Le Comité de gestion du Fonds de développement des cultures urbaines (Fdcu) a rendu visite hier à quelques structures ayant bénéficié des plus gros montants du Fonds, à savoir 99 Records de Simon, Kaay Fecc de Gacirah Diagne, Studio Sankara de Awadi, Guédiawaye Hip-Hop de Malal Talla, Africulturban de Amadou Fall Ba, Doxan­dem Squad de Docta et l’Association Yakaar Optimiste Produktion avec Safouane Pindra. Ces structures, qui ont bénéficié chacune d’un financement de 10 millions pour la formation et la structuration de leur association, ont salué le geste de haute portée de l’Etat, tout en sollicitant son augmentation.

Si la distribution des Fonds de développement des cultures urbaines à certaines structures a suscité quelques grincements de dents, avant-hier le Comité de gestion a voulu se faire bonne presse en allant à la rencontre de certaines associations à qui ont été octroyées les plus grosses enveloppes. Histoire de constater de visu ce qui a été fait. Premier à recevoir le comité qui avait à sa tête le coordonnateur du Fdcu, Oumar Sall, Awadi a fait visiter au comité et à la presse son Studio Sankara qui s’est doté d’un nouveau matériel grâce au fonds. «Nous nous sommes équipés grâce au fonds. L’objectif pour nous, c’était de renforcer nos capacités pour tout ce qui est équipement audiovisuel et d’être leader sur tout ce qui est production audiovisuelle et cinématographique», affirme-t-il, tout en faisant découvrir à la délégation ses différentes salles et le matériel dernier cri qu’il a acquis. Ce sont notamment une caméra red et 7 autres objectifs professionnels, des objectifs cinémas. Même si le coût de cette caméra dépasse de loin le budget de 10 millions qui lui a été alloué, pour Dj Awadi, c’est une grosse fierté que l’Etat sénégalais décide d’accompagner les cultures urbaines parce qu’elles comptent vraiment dans le paysage culturel du Sénégal.
«C’est un honneur de recevoir ce fonds. C’est facile de recevoir de l’argent et de ne rien faire du tout. Pour le moment, nous avons reçu 8 millions et nous nous sommes équipés», a expliqué Awadi. Et au-delà de l’équipement, le challenge de Studio Sankara c’est aussi de former des jeunes sur le son, la vidéo, le cinéma et de renforcer les capacités de certains qui ont déjà des connaissances en les mettant aux côtés de réalisateurs. «Nous voulons continuer sur cette lancée pour booster davantage la production sénégalaise et surtout augmenter la qualité. Beaucoup de gens font le cinéma avec du matériel vidéo, alors que pour obtenir la qualité supérieure, il faut des objectifs, des caméras cinémas et des gens bien formés», a poursuivi le patron du Studio Sankara. Niveau qualité son et image, le rappeur relève que son prochain clip, qui a été réalisé avec ce matériel, a un rendu très différent des clips qu’il avait l’habitude de faire. «C’est top», dit-il. Et même si les 8 millions n’ont pas suffi à boucler son budget global de 100 millions, il applaudit quand même. «Continuez d’aider si vous voulez que ça continue d’évoluer, si on veut qu’on continue d’avoir des prix comme Alain Gomis, Demba Dia. On verra les résultats. Le Nigeria l’a fait, le Maroc le fait avec beaucoup de forces. Il n’y a pas de secret», argumente-t-il.

