Je pars de ce que j’ai vu : une image intolérable, le coup de pied d’un homme dans le ventre d’une dame. Une image qu’il ne faudrait plus voir, surtout dans une de nos plus grandes institutions que devrait être l’Assemblée nationale. Cette image à elle seule constitue une insulte !
Insulter quelqu’un, c’est l’empêcher de réfléchir. C’est le choquer au point de suspendre pour un temps sa pensée. Pour insulter, il faut profaner de manière brutale ce qui est sacré pour l’autre, ce sur quoi il s’origine et /ou se structure. C’est nommer les organes qui l’ont procréé, c’est participer ou faire participer d’autres à cette procréation, c’est écorcher les figures religieuses qui lui transmettent ses ressources de survie existentielles.
Insulter, c’est aussi beaucoup d’autres choses qui auront en commun d’agresser, de faire sortir de ses gonds. L’insulte aura aussi des répliques comme un tremblement de terre car repris en écho à l’infini par toute une série de personnes «insulteuses» et de medias «insulteurs». Cette amplification insultera des proches et des moins proches qui, eux aussi, perdront la tête à l’occasion. Ainsi, l’insulte, il faut le comprendre, appelle aussi une réaction disproportionnée chez l’autre, à moins qu’il se soit préparé à recevoir des insultes et développer la réponse adéquate à une insulte : poursuivre la réflexion que l’insulte a tenté de couper. Je me souviendrai toujours d’un soi-disant syndicaliste qui tentait de semer le désordre dans mon service et qui m’a coupé la parole devant la directrice de l’hôpital en m’insultant. Je l’ai laissé finir et j’ai repris calmement mon discours là où je l’avais arrêté, et continué jusqu’au bout alors qu’il était devenu livide et aphone, ayant compris qu’il n’était pas parvenu à me perturber !!!
Ce qui vient de se passer à l’Assemblée nationale est un moment d’un processus de violence qui n’arrête pas de croître et qui me fait peur et me contrarie : la violence inouïe et qui paraît maintenant concertée contre les femmes au Sénégal.
Cette violence, en politique, commence par le choix des femmes leaders et va jusqu’aux missions à elles confiées. Il faut le dire, c’est à croire que les femmes sont choisies pour leur capacité à invectiver, à faire les clowns et le buzz au sein de l’Hémicycle, sous le regard de commanditaires sages et bien comme il faut. J’ai entendu un responsable politique qui revenait sur le parcours de la Première ministre Aminata Touré au sein de l’Apr dire : «Lorsque nous sommes allés la démarcher, nous cherchions une figure féminine car le Pds avait Aïda Mbodji, le Ps Aminata Mbengue Ndiaye, etc.» Je crois que ces mots, sincères du reste, nous montrent l’étendue de la tâche qui attend les femmes en politique. Il est temps que nous ayons des passerelles au-dessus de la mêlée. Quelle que soit notre profession, quelle que soit notre orientation politique ou syndicale, nous sommes d’abord des femmes qui partageons quelque part les mêmes contraintes. Ceux qui nous demandent d’insulter et nous exposent ainsi aux réactions incontrôlées de ceux que nous insultons, tout comme ceux qui nous donnent des coups car ayant perdu leur tête, sont tous violents.
Alors, ensemble pour indiquer le chemin que nous voulons que les choses prennent.
Tellement de combats à mener pour notre condition de femmes dans un environnement machiste, qu’il serait dommage de gaspiller nos ressources et nos énergies dans des foires d’empoigne qui sont mises en scène pour continuer à nous décrédibiliser.
Au-delà des partis politiques, c’est des femmes qu’il s’agit !!!
Pr Aïda SYLLA
Psychiatre