En 1972, le météorologue Edward Lorenz jetait les bases de la théorie du chaos, en l’associant à l’idée d’un papillon dont les ailes battantes changeraient le cours du monde. De façon bien plus tragique que les effets du nez de Cléopâtre. Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil pourrait donc provoquer une tornade au Texas ? Mmmh ! Pris comme ça au premier degré, cela semble bien saugrenu comme idée, mais à force de calculer, modéliser et raisonner, l’effet papillon a fini par faire son petit bonhomme de chemin. Mais, nous allons l’aborder autrement. En bonne conteuse, je vais d’abord vous raconter l’histoire de Vladimyr et Kirikou.
Voici le petit Vladimyr (avec un y, svp), présenté au monde par les caméras déployées sur le théâtre des opérations à Kiev et Marioupol. Huit ans, la tête timidement enfouie dans les bras de sa maman épuisée et les nerfs à vif, il monte à bord d’un train bondé de futurs refugiés. De l’autre côté de la Pologne où il arrivera bientôt, un monde fou s’est mobilisé en solidarité pour lui et ses compagnons de fortune. Il sera dirigé vers un bus en partance pour Naples où, là aussi, un autre monde fou l’attend pour l’accueillir. Il y sera logé, nourri et, à l’école du quartier où on prépare son arrivée avec impatience, il fera sa nouvelle rentrée scolaire sous une haie d’honneur et des applaudissements nourris, pour le rasséréner d’avoir survécu aux bombes et pour saluer sa bravoure. Pour le petit Vladimyr, l’effet papillon russe est vite passé sous contrôle, car au milieu du chaos, en amont et en aval, il y a eu un effort de préparation pour amortir les rebonds de la guerre sur ce petit être innocent. Ouf, ce n’est pas gagné mais, au moins, quelques-uns de sauvés !
Au moment où le petit Vladimyr escalade les marches du bus le menant vers sa nouvelle vie, Kirikou, du même âge, déambule de l’autre côté du globe, dans les rues de la ville. Depuis 2020, ses parents ont fui les émeutes post-scrutin de Conakry pour se réfugier à Bamako, en attendant de pouvoir passer la frontière fermée pour s’installer à Dakar. Autour de lui, il y a de l’agitation et des manifestations. Pour cause : tous les camions de farine de manioc sont bloqués. Sur toutes les lèvres, il n’y a plus qu’un seul mot que, lui, enfant non scolarisé, ne comprend pas très bien. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire, sanctions ? Bon, tant pis. Tout ce qu’il sait pour le moment, c’est qu’il n’a pas mangé d’aloco depuis plusieurs semaines. Il sait aussi que son quignon de pain au petit-déjeuner a bien raccourci, que son kinkéliba au lait est devenu tellement transparent qu’il y voit comme dans un miroir, et que le goût du sucre, d’habitude si fondant dans ses papilles, semble un bien lointain souvenir. Le déjeuner ? Pfff. Occasionnel et circonstanciel. Le diner ? Très sommaire.
Quel fichu timing, dis donc. Les sanctions, la crise, et maintenant la guerre. Vlad le Grand, le doigt scotché sur le bouton de l’horreur, flanqué d’un papillon doré comme emblème de guerre, est bien décidé à semer le chaos et nous renvoie à la rigide réalité de l’ordre mondial. Celui que l’on avait perdu de vue durant la pandémie, tandis que le terrible virus nous rendait fatalement tous égaux devant la maladie. Ce même ordre mondial qui reviendrait donc narguer notre fragilité. Nous alertant que cette fois-ci, les choses vont vraiment chauffer pour l’Afrique, et qu’elle va baver des effets les plus pervers et les plus désastreux d’une guerre dont elle n’a pourtant rien à faire. Le chaos, et pas des moindres. Quel foutu timing vraiment. Que le battement des ailes du papillon russe s’acharne sur le petit Vladimyr, on condamne et on compatit, mais on comprend que c’est tombé sur lui à cause de l’effet de proximité. Mais que la tornade de ce même papillon russe vienne épaissir le lit de misère de Kirikou dans sa vie déjà trop ordinaire, voire tristement précaire, et en plus truffée de sanctions, nous donne envie de taper du pied comme un caprice d’enfant, et de crier à l’injustice. Zut et flûte !
