les planches pour jouer la pièce du Plan de redressement. Un show populaire pour remobiliser les troupes militantes. Un tour de prestidigitateur pour retenir le Peuple désabusé de s’enfoncer dans la nuit noire du désespoir.

En fait d’horizon, c’est la courte vue qui a prévalu. Le plan présenté sème plus de confusion et de questions qu’il ne permet la lisibilité d’un cap à l’action gouvernementale. En lieu et place d’une stratégie audacieuse et ambitieuse, de grands projets et d’investissements structurés, pour l’école, la santé, le développement du capital humain, la mobilité, la sécurité, l’agriculture, l’industrie, c’est le freinage sifflant d’une économie en état de mort cérébrale qui se profile. Toute tentative de réanimation sera vouée à l’échec en raison du tour de vis fiscal planifié.

L’essentiel des mesures qui ressortent de ce plan sont fiscales et foncières. Signe que le binôme à la tête de l’Exécutif peine à monter en compétence pour réfléchir à hauteur d’Etat, hors du biais et de la simplification de son extraction professionnelle. Signe également que ce plan a été conçu sous cloche, sans les concours fécondants de l’expertise transversale dont notre haute Administration regorge. Ce plan est une démonstration sans appel de l’impréparation, de la limitation intellectuelle de ceux qui nous gouvernent, de leur inaptitude à se hisser à la hauteur des enjeux. La fiscalité n’est pas qu’une affaire de collecte d’impôts et de taxes, ni un pis-aller pour requinquer un Etat impécunieux dont les autorités sont les artisans en chef de la déconfiture.
La fiscalité est un instrument au service de l’économie. Les impôts et taxes participent d’un effet d’accordéon par lequel l’Etat incite à l’investissement ou soutient la consommation quand il décide de renoncer à taxer ou à imposer. Elle est au même titre un outil de régulation des activités économiques quand elle assujettit ou assortit l’exercice ou la cessation d’une activité de contraintes ou d’avantages. Il est toujours question, selon la conjoncture du moment, d’inciter ou de réguler de manière à assainir l’environnement économique et l’espace d’exercice des activités civiles ou commerciales, en se préoccupant en même temps de l’équilibre des comptes publics.

Une approche de la fiscalité, comme laisse à voir le Pres, réduite au seul objectif d’abonder les comptes publics sans se préoccuper de l’économie, est absurde et contre-productive. A taxer sans discernement l’investissement, les moyens de production et la consommation, les agents économiques, entreprises et ménages finissent par se rétracter. Les entreprises diffèrent leurs investissements, si elles n’y renoncent pas tout court, et les ménages qui le peuvent épargnent massivement. Cela finit par provoquer un ralentissement drastique de l’offre et de la demande. La contraction de la consommation entraîne la baisse de la production de biens et services, qui entraîne à son tour la baisse de la demande de main-d’œuvre. C’est le début d’un cercle vicieux et vertigineux de chômage, de paupérisation et de léthargie économique difficile à enrayer. La remobilisation de la confiance des agents économiques nécessitera des efforts colossaux pour des résultats dont la stabilisation sera extrêmement ardue.

Mais, au-delà de ces remarques basiques, ce qui est inacceptable dans ce plan de ralentissement, c’est qu’on n’y trouve quasiment aucune contrepartie pour les Sénégalais à qui l’Etat va faire les poches. Aucun investissement d’envergure pour les contribuables qui vont être ponctionnés jusqu’au dernier sou. Tout pour l’Etat et rien pour les populations. L’annonce de relèvement de l’âge limite pour les véhicules importés est une mesure populiste et démagogique à destination de la diaspora où le soutien s’étiole. Que pèse la manne financière escomptée à côté des enjeux de santé publique qui iront s’accentuant avec la pollution de l’air, la désorganisation du marché de la voiture d’occasion ? L’audace eût été de restreindre au fur et à mesure ces importations, tout en travaillant à convaincre des constructeurs de s’établir au Sénégal et d’aller à la conquête du marché ouest-africain dont la classe moyenne est en plein essor. De permettre ainsi aux classes moyennes sénégalaises et ouest-africaines à minima d’acquérir un véhicule neuf à faible émission de Co2, pour un coût à portée de leur bourse, voilà un challenge de rupture !

Enfin, le cynisme et l’indécence illustrent ce plan qui s’entiche de rehausser substantiellement les droits d’accises sur les tabacs et alcools, ou encore de taxer les jeux d’argent et de hasard. Taxer la consommation de tabac et d’alcool est louable, s’il s’agit non pas tant de renflouer les caisses de l’Etat que d’anticiper et assumer les coûts que ce type de consommation fait peser sur le système de santé d’une part, et financer les programmes de lutte contre ces fléaux d’autre part. De même, taxer les jeux d’argent et de hasard n’a de sens que s’il s’agit de financer la prévention et la lutte contre les addictions dans lesquelles ce type d’activité peut enchaîner, de prévenir la criminalité et le blanchiment. Laisser penser que ces taxes participeront au redressement des comptes publics est immoral et inapproprié. De surcroît dans un Sénégal où nous nous réclamons de valeurs qui couvrent ces activités et les gains qu’ils génèrent d’un voile peccamineux.

Ce plan bâclé ne peut pas aller loin, comme le baobab qui s’est couché avant de prendre racine. La présentation était lunaire, tantôt au futur, tantôt au conditionnel, toujours ces subtilités de la langue de Molière qui leur donne du fil à retordre.

Le théâtre était grand, mais la prestation était l’archétype du mauvais goût. Après avoir fait rire ou pleurer, il ira reposer au cimetière bien garni des promesses pastéfiennes, dans l’attente du jugement dernier en 2029. Le Sénégal, où une vision aussi aboutie que le Pse a pu être élaborée, mérite assurément mieux. Avec ce plan dit de redressement, nous goûterons amèrement la première promesse tenue de Pastef : la régression et le déclassement du Sénégal.
Louis Mory MBAYE