Introduction
L’objectif du référentiel intitulé «Sénégal 2050», Agenda national de transformation, est de faire du Sénégal, à l’horizon 2050, un pays souverain, juste et prospère.

Cette démarche vise à restructurer les pratiques économiques, sociales et institutionnelles, favorisant ainsi un développement durable et harmonieux.
Aussi, cette production se veut une contribution pour inviter et attirer l’attention des nouvelles autorités sur les enjeux de l’apport de notre patrimoine thérapeutique pour relever les défis sanitaires de l’heure.

Enjeux scientifiques :
L’Afrique, de par sa situation géographique, dispose d’une flore riche et variée dont certaines sont endémiques au continent. Les plantes médicinales africaines concentrent des molécules originales dans leurs propriétés pharmacologiques, pharmacodynamiques et thérapeutiques.

Parmi les espèces de plantes médicinales recensées, plusieurs centaines pourraient être étudiées en vue de trouver des médicaments pour soigner beaucoup de pathologies qui aujourd’hui résistent à la médecine moderne.
La richesse de la pharmacopée traditionnelle africaine représente donc une opportunité intéressante. Son exploitation judicieuse et sa valorisation peuvent conduire à la mise au point de médicaments utilisables dans le traitement des maladies qui minent nos sociétés. Cette valorisation par la recherche et la production industrielle va favoriser le développement d’une expertise locale permettant ainsi à l’Afrique de mieux couvrir ses besoins en médicaments. La présence d’une telle expertise dans un pays constitue un véritable levier de développement économique et social. C’est dans ce sens que l’énorme potentiel que représente la flore africaine en termes de plantes médicinales, ouvre des perspectives intéressantes dans le domaine de la recherche pour la mise au point de nouveaux médicaments.

Cette flore constitue donc une source d’informations précieuses pour la recherche de nouvelles molécules actives et dignes d’intérêt dans la prise en charge des pathologies prioritaires. Néanmoins, on regrette, tout de même, que malgré le nombre important de ces plantes et leur potentiel, celles-ci ne con­naissent qu’un faible intérêt dans le monde scientifique. Moins de 16% des espèces utilisées dans les remèdes sont cités dans les publications scientifiques (source : des plantes et des hommes, Henri Marque, Janvier 2006, Jeune Afrique).

C’est la raison pour laquelle il faut se féliciter de la création de l’Unité de gestion du Projet de relance de l’industrie pharmaceutique locale (Delivery Unit ou DU) au sein du ministère de la Santé et de l’action sociale par Arrêté n°004446, en date du 10 mars 2022 et dont la mission est de piloter la mise en œuvre des projets et réformes identifiés dans le cadre du plan de relance de l’industrie pharmaceutique locale et notamment le développement de 10 médicaments issus des plantes médicinales du Sénégal à l’horizon 2035.

Enjeux économiques :
D’après Proparco, une filiale de l’Agence française de développement, dans son rapport 2018 intitulé «le médicament en Afrique : répondre aux enjeux d’accessibilité et de qualité», le continent africain produit moins de 5% des médicaments que consomment ses populations alors que 95% sont importés. L’Afrique consacre chaque année une part importante de ses ressources financières à l’achat de médicaments importés. Le coût extrêmement élevé de la prise en charge thérapeutique de patients souffrant de maladies chroniques, déstabilise la situation financière de nos Etats car les besoins en devises pour l’achat de médicaments, risquent d’atteindre des niveaux insupportables pour nos économies. La forte demande en médicaments abordables, peut-être une richesse financière importante pour les Etats Africains. Dans son rapport de recherche, Market Research Future (Mrfr) indique que le marché mondial des médicaments à base de plantes atteint un volume de plus de 129 milliards Usd avec un taux moyen de croissance annuelle de 5,88%.

Le développement d’une industrie pharmaceutique locale est donc une nécessité. En outre, elle fournira de nombreux emplois à nos populations dans la culture des plantes médicinales africaines.

