Yatma Fall, président de la Fédération sénégalaise des associations de personnes handicapées

Avec l’annonce de la mise en place d’un fonds de 350 milliards F Cfa pour financer l’emploi des jeunes, le président de la Fédération sénégalaise des associations de personnes handicapées espère qu’elles seront intégrées dans ce programme. Dans cet entretien, Yatma Fall ressasse les mêmes problèmes auxquels les Pvh sont confrontées : l’accès au logement, la prise en charge médicale, la publication des décrets d’application de la Loi d’orientation sociale, 11 ans après son adoption.Par Alioune CISS (Correspondant) – Selon le rapport mondial, les personnes vivant avec un handicap au Sénégal sont estimées à 15,5% de la population, soit environ 3 millions d’individus. Vous invitez les autorités à prendre en compte cette frange importante de la population sur les 350 milliards destinés à l’emploi des jeunes. Pourquoi réclamez-vous cette inclusion ?
Le président de la République a décidé d’allouer une enveloppe de 350 milliards pour l’emploi des jeunes. Nous saluons cette initiative. C‘est important, mais on voulait attirer son attention sur le fait que parmi les jeunes aussi, il y a beaucoup de handicapés qui méritent d’être accompagnés, financés, mais aussi d’avoir un emploi. De plus en plus, on a des jeunes qui font beaucoup d’efforts dans un environnement hostile, qui vont à l’école, se battent, arrivent à avoir leurs diplômes, mais se retrouvent au chômage. Une personne vivant avec un handicap au chômage signifie que l’on ne fait rien contre la mendicité. S’il y a beaucoup de mendiants dans les rues des grandes villes au Sénégal, c’est que nous avons un système d’exclusion de fait au niveau de l’éducation et de la formation. Quand on n’a pas été à l’école, quand on n’a pas de métier, on ne peut pas travailler. Et si de surcroît on a un handicap, la seule alternative qui s’offre c’est la mendicité. Dans tous les cas, nous attendons que la jeunesse souffrant d’un handicap soit prise en compte.
Dans le programme des 100 mille logements, vous avez plaidé pour que votre association intègre le Comité technique, mais aussi que les personnes avec un handicap disposent de ces logements…
Vous savez, dans la Loi d’orientation sociale, notamment à l’article 34, il est prévu que quand l’Etat met en place des programmes de logements, un programme d’habitat, d’aménagement urbain, il doit prendre en compte le handicap et les personnes qui en souffrent. Or jusque-là nous entendons parler des 100 mille logements, mais on n’a pas encore été contacté pour que nous puissions avoir notre part. Ce n’est pas qu’on mette à notre disposition des logements gratuitement, mais que le programme puisse cibler des personnes handicapées et que les lieux où ces logements vont être érigés soient aménagés de sorte qu’ils soient accessibles aux personnes handicapées. Il ne faut pas oublier que le Sénégal s’est engagé sur les Objectifs de développement durable (Odd). Et l’un des objectifs, c’est de construire des villes accessibles et résilientes, c‘est-à-dire des villes où les personnes handicapées aussi trouveront leurs places. C’est pourquoi, en application de l’article 34 de la loi d’orientation sociale, autant nous demandons la prise en compte de la jeunesse handicapée sur les 350 milliards, autant nous demandons celle des personnes handicapées dans le programme des 100 mille logements. Ensuite, récemment au ministère de l’Urbanisme, on a mis en place un comité technique chargé de revoir le Code de la construction et celui de l’urbanisme. Nous souhaitons, pour éviter les erreurs du passé, que les personnes handicapées intègrent ce Comité technique pour pouvoir orienter les débats sur la rédaction de certains articles parce qu’il y a beaucoup d’édifices publics qui ont été construits et qui n’ont pas respecté les normes de construction, et qui sont devenus inaