Honorables députés du Peuple, dans quelques jours, vous serez confrontés à la dure réalité de devoir trancher une question (le vote de la loi sur le parrainage) qui retient le souffle de tout un Peuple que vous représentez, et de par la grâce de qui vous occupez cette noble station : la Représentation nationale. Ce projet, certes pertinent au regard de l’argumentaire de l’Exécutif (risque de pléthore de candidats), mais très controversé, car souffrant d’une absence de consensus sur les modalités de son application assez floues, vous sera soumis dans quelques jours pour approbation. A cet égard, il nous a été enseigné depuis notre tendre enfance que le Oui n’a de sens que s’il existe la possibilité de dire Non. Vu le niveau très élevé de désapprobation de ce projet de loi et la levée de boucliers qui s’ensuit, toute décision qui irait à l’encontre des intérêts du Peuple sénégalais que vous êtes censés représenter sera perçue comme une forfaiture. Aussi, il vous revient d’apprécier la situation somme toute électrique et de trancher en votre âme et conscience, même si par ailleurs les mécanismes (diversement appréciés) par lesquels vous héritez de cette noble mission relèvent de la volonté d’un seul homme, le président de la République. Il s’agit d’éviter de prendre la décision qui serait lourde de conséquences.
Honorables députés de la majorité, nous comprenons parfaitement le dilemme auquel vous pourriez être confrontés ; celui de devoir, d’une part, appuyer l’action du président de la République et, d’autre part, d’être contraints par la force des circonstances de lui opposer un niet conforme à l’intérêt général, surtout si celui-ci épouse la volonté de l’opposition sur le même sujet. Cependant, c’est tout le sens de la responsabilité de devoir prendre la bonne décision quelles qu’en soient les conséquences. Et la bonne décision, c’est celle qui préserve le Sénégal de troubles sociaux. Aussi, nous voudrions à quelques jours de ce vote historique vous inviter à méditer les théories ci-après, insufflées par le Bon Dieu à deux de nos éminents philosophes qui sous-tendent la gouvernance de toute société modernisée, démocratique. Nous voulons parler, d’une part, de Montesquieu, l’auteur de La séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). Selon lui : «C’est une expérience que tout homme qui détient le pouvoir est tenté d’en abuser.» De ce point de vue, il en déduit : «Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.» Investis de la confiance du Peuple, vous êtes l’incarnation même d’un de ces pouvoirs qui doit jouer le rôle de contrepouvoir pour toute décision allant à l’encontre de ses intérêts.
D’autre part, il s’agit de Jacques Rousseau qui professe dans ce qu’il appelle le Contrat social : «Le Peuple s’est volontairement lié par un contrat qu’il peut modifier quand il lui convient de le faire, les magistrats de quelque rang qu’ils soient, depuis le monarque jusqu’au dernier des agents de police, tiennent leurs pouvoirs du Peuple qui peut les leur ôter quand il veut : en d’autres termes, le Peuple est souverain.»
Honorables députés de la majorité, au-delà de ces deux assertions qui relèvent d’une prophétie pure, car édictées bien avant notre venue sur terre, il vous revient de mesurer la responsabilité qui pèserait dans votre conscience en prenant une décision susceptible «d’embraser» le pays. Non seulement vous aurez à y répondre devant le Tout-puissant, mais il s’y ajoute qu’il n’est pas forcément évident qu’en prenant une décision non conforme aux intérêts du Peuple, vous servez la cause du président de la République. La séparation des pouvoirs n’est pas sans doute synonyme d’autonomie, mais elle prône une franche collaboration dans l’intérêt du Peuple dont la souveraineté prime sur tout.
Honorables députés de la majorité, pour que puissiez servir les intérêts de ce Peuple, il ne faudrait pas que vous perdiez de vue qu’au-delà des mécanismes par lesquels vous êtes élus, vous tirez votre légalité et votre légitimité, au même titre que le président de la République, de la souveraineté et de la volonté populaire. Mieux, vous disposez aux yeux du Peuple d’une prééminence sur les deux autres pouvoirs, car vous leur donnez les moyens de leur existence par le vote du budget et des lois, mais également du pouvoir de contrôle de l’action gouvernementale. Il est vrai que le président de la République, en tant que dépositaire de l’autorité publique, détient les prérogatives de définir la politique de la Nation ; politique qu’il fait appliquer par le biais des lois qu’il a l’obligation de vous soumettre pour approbation ou non. Ce qui suppose un arbitrage de votre part relativement aux intérêts du Peuple.
