Wade et la nostalgie de «88»

L’Histoire a ceci de charmant qu’elle «archive» souvent les traces des hommes. Il faut concéder à Wade d’avoir marqué cette histoire politique sénégalaise dans laquelle il s’est distingué parfois par ses bons et mauvais points. Son discours va-t-en-guerre du jeudi est comme une photocopie de celui de la Présidentielle de 1988. «Brûlez vos cartes d’électeur ! Saccagez le matériel électoral ! Regroupez les cartes de vos parents et mettez-y de l’essence ! Je ne veux voir aucune carte. Ce sont des cartes de la fraude», a-t-il demandé à ses inconditionnels venus l’écouter, à son retour de Versailles, à la permanence Oumar Lamine Badji. Dans le livre Le Sénégal sous Abdou Diouf, un vade mecum, Momar Coumba Diop et Mamadou Diouf relatent, dans le chapitre «Le pays au début de l’année 1988», que pour résister aux fraudes électorales et après le refus de la réforme du Code électoral, le «Pape du Sopi» avait «demandé aux militants de s’opposer physiquement à toute irrégularité pendant l’élection (de 1988), d’imposer la distribution des cartes d’électeur, de faire une démonstration de masse devant les préfectures et les sous-préfectures pour éviter une falsification, et finalement d’occuper le ministère de l’Intérieur afin que le ministre ne puisse proclamer les résultats». Et alors que le secrétaire général du Pds, dans sa déclaration de Versailles, invite à des «actions d’ici le 23 février, le jour du vote et après le vote», il y a 31 ans, il avait aussi prôné des «actions» dès son congrès ordinaire du 2 au 3 janvier 1988 avec des «mesures populaires de résistance à la fraude expliquées aux militants», rappellent Diop et Diouf. Et à l’époque, les Socialistes, réagissant à cette tactique de résistance de leader du principal parti de l’opposition, avaient déclaré dans Le Soleil qu’engager «ses partisans à occuper les préfectures et les sous-préfectures, le ministère de l’Intérieur, les locaux de la radio et de la télévision, c’est délibérément choisir une option putschiste et préférer la force au droit». C’est dire qu’en dépit de ses 12 ans de pouvoir, Abdoulaye Wade est plus à l’aise dans ses habits d’opposant. Et Abdou Latif Coulibaly, étonné par le ton présidentiel du Libéral en chef face à ses adversaires, avait dû en déduire que le Sénégal avait à sa tête un «opposant au pouvoir».
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