Le doyen Baba Diop du Groupe Sud Communication, lors des élections nationales (Présidentielle ou Législatives), anime de succulentes chroniques dans le journal de la campagne sur Sud Fm, avec le fameux personnage Ton’s. Dans l’une de ses chroniques, Baba raconte la mésaventure de Ton’s qui part à un meeting habillé aux couleurs d’un parti politique. Arrivé sur les lieux, il se rend compte que c’est le parti concurrent qui tenait le meeting ! Mais ingénieux qu’il est, il a juste suffi à Ton’s de retourner son grand boubou pour être avec les bonnes couleurs. Et tout sourire, notre Ton’s national affirme : «Maa graaw dé ! Maa meun thiou, maa meun thiaa !»

Nous aussi, nous sommes tentés de dire à Victor Ndiaye, «yaa meun thiou, yaa meun thiaa !», après sa haute performance. En effet, ce lundi 14 octobre 2024, le président de la République a présenté la stratégie de développement intitulée «Sénégal 2050». Le document n’est rien d’autre qu’une synthèse de la «Stratégie nationale de développement du secteur privé sénégalais (Sndsp 2022-2026)» et du Plan d’actions prioritaires 3 (Pap3) 2024/2028 du Plan Sénégal émergent (Pse). Rien n’a été changé dans le fond. Les rappeurs de Keur Gui auraient dit : «Mêmes chiens yi, mêmes chats yi.» Et cela ne pouvait en être autrement car ce sont les mêmes fonctionnaires qui ont effectué le travail. Cependant, l’ami Victor, tel Merlin l’enchanteur, est venu présenter sa poudre de perlimpinpin pour «faire rêver les Sénégalais». Le Sénégal engage ainsi l’ère de la continuité avec le Pse du Président Macky Sall sans le dire, par un retournement spectaculaire de veste.

On n’augmente et ne renforce que ce qui est déjà en place
Pouvait-il en être autrement ? Déjà que le parti Pastef, tel un bédouin vendeur de sable au Sahara, a longtemps agité un «Projet» aussi vrai que l’Atlantide. Lors de l’élection présidentielle de mars dernier, le «Porozet» a même été présenté avec une idée phare : une «sortie du Cfa», mais qui a curieusement disparu dans le document présenté cette semaine (c’est la preuve que la question de la monnaie a servi de toile de fond à un discours populiste et démagogique pour charrier le sentiment antifrançais). D’ailleurs, le Premier ministre aux «déclinaisons quinquennaux» ou «décennaux» a enfin admis que le document de campagne était plus une «profession de foi» qu’un projet, encore moins un programme. Déjà, le vocabulaire utilisé montrait qu’il s’appuyait fortement sur l’existant. En effet, dans le programme, nous comptons les verbes «renforcer» 92 fois, «augmenter» 16 fois, «réformer» et «instituer» 9 fois chacun. La prééminence des verbes «renforcer» et «augmenter» est la preuve que le programme de Diomaye s’appuie sur l’existant. On n’augmente et ne renforce que ce qui est déjà en place.
La Vision Sénégal 2050 a une histoire. Elle commence par l’annonce des plus hautes autorités, en Conseil des ministres, de la rédaction et de la finalisation du «Projet» en septembre. Suffisant pour que l’ami aux performances très appréciées au Gabon soit introduit par Atépa Goudiaby, parrain du couple Sonko-Diomaye. Dans un premier temps, selon des sources bien informées, il s’est d’abord agi d’une contribution «à titre gracieux» pour accompagner les nouvelles autorités. Mais le business étant le business, la contribution devint à titre «onéreux», un site ayant même parlé de 2 milliards de francs Cfa.