Kaay Fecc, 99 Records et Doxadem Squad font peau neuve
A Blaise Senghor, 3 structures ont aussi obtenu le financement du Fdcu. Kaay Fecc de Gacirah Diagne, 99 Records et Doxadem Squad. Elles qui avaient du mal à avoir une adresse physique, une administration structurée et des équipements ont, grâce à l’appui du Fdcu et en mutualisant leurs ressources, pu se restructurer, en s’octroyant des locaux bien aménagés, des équipements de pointe, contracter des administrateurs et lancer des formations pour les jeunes. Dans les bureaux de l’Association Kaay Fecc, contigus à ceux de 99 Records de Simon Kouka et Doxadem Squad de Docta, le secrétaire général de l’association, Papa Abdoulaye Faye, s’active avec les membres de son staff. Même si la présidente est absente, les activités se poursuivent. Il reçoit la délégation, revient longuement sur le battle national et le battle of the year qui s’est tenu à Tambacounda, en partie grâce au 10 millions du Fdcu. Même si ce n’est pas arrivé à temps, ils ont qu’à même pris le risque de s’endetter pour tenir ce battle et offrir des stages aux jeunes de certaines localités. «Pendant ce séjour à Tamba, nous avons organisé un stage de djying avec Dj Leuz. Avant cela, il y a eu deux stages de danse : l’un en danse traditionnelle mandingue avec M. Cissokho et l’autre en danse contemporaine avec Ben J et Tito qui ont aussi donné des stages pendants 12 jours aux jeunes de Tamba pour mieux les préparer au battle national», a-t-il renseigné, mentionnant que rien que pour 2017, ils ont créé 450 emplois temporaires et près de 10 emplois directs.
«A chaque fois qu’on se déplace, on crée des emplois pour nos activités. Nous prenons des techniciens son, lumière, régie, des formateurs», informe Papa Abdoulaye Faye. Mais pour lui, l’idéal serait tout de même qu’ils puissent recevoir les fonds à temps. «En partant, on ne savait pas si on allait recevoir ce fonds et combien on allait recevoir», a-t-il regretté. Décorés par un tas d’affiches de rappeurs qui ont marqué le hip-hop sénégalais Daara J, Rapadio, Pbs, Pee Froiss, Matador, Da Brains, Yatfu…, et les albums produits par Djoloff 4 life, 5ème Underground, Tigirimbi, Sen Koumpa, les bureaux de Simon Kouka et de Docta sont un vrai laboratoire des cultures urbaines. Ils ont aussi du bon matériel. Debout au milieu de la salle, Simon affiche toute sa fierté d’avoir obtenu 10 millions du Fdcu. «Les grands frères ne se sont pas battus pour rien. Aujour­d’hui, le temps où un rappeur entrait dans une maison et on lui refuse d’y prendre épouse est fini. Plein de jeunes rappeurs ont des cachets de 900 mille, 1 million. D’autres font le tour du monde. Il y a des salariés dans le hip-hop. Ce fonds fait énormément de bien. Depuis 2013, on fait le tour du pays pour demander à chaque ministre qu’on a besoin d’un fonds. Aujourd’hui, ce fonds est là. On ne va pas cracher sur l’enveloppe», dit-il tout en espérant qu’il sera augmenté parce qu’il y a une demande très forte.
De son côté, Docta se félicite d’avoir formé dans les régions des jeunes graffiteurs et pu leur donner des ouvertures pour créer des projets. Dans ses projets, l’idée de faire des Doxademm résidences figure en bonne place… «On ne va pas s’en arrêter là», assure-t-il. Pour lui, le but c’est de créer cette dynamique au niveau des régions pour qu’on puisse tourner et créer une véritable industrie. Son idée n’est pas loin de celle de Amadou Fall Ba qui, grâce au Fdcu, respire l’air pur au Technopole. Après avoir quitté la municipalité de Pikine, Africulturban a trouvé des locaux au Centre Jacques Chirac de Thiaroye. Et en janvier 2017, il a déménagé dans un bâtiment 2 niveaux sur un site qui se trouve non loin de Technopole. «Pour nous, ce n’était pas évident parce que toutes nos forces étaient éparpillées. Nous n’avons pas demandé à faire de l’événementiel ou la formation, mais la structuration parce que, pour nous, c’était important d’assurer cette transition.» A la tête d’une association de mille membres, c’était important pour Amadou Fall Ba de postuler et de voir comment se stabiliser. Aujourd’hui encore, il trouve juste la démarche de suivi du Comité de gestion du Fdcu. «C’est l’argent public», relève-t-il, exprimant par ailleurs toute sa sympathie à l’Etat qui a fait confiance au mouvement hip-hop alors que les rappeurs sont souvent pris pour des farfelus. «Nous faisons un travail sérieux et c’est symbolique pour nous que l’Etat du Sénégal soutienne les projets des cultures urbaines», juge-t-il.

