Au-delà des 135 km qui séparent Dakar de Ngaye Mékhé, il faut y ajouter une cinquantaine d’autres pour rallier Dékheulé au terme d’un voyage durant lequel les tracasseries et les raccourcis routiers sont éprouvants. Lat Dior a payé de son sang pour devenir héros national. Et pour aller voir sa tombe, il faut également s’armer de courage pour affronter un parcours du combattant. Mais dans l’optique de marquer ce 131e anniversaire de son décès, il fallait absolument effectuer ce voyage fatiguant et stressant.
Perdu dans la brousse de Kébémer, accéder au quartier de Dékheulé Peulh constitue un calvaire pour tous les visiteurs. Dans ce village frontalier entre les régions de Thiès et Diourbel, on ne trouve pas de véhicules qui s’y rendent habituellement. Au garage des Baux maraîchers de Pikine, un véhicule «7 places» en direction de Louga est conseillé aux voyageurs qui vont vers Dékheulé. Mais c’est à partir de Ngaye Mékhé, dans le département de Tivaouane, que les tracasseries routières commencent. Exit les petits véhicules et place aux cars «Ndiaga Ndiaye». Il faudra ensuite marcher une centaine de mètres pour atteindre le garage-auto de la localité. Un véritable souk où marchands ambulants et vendeurs d’aliments se fréquentent.
Pour atteindre Dékheulé, l’escale passe par Thilmakha Mbakol, une localité à 5 km du mausolée de Lat Dior. «Thilmakha, c’est 800 francs Cfa pour y aller», indique fermement sans transiger l’«apprenti» du bus. La mauvaise qualité de la route aidant, le car de transport en commun déraille parfois et le chauffeur, presque inconsciemment, joue avec les émotions des passagers. De l’extérieur se dégage une chaleur suffocante. Etouffante. Les novices découvrent au fil du temps les communes de Mérina Dakhar, Niaxène et Pékesse. C’est d’ailleurs dans ce dernier village, atteint au bout de presque une heure de route épouvante, que le «Ndiaga Ndiaye» s’arrête. Cet arrêt sans sommation soulève l’ire de quelques passagers. «On n’a pas payé le tarif de Pékesse, mais Thilmakha Mbakol», pleurniche un Sérère, l’air abasourdi. En réalité, le chauffeur attend un minibus appelé «horaire» pour transférer les voyageurs vers Thilmakha. «Il est entré à Pékesse, attendez juste un peu, supplie le conducteur. Mon car ne peut pas aller à Thilmakha.»
Avec le mini-car, la traversée de Pékesse pour Thilmakha se fait au bout d’une demi-heure. Et c’est le terminus. Mais ce n’est pas fini. Il faut faire l’étape qui mène à Dékheulé. Le tarif : 200 francs. A partir de là, il faut emprunter la route qui mène vers Darou Mousty. L’adresse s’appelle Digbeu. A ce lieu, finie la bitume. Et pour voir la tombe de Lat Dior, arpenter une piste latéritique devient le moindre mal. Le visiteur s’offre 3 km de marche sur cette piste tracée en 1986 : le «rangue rangue», comme on l’appelle à Dékheulé. Dans cette brousse, les champs verdoyants rappellent l’immensité de l’ancien royaume du Cayor. Le soleil au zénith assèche les bouches toujours en quête perpétuelle d’eau. On a soudain envie de fuir cette savane terrible où les charrettes qui se chargent habituellement de la navette sont invisibles.
Durant de longues minutes de marche, apercevoir un être qui bouge est quasiment impossible. La seule vue agréable : les montagnes, haut perchées, qui portent encore les vestiges de l’époque coloniale. Après presque une heure de pas lourds, des hameaux se pointent enfin à l’horizon. Insoucieux, un jeune garçon de moins de 10 ans abreuve son troupeau. «Il faut encore marcher. Vous voyez ces cases là-bas ? La tombe de Lat Dior se trouve derrière. Vous avez marché de la route jusqu’ici. Vous êtes fous ou quoi ? Avec cette chaleur, il fallait attendre une charrette», nous dit Amary. On tombe enfin sur le sanctuaire où repose Lat Dior. Et très vite, à voir le manque d’entretien dont souffre le mausolée de ce héros national, on se demande si le parcours du combat que les pèlerins vivent avant de fouler le sol de Dékheulé en vaut vraiment la peine.