Le Sénégal doit faire preuve d’imagination, d’agressivité, de rigueur et de responsabilité, car le faible pouvoir d’achat des populations et le coût élevé des prestations de santé doivent susciter l’intensification des recherches sur les plantes médicinales réputées et dont les vertus thérapeutiques ont été démontrées. Il ne fait aucun doute que les résultats de la Recherche-Développement des plantes médicinales prédisposent notre pays à résoudre les problèmes sanitaires des populations en ayant recours à des solutions thérapeutiques locales. De même, il faudra lever les contraintes dans le domaine de la propriété intellectuelle et de la biodiversité, l’accès aux ressources biologiques et le renforcement des capacités des praticiens de la médecine traditionnelle. Cette créativité sénégalaise a besoin d’une meilleure reconnaissance et d’une valorisation par la production et la mise sur le marché.

Enjeux de santé publique :
Bénéficiant d’une légitimité sociale et culturelle de la communauté au sein de laquelle il vit, le Pmt contribue d’une façon importante à la couverture des soins primaires. Et justement, la santé publique ou santé de la collectivité est le niveau de santé d’une population. Elle regroupe l’ensemble des moyens collectifs susceptibles de promouvoir la santé et d’améliorer les conditions de vie.

L’apport de la médecine traditionnelle dans l’offre de soins est reconnu et accepté par l’Orga­nisation mondiale de la santé (Oms) depuis la déclaration d’Aima Ata en 1978. Aujourd’hui, l’importance du recours à la médecine traditionnelle est estimée à 80% pour les populations vivant en milieu rural.
Le Praticien de la médecine traditionnelle (Pmt) est reconnu par la collectivité dans laquelle il vit comme compétent pour diagnostiquer des maladies y prévalant et dispenser des soins grâce à l’emploi de substances végétales, animales ou minérales et d’autres méthodes basées sur les fondements socio-culturels et religieux, aussi bien que sur les connaissances, comportements et croyances liés au bien-être physique, mental, social de la collectivité.

Le rôle des Pmt, en tant que responsables communautaires, est indéniable. Leur aptitude à communiquer dans des domaines touchant à la santé et à la vie sociale est une ressource qui doit être utilisée dans les activités de promotion de la santé communautaire. En se trouvant dans une position unique en tant que notables, mobilisés et capacités, les Pmt peuvent participer aux programmes de santé.

Du fait qu’ils soient à l’avant-garde de la lutte contre les maladies et qu’ils soient nombreux et totalement intégrés à leur communauté, les Pmt peuvent, par exemple, faciliter la pénétration de la mutualité chez les populations, contribuant ainsi à sa massification. De ce point de vue, les ériger en promoteurs constitue une valeur ajoutée certaine pour le développement des mutuelles de santé.

Les possibilités offertes par la médecine traditionnelle, mais surtout les Pmt, dans la mise en œuvre des stratégies visant la prévention et des activités promotionnelles doivent être exploitées judicieusement et efficacement en vue d’arriver à des changements de comportements favorables à la santé. Les Pmt constituent un vaste réseau d’agents de santé communautaires qui apportent soutien et réconfort aux populations. On doit en tenir compte, surtout dans la riposte face aux maladies à potentiel épidémique et les maladies non transmissibles, en les associant aux activités d’information, de communication et d’éducation. Il y a donc nécessité de les former pour qu’ils soient motivés et mobilisés afin qu’ils puissent être un lien utile avec la majorité des populations que la médecine dite moderne peut atteindre difficilement.

Ainsi, l’idée est de développer une collaboration étroite entre le système traditionnel et le système moderne de prise en charge des maladies. Il s’agira pour eux de détecter et de référer précocement tout cas suspect.
L’objectif est de faire du Pmt, un élément intégrant l’équipe de santé dans ses activités préventives et promotionnelles, mais surtout de renforcer son rôle dans la communauté et d’améliorer sa position et sa pratique.

Enjeux culturels :
Source des sciences médicales, la médecine traditionnelle se présente comme une schématisation de l’humain à partir des lois de la nature démontrant ainsi l’harmonie entre l’humain et son milieu de vie. Pour soulager ses maux à l’image de l’animal qu’il est, l’humain s’est identifié à la nature dont il est une composante.

Toute médecine est dite traditionnelle lorsqu’elle se fonde sur une manière d’être qui est en harmonie avec la nature qui répond toujours à nos questions.
Ce qui fait de la médecine traditionnelle une médecine naturelle, c’est sa thérapie qui relève de mécanismes propres à la nature. Aussi, la médecine traditionnelle est-elle non seulement ancestrale, mais aussi et de surcroit d’actualité eu égard aux contraintes et difficultés de la médecine dite conventionnelle.

La médecine traditionnelle, ce n’est pas la phytothérapie, autrement dit, la médecine par les plantes. Confiner la médecine traditionnelle à la phytothérapie, c’est une ignorance du large spectre des domaines d’intervention des thérapies de la médecine traditionnelle. La médecine traditionnelle est avant tout une thérapie de culture et de sociologie. S’adresser à la médecine traditionnelle, c’est aller vers la nature, à la quête d’une plénitude humaine.

En médecine traditionnelle, il y a certes la médication, mais surtout le remède. La notion de remède englobe la thérapie sans médication comme le dialogue, la parole, le geste, le toucher, le massage, la prière, le jeûne, etc.

Le Pmt est considéré comme le dépositaire du savoir ancestral qu’il a pour mission de répandre dans la société. Le recours à lui résulte aussi bien de la science qu’il possède ou est censé posséder que du sentiment qu’a la société de passer par cet intermédiaire utile pour obtenir l’opinion et l’aval des ancêtres.

Enjeux politiques :
En dépit de l’engouement vis-à-vis de la médecine traditionnelle, il faut reconnaître l’anarchie qui entoure aujourd’hui les conditions de son exercice : ce qui favorise l’émergence de charlatans. Cette situation est imputable aux pouvoirs publics et aux autorités compétentes concernées dans la réglementation de ce sous-secteur.

C’est pourquoi, l’Etat doit s’impliquer davantage dans l’organisation de la médecine traditionnelle afin de mieux sécuriser la santé des populations par la recherche de solutions aux problèmes qu’induisent le recours massif et parfois incontrôlé des populations et la profusion des charlatans.

L’organisation et l’encadrement de la pratique et de l’exercice de la médecine traditionnelle s’avèrent très urgents, d’autant que des Pmt, de plus en plus nombreux, demandent des autorisations officielles d’exercer à titre privé, individuellement ou en association avec des formations sanitaires.

Dans notre pays, la problématique de l’intégration de la médecine traditionnelle dans le système national de santé n’a jamais été abordée très sérieusement du fait essentiellement de la faiblesse ou d’un manque et/ou de volonté politique. Quelques actions d’éclat sans lendemain, avaient permis d’engranger des acquis certes, notamment avec la création d’une structure d’impulsion et de coordination, mais faute d’une véritable stratégie de pérennisation, lesdits acquis se sont affaissés ou tout simplement remis en cause systématiquement.

A l’état actuel, notre pays souffre d’une absence de cadre juridique et législatif relatif à l’exercice et à la pratique de la médecine traditionnelle, contrairement à la majorité des pays africains. Aussi, nous invitons les nouvelles autorités à accorder une importance particulière à ce sous-secteur et à corriger cet impair de manque de cadre juridique. La médecine traditionnelle, c’est-à-dire notre patrimoine thérapeutique, doit mériter de nos autorités et compatriotes, beaucoup plus d’égard, d’estime et considération. Il faut la protéger et la préserver.

La rupture pour le relèvement des défis sanitaires invite à mettre en œuvre une synergie soucieuse, au premier chef, d’articuler la recherche moderne à l’expertise locale dépositaire de solutions endogènes qui privilégient une souveraineté dans la quête du bien-être sanitaire de nos populations.

Cela passe par la mise en place d’une nouvelle structure administrative (Direction ou Programme ou autres…) nécessaire à la coordination et au suivi des actions de promotion et de valorisation de la médecine traditionnelle. Celle existant actuellement, ayant atteint ses limites objectives, est devenue obsolète, dépassée et sans âme.

La rupture ici, doit être matérialisée par l’érection d’un organe qui vise à développer la qualité, travaillant aux côtés des pouvoirs publics dont il éclaire les décisions et en relation avec tous les acteurs pour optimiser leurs pratiques.
Ce qui entre en droite ligne de la vision «Sénégal 2050» et de ses objectifs qui visent à rompre avec les pratiques de dépendance étrangère et à s’appuyer sur les ressources locales.

Recommandations :
Au regard de ce qui précède, les recommandations suivantes sont formulées :
Adoption d’une politique nationale en matière de médecine et de pharmacopée traditionnelles.

Mise en place d’un cadre réglementaire.
Elaboration de critères et de procédures d’identification des Pmt.
Orientation des Pmt.
Enumération des professions qui entrent dans le champ d’application de la médecine traditionnelle.
Définition du statut des Pmt.
Fixation des droits et obligations des Pmt et encadrement pénal de l’exercice de la profession.
Création d’un Conseil national des praticiens de la médecine traditionnelle (Cnpmt).
Mise sur pied d’une Haute autorité, basée sur une approche pluridisciplinaire et multisectorielle.

Conclusion :
Les résultats au 1er tour de l’élection présidentielle du 24 mars 2024, attestent de l’ampleur de la victoire du nouveau président de la République et démontrent incontestablement que sa stratégie de rupture a été plébiscitée par l’écrasante majorité des sénégalais pour une réédification nationale, sociale et morale.

Face aux défis de l’heure, notamment l’emploi des jeunes, la cherté de la vie, les inondations, l’amélioration d’une Administration publique pour la rendre plus performante, les challenges du système de santé, etc., nous ne pouvons qu’appeler de tous nos vœux au succès de sa gouvernance.

Concernant ce dernier volet, les attentes sont à la fois nombreuses et diversifiées. Et parmi celles-ci, la valorisation de notre patrimoine thérapeutique, c’est-à-dire la médecine traditionnelle, nous parait fondamentale et constitue à n’en pas douter, une véritable amorce de rupture. Face au coût élevé des prestations de santé, de la forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur en approvisionnement en médicaments, de l’insuffisance de ressources humaines de qualité et de la faiblesse de la couverture sanitaire, l’Oms a recommandé aux pays en voie de développement, l’utilisation des ressources locales comme alternative aux besoins en santé de leurs populations.

En perspective de la construction d’un Etat fort au service des Sénégalais et de leurs intérêts, sûrement que les principes partagés du «Jub, Jubël, Jubanti» vont faciliter la prise de décisions en faveur de la valorisation et de l’institutionnalisation de la médecine traditionnelle.

M. Alioune AW
Ancien Coordinateur de la Cellule de Médecine Traditionnelle
badou60@gmail.com
Références bibliographiques :
Stratégie Mondiale de l’OMS pour la Médecine Traditionnelle (2014-2024) ;
Union Africaine : Agenda 2063 ;
Organisation Ouest Africaine de la Santé (OOAS) : Pharmacopée de l’Afrique de l’Ouest ; rapports réunions d’élaboration ;
Organisation Africaine pour la Propriété intellectuelle (OAPI) : Initiative de Libreville (2003) ;
Christian Moretti, valorisation et exploitation des plantes médicinales de Guyane, le point de vue d’un phytochimiste.
«Vision Sénégal 2050»