Longtemps cantonnées à la sphère privée, les violences conjugales continuent de marquer la société sénégalaise. Si les femmes en sont les principales victimes, les données disponibles révèlent un phénomène plus complexe, largement sous-déclaré et encore insuffisamment pris en charge par les mécanismes de prévention et de protection.

Le drame de Keur Mbaye Fall, où Bintou Guèye a tragiquement perdu la vie, n’est pas qu’un simple fait divers de plus dans la rubrique nécrologique. C’est le cri de détresse d’une société où le foyer, censé être un refuge, devient pour beaucoup un lieu de peur. Si l’émotion sature aujourd’hui l’espace public, il est temps de regarder en face ce qui se joue réellement derrière les portes closes.

Un quotidien marqué par l’ombre de la violence
Les chiffres de l’Ansd font froid dans le dos : près d’une femme sur trois au Sénégal a subi une forme de violence au cours de l’année écoulée. Qu’elle soit physique, psychologique ou économique, cette brutalité touche 22% des femmes en union. Plus alarmant encore, sept femmes sur dix affirment avoir été confrontées à la violence au moins une fois dans leur vie de couple.
Mais ces statistiques ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Pour chaque cas enregistré dans une «Boutique de droit», combien de victimes se murent dans le silence par peur de représailles ou sous la pression d’une famille qui implore de «supporter» (mougne) pour l’honneur du nom ?

Le mariage : un contrat social plus qu’une rencontre de cœurs
Pour comprendre l’origine de cette violence, il faut oser questionner la base même de nos unions. Trop souvent, le mariage au Sénégal n’est pas l’aboutissement d’une connaissance mutuelle approfondie. On s’unit pour l’ethnie, pour le rang social, ou parce que la situation financière du conjoint rassure les parents.

Dans ces mariages «de façade» ou d’intérêt, l’humain s’efface derrière la convention. On se retrouve à partager le même toit avec un inconnu, sans avoir jamais discuté de valeurs, d’éducation ou de limites. Quand les sentiments ne sont pas le ciment du couple, la moindre crise peut devenir un terrain propice aux rapports de force et à l’abus.

L’invisibilité des hommes et le tabou social
Le problème est systémique. Si les femmes sont les premières victimes, les hommes ne sont pas épargnés par une autre forme de violence, souvent psychologique ou économique. Mais dans une société qui impose une image de virilité inébranlable, comment un homme peut-il avouer sa détresse sans être moqué ? Ce silence renforce le cycle de la toxicité conjugale, laissant des blessures invisibles qui finissent par empoisonner toute la cellule familiale.

Sortir du «mougne» pour entrer dans le droit
Les structures de soutien et les juristes font un travail colossal, mais ils ne peuvent pas tout. La réponse ne doit pas être uniquement judiciaire ; elle doit être culturelle.

La lutte contre les violences conjugales exige que nous redéfinissions le mariage non pas comme une transaction ou une obligation sociale, mais comme un espace de respect mutuel. Il est urgent de renforcer la prévention, d’accompagner psy­cho­logiquement les victimes, mais surtout de briser ce tabou qui consiste à dire que ce qui se passe dans le couple est une «affaire privée».

Le décès de Bintou Guèye doit être l’étincelle d’une prise de conscience collective : aucune tradition, aucune situation financière et aucune pression sociale ne justifie qu’on sacrifie une vie sur l’autel du paraître.
Serigne Saliou Mbacké FAYE
Etudiant en Master II, Droit public
Ugb – Droit de la décentralisation et gestion des collectivités territoriales
Gouvernance locale et développement durable