Washington et la mémoire des morts

Après un long survol de l’Atlantique qui s’ajoute à un vol qui a duré plus de 14 heures, l’avion foule enfin le tarmac de l’aéroport international Washington Dulles (IAD). La journée venait de commencer dans la capitale fédérale américaine. L’appareil d’une capacité de 516 personnes ne contenait qu’une dizaine de sièges vides donnant une idée de l’achalandage de cette ligne et de l’attrait des Etats-Unis d’Amérique. Près de 500 passagers entament à 8h39 du matin (GMT-5) leur débarquement de l’Airbus A380 qui leur a servi de chambre plus d’une demi-journée pour aller arracher leur part de rêve américain.
Destination le terminal de Washington Dulles. Bien que matinal, il est bondé et son vacarme avec des gens hyperactifs tout autour, donne l’impression d’une fourmilière qui n’a pas arrêté de tourner toute la nuit. Les comptoirs d’immigration sont bondés de monde. Les sourires avenants sont au rendez-vous avec les agents d’immigration américaine. On les voit vite comme des juges décidant d’accorder ou de refuser l’accès à toute personne étrangère sur le territoire américain. On comprend aisément la crispation de passagers non américains quand ils font face à ces agents. Le comptoir dédié aux personnels navigants avait déjà quelques équipages commerciaux en attente, donnant une idée de l’importance du trafic aérien dans cet aéroport qui relie l’Amérique entre elle et fait office de porte beaucoup plus souple du pays de l’Oncle Sam que les aéroports de New York, Chicago ou Atlanta. L’attente fut longue pour être autorisés à accéder au territoire américain. Le sésame nous est donné et nous nous dirigeons au cœur de la ville, une fois nos valises récuperées.
Le trajet à l’hôtel me fait mesurer la force de cette civilisation de l’automobile. Des voitures, en veux-tu, en voilà ! Je me noie dans mon téléphone pour faire passer les 25 minutes de route entre aéroport et hôtel. Je tente de tromper le temps avec une double lecture de la sourate Ya Sin du Saint-Coran durant le trajet, et de préparer mon programme de visite pendant mon séjour. On dit que c’est une sourate qu’on peut réciter aux mourants, je passerai de façon prémonitoire un sacré temps dans un cimetière lors de mon séjour à Washington D.C.
J’avais décidé depuis un temps avec des amis de voir le cimetière national d’Arlington, un lieu de dernier repos pour plus de 290.000 âmes qui ont combattu pour les Etats-Unis d’Amérique dans les différents conflits où ils étaient engagés. C’est l’un des deux cimetières de l’Armée américaine, où sont également enterrées des personnalités comme le 35ème président John Fitzgerald Kennedy. Arlington Cemetery me frappe parce qu’il est érigé sur une parcelle de terre qui a appartenu à l’épouse du Général Robert Lee, chef des armées confédérées, lors de la guerre de Sécession. Tout un symbole pour moi dans un pays où, le cérémonial est érigé au rang de religion. Dans mon Sénégal natal, on peine à se remémorer à la juste manière nos disparus, si on ne les oublie tout simplement pas. Cette envie de visiter Arlington s’est fait impérative avec la sortie du film «Tirailleurs», mettant en vedette le compatriote sénégalais Omar Sy et levant le voile sur un pan de l’implication africaine dans la Première guerre mondiale sous les drapeaux français.
Malgré le froid de Washington et la fatigue qui me pèse, je fais le tour du cimetière en passant devant les tombes du Président Kennedy et de son frère, le sénateur Robert F. Kennedy. Des coups de feu dans l’enceinte du cimetière m’effraient avec mes amis. On nous renseigne qu’à quelques centaines de mètres, il y a un enterrement et c’est son cérémonial qui implique l’exercice de trois coups de feu, le three-volley salute, pour le repos de l’âme d’un ancien combattant. La solennité du moment m’intrigue quand je m’imagine qu’au Sénégal les minutes de silence sont difficilement respectées ou les hommages aux défunts observés. Je finis la visite d’Arlington pour me rendre au Lincoln Memorial, où se trouve la fameuse statue du 16ème Président américain, Abraham Lincoln. Il est surnommé «Honest Abe» de part sa gentillesse et son sens d’humanité relayé par l’écrivaine Doris K. Goodwin dans Leadership in Turbulent Times, qui a fini de me rendre obsédée par un tel leader. Si l’esclavage n’est pas mauvais, alors rien n’est mauvais dans ce bas monde disait Abraham Lincoln. Il mettra tous ses efforts à combattre l’esclavage et à mettre fin à la guerre de Sécession, donnant aux Américains de toutes les couleurs un pays en partage. Pour bref qu’aura été mon passage à Washington D.C, je ne peux mesurer sa portée sur l’image qu’il m’a donné sur le respect de la mémoire et de l’histoire. La gourmande que je suis a savouré de bonnes pâtes aux crevettes dans un restaurant italien avant de courir pour convoyer d’autres passagers dans un autre bout du monde.