Mais comme on dit chez nous, bou yoon diekhoul, wakhoucil dou diékh. Alors, au lieu de scruter le ciel en se demandant à quel moment le papillon de Vlad le Grand va surgir des limbes et nous tomber sur la tête, on pourrait par exemple… se préparer à la tornade. A défaut de savoir voir venir et anticiper comme les gens de chez Vladimyr, on pourra au moins prendre la première vague, et s’accrocher pour surfer sur celles à venir. Car l’un dans l’autre, l’impréparation serait notre vrai ennemi. Mais à cela, on va pouvoir remédier aisément. Car s’il est vrai que ni le sort du pétrole, ni celui du gaz n’ont jamais été de notre ressort, et que, comme disait notre Gorgui préféré, «nous sommes des nations qui pouvons encore nous éclairer à la bougie», la gestion de la crise alimentaire qui s’en vient et qui va secouer nos calebasses et délester nos casseroles, est bien entre nos mains. Pour cela, une multitude de mesures [et celles pour les accompagner] pourraient nous éviter de toucher le fond de la marmite, pour les prochaines deux ou trois années que vont durer la crise et la guerre et leurs effets collatéraux. Pour les pressés, maanam ci gatteul, disons que nous allons rester tout aussi pauvres mais au moins, nous pourrions ne pas mourir de faim.
Maintenant, en avant. Accrochons-nous pour la vague à venir. Et soyons créatifs. Pour réinventer notre devenir au milieu de ce tohu-bohu. Parce que nous le pouvons bien. 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1, top, c’est parti :
Première mesure : reporter les élections législatives. Car vouloir faire respecter un calendrier républicain à des ventres qui crient famine, dans un contexte d’approvisionnement mondial incertain, serait une extravagance aberrante, dispendieuse et déraisonnable ;
Ensuite, «travailler, encore travailler, toujours travailler» pour «accélérer la cadence» dans la production et la transformation de céréales locales et de féculents bien de chez nous ;
Puis, urgemment supplanter le blé, cet intrant que nous ne produisons pas et que nous ne produirons pas de sitôt. Inviter donc tous les corps de métiers de l’industrie alimentaire à trouver des alternatives pour la production des pâtes alimentaires et des produits boulangers ;
Ensuite, réduire l’exportation de nos ressources halieutiques, pour en garder un petit peu chez nous quand même. Et pas juste de la sardinelle, de grâce ;
A toute chose malheur est bon, dit-on. Voici venir le moment de gloire des tollou keur. Ce formidable projet dont la timide promotion reste emmurée dans de malheureuses brochures et quelques bouts d’articles de presse. Une occasion à saisir donc pour financer et former, à coups de milliards bien dépensés, un million de jeunes agripreneurs motivés ;
Soutenir la petite maraîchère pour qu’elle chouchoute nos précieuses cultures du combo diakhatou-bissap-kandia dont ne saurait se passer notre Sibon au gnankatang de la Vallée.
Enfin, pour la construction, remettre au goût du jour la brique de terre en lieu et place du ciment, et aussi l’énergie solaire dont nous disposons à profusion.
(NB : liste non exhaustive).
Et alors, quand on nous posera la question de savoir si le battement d’ailes du papillon russe a provoqué une tornade par ici, on répondra fièrement : «Pas tant que ça.» On racontera aussi comment nous avons su voler de nos propres ailes, et enfin avec nos propres ressources, pour que tous les petits Kirikou de la Guinée, les Sidiki du Mali, les Ali du Niger et les Samba du Sénégal, puissent, comme le petit Vladimyr, être mis à l’abri du chaos.
Et tiens donc : pour preuve, on diffusera en continu le reportage de notre cher Président qui, cette fois-ci, réussira à visiter gaillardement nos dépôts de stockage de denrées sans se faire railler ni susciter la colère des polémistes.
Finalement, tout vient à point à qui sait attendre. Comme dirait Fabrice Nguema : vive le Sénégal !

Awa NGOM DIOP TELFORT