En conséquence de quoi nous vous invitions, au même titre que d’autres citoyens, de suggérer le retrait de ce projet de loi tant redouté du fait des germes de confrontation qu’il charrie. Il vous revient de faire montre de sagesse patriotique et de courage politique pour convaincre l’Exécutif à retirer ce projet de loi et privilégier largement la recherche d’une solution consensuelle. C’est dans cette dynamique seulement qu’il sera possible d’enclencher un processus électoral sans heurt.
Honorables députés, c’est peut-être le moment de vous inspirer de l’exemple de vos devanciers qui, à l’occasion de l’examen du projet de loi portant sur l’introduction du poste de vice-président, avaient choisi de se ranger du côté du Peuple qui les avait élus. Il s’agit aujourd’hui, Honorables, de tracer la voie de la grandeur plutôt que de céder à une quelconque compromission, fut-elle intéressée.
Honorables députés, vous êtes, plus que tout autre pouvoir, la clé du
Yoonu yokkuté
Nous allons emprunter ce slogan, non pour ressusciter le programme fondamental de l’Apr qui l’a conduit, semble-t-il, au pouvoir, mais pour rappeler que la finalité de toutes nos actions de tous les jours, c’est le «yokkuté» (l’amélioration de nos conditions de vie). Sous ce rapport, de par les pouvoirs qui vous sont conférés par la Constitution, vous détenez la clé des rouages du Yoonu yokkuté des Sénégalais. Comment ? De par la Constitution qui vous confère les prérogatives ci-dessous :
examiner judicieusement les textes de loi qui vous sont soumis ;
procéder au besoin à leur amendement et les approuver ou les rejeter selon leur conformité ou non aux intérêts des populations. De plus, au même titre que l’Exécutif, proposer des lois à même de sauvegarder les intérêts de la Nation ;
voter le budget et les lois sur la base de critères économiques et sociaux pertinents ;
participer au contrôle de l’action gouvernementale en interpellant le Premier ministre par des questions sur la pertinence des actes posés par le gouvernement ;
d’évaluer les résultats des politiques publiques qu’il exerce au travers des moyens que vous leur octroyez (vote des lois). Cerise sur le gâteau, vous disposez du moyen de les censurer.
La détention de toutes ces prérogatives constitutionnelles vous situe en position de force novatrice et vous permet de ce fait d’imprimer votre marque sur les orientations de l’action publique. C’est également vous qui donnez votre caution à l’application des politiques publiques. Alors, qui d’autre que vous serez les responsables de l’utilisation à bon escient de nos ressources naturelles ? Il ne fait l’ombre d’aucun doute que si notre pays a su tenir debout économiquement jusqu’à présent, malgré la rareté des ressources naturelles, c’est grâce à la qualité de nos ressources humaines comme en témoigne la fameuse assertion de Bechir Ben Yahmed, à la veille de l’élection présidentielle de 88 : «Le Sénégal est le seul pays africain à pouvoir sortir 20 gouvernements différents.» Ce n’est pas au moment où le bon Dieu, répondant certainement à nos prières, nous donne des ressources tant rêvées que nous allons nous entre ligoter par des compromissions au service d’intérêts particuliers qui vont plomber l’avenir de notre jeunesse. La voie du «yokkuté» des Sénégalais (retraités comme actifs) qui suppose l’augmentation de leur pouvoir d’achat et la résorption du chômage des jeunes passe par une utilisation rationnelle de nos ressources naturelles qui, elle-même, reste tributaire de la signature de contrats qui soient dans l’intérêt des populations et non léonins.
Chers Honorables députés, sachez qu’à travers le vote de la loi relative au parrainage, vous tenez une opportunité de faire oublier toutes les tares et maux collés à la gestion des Législatures passées. Sachez également, Honorables, que de par votre pouvoir de contrôle de l’action publique relative à l’exploitation judicieuse de nos ressources naturelles, vous détenez la clé du Yoonu yokkuté des Sénégalais et, subséquemment, de la solution à la problématique de l’emploi des jeunes.
Honorables, le Peuple sénégalais est fatigué plus que jamais par le passé même si, comme c’est toujours le cas, les tenants du pouvoir voient le contraire jusqu’à ce qu’ils l’apprennent à leurs dépens. A défaut de sortir de sa souffrance, ce vaillant Peuple souhaite vivre dans la paix. Et pour cela, compte sur vous en toute logique.
A bon entendeur salut ! A vous de juger maintenant !
Mamadou FAYE Grand-Yoff