«Nous avons été élus pour faire rêver les Sénégalais, or votre
document ne fait pas rêver»
Sur instruction du Premier ministre, il a été demandé aux fonctionnaires du ministère de l’Economie, déjà très avancés dans la rédaction du document, de voir comment intégrer le vice-président du Club des investisseurs du Sénégal (Cis) dans la boucle. Naturellement, quelques frictions n’ont pas manqué, au point de nécessiter l’arbitrage de Ousmane Sonko. Une rencontre d’harmonisation s’est même tenue à l’hôtel Riu. A la suite de cela, les rôles étaient définis : Victor devant faire la vision prospective et les équipes de Abdourahmane Sarr le plan stratégique 2024-2029. Vers la fin du mois d’août, une réunion de présentation du document au leader de Pastef. Et là, coup de théâtre : Ousmane Sonko déchire ce qui lui a été présenté. «Nous avons été élus pour faire rêver les Sénégalais, or votre document ne fait pas rêver.» De plus, il leur fera savoir que «(leurs) chiffres sur la dette et le déficit budgétaire ne sont pas les bons». Réponse des fonctionnaires : «Nous vous avons présenté un document réaliste et réalisable. Les chiffres que nous avons utilisés sont les chiffres officiels, produits par les services compétents.»
Qu’à cela ne tienne, Sonko se tourne vers Victor pour «faire rêver les Sénégalais». L’ami Victor pensait avoir bien campé le décor en disant : «Lorsque vous reprenez une maison en mauvais état, une personne sensée ne s’y installerait pas tout de suite. Au contraire, trois étapes sont nécessaires : d’abord faire un état des lieux exhaustif, puis redresser ; ensuite mettre en place des fondations solides et de gros œuvres, impulser ; et enfin attaquer le second œuvre, accélérer.» Seulement, Dieu créa la Var et celle-ci nous rappelle qu’à la présentation de la «Stratégie nationale de développement du secteur privé sénégalais (Sndsp 2022-2026)» (stratégie dont les grandes lignes sont reprises dans le nouveau document), le même Victor nous disait : «Aujourd’hui, nous sommes exactement à mi-chemin de l’émergence en 2035. Et pendant ce premier cycle de l’émergence, on l’a vu, vous (Ndlr : le président de la République) avez bâti les fondements. C’est important à l’heure du bilan de le dire aux Sénégalais. Le gros œuvre de l’émergence est aujourd’hui en place. Et ce gros œuvre, c’est la partie la plus difficile. Comme toute impulsion, c’est la partie la plus coûteuse en investissement public, et c’est la partie la plus ingrate parce que, le gros œuvre, personne ne peut y habiter. Mais grâce à votre bilan, notre pays peut aujourd’hui engager un nouveau cycle vers l’émergence. En effet, l’émergence économique, ce n’est pas de tout faire, mais essayer de très bien faire les priorités qu’on se choisit.» Sérieusement, la Var a été créée pour les Sénégalais !

Ou Sonko ne dit pas la vérité, ou toutes les projections sont alors fausses
Et dans le fond, que retenir ? Ce document, présenté avec un manque criard d’approche participative (félicitation à Elimane Kane de Legs Africa pour l’avoir soulevé), est basé sur les chiffres du déficit budgétaire et de la dette que le Premier ministre Ousmane Sonko a annoncés comme faux. Ou le chef du gouvernement ne dit pas la vérité, ou toutes les projections sont alors fausses. Si nous sommes à un déficit de 10, 4% en moyenne entre 2019 et 2023 (d’après Sonko), il nous est alors permis de douter de la sincérité du document qui prévoit de réaliser un déficit budgétaire de 3% en 2025, après 3, 9% en 2024. Déjà que le Fmi a indiqué dans sa dernière revue économique qu’«en l’absence de mesures budgétaires supplémentaires, le déficit devrait dépasser 7, 5% du Pib, bien au-delà des 3, 9% prévus dans le budget initial…».
Quid de la croissance ? Il est clair que le couple Diomaye-Sonko manque terriblement d’ambition. En effet, l’Agenda 2050 table sur un taux de croissance moyen de 6, 5 à 7%. Or, il est admis que les pays qui ont pu faire une croissance à deux chiffres ont pu véritablement se transformer. Avec ces projections timorées, le Sénégal risque de reproduire les mêmes échecs que par le passé. Et tripler le Pib par habitant, en le faisant passer de 1500 à 4500 dollars en 25 ans, c’est nous projeter sur le niveau actuel de la Namibie (4512 $) et bien en deçà de la Guinée Equatoriale (5506 $), du Gabon (6655 $) et du Botswana (6708 $). L’accès universel à l’énergie, à portée de main avec le développement de la stratégie «Gaz to power», est renvoyé en 2034. La création d’emplois reste très faible avec 700 000 emplois projetés d’ici 2025, alors que chaque année 350 000 jeunes arrivent sur le marché de l’emploi. Rapporté sur la durée de la vision, ce sont plus de 7 millions de jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi. Donc seulement 10% de création d’emplois.