Nécessité d’augmenter la cagnotte
Tous ces acteurs des cultures urbaines jugent toutefois que les 300 millions alloués au Fonds de développement des cultures urbaines sont peu, mais que c’est déjà un bon départ. «C’est un début, c’est la première fois qu’un fonds est alloué au hip-hop. Il y a donc de quoi se réjouir et faire de bons résultats pour convaincre l’Etat à aller à 1 milliard. J’étais à la cérémonie de remise du Grand prix du chef de l’Etat pour les arts. J’étais déçu que tous les fonds soient doublés sauf le nôtre. 500 millions en 2018, ça pouvait être intéressant. Ensuite, aller à 750 millions jusqu’à 1 milliard. Le hip-hop c’est 3 000 groupes de rap. C’est énorme, le cinéma n’a pas cela, la littérature, la danse aussi. Je crois que pour vraiment soutenir ce secteur, il faut au minimum 1 milliard. Là, on pourra construire des choses», analyse Amadou Fall Ba. Outre les locaux, Africulturban s’enorgueillit d’avoir pu stabiliser 2 postes : celui du chargé de communication et du coordonnateur. «La communication c’est important, mais il nous fallait aussi un point focal pour gérer les choses de A à Z.» Côté équipement, il n’y a non plus de raison de s’en faire pour celui qui a été détruit au cours de l’incendie. 30 jeunes ont une formation en Mao, en partie grâce au Fdcu. Le seul hic, c’est que les lieux restent quand même exigus.
Cap sur Guédiawaye Hip-Hop. Ici, le studio d’enregistrement renferme aussi du matériel flambant neuf. «Les 10 millions nous ont permis de renouveler tout le matériel. Avant, on travaillait avec KRK qui ne nous donnait pas ce que nous voulions en matière de son. Aujourd’hui, tout le parc a été renouvelé. Ça nous a permis d’élargir le studio pour refaire l’insonorisation qui n’était pas parfaite. Les productions peuvent égaler celles produites en France ou ailleurs, des spots, des singles… Les 10 millions aussi ont permis de former 2 personnes dans l’équipe de G Hip-Hop en termes de gestion administrative et au niveau de la comptabilité…», informe le rappeur Malal Talla alias Fou Malade. Tout aussi content de l’initiative, il affirme : «Nous nous disions tout le temps quand est-ce que notre gouvernement va intervenir ? C’est avec un grand bonheur que nous accueillons ce fonds pour le secteur des cultures urbaines.» Fou Malade, à la suite de ses pairs, plaide aussi pour une augmentation. «70 % de la population sénégalaise sont des jeunes. Le hip-hop est un mouvement qui parle aux jeunes. C’est un secteur qui s’organise. Il est important de soutenir les projets des cultures urbaines. Je m’attendais à ce que le Président augmente le fonds à 500 millions. Répondre favorablement à la demande des acteurs du hip-hop, c’est réduire le chômage. Soutenir le hip-hop, c’est apaiser et amortir les tensions sociales. La demande est forte», tente-t-il de convaincre.
Cette visite s’est terminée à Rufisque chez Yakaar Optimiste Produktion de Safouane Pindra. Là, Oumar Sall, coordonnateur du Fdcu, a rappelé l’idée qui sous-tend cette initiative. «Ce matin, on a vu des projets intéressants. Et maintenant, il s’agissait de voir si les résultats sont conformes. Nous sommes très satisfaits de ce qu’on a vu. Les résultats sont probants. Ces structures fonctionnent à la subvention pour le moment, mais l’idée c’est que nous sommes dans une logique de créer une chaîne pour une véritable industrie des cultures urbaines au Sénégal», a-t-il mentionné. Si l’accompagnement va crescendo, 1, 2, ou 3 milliards, M. Sall dit être sûr qu’il y aura d’autres résultats plus probants, mais la règle d’or «reste la transparence dans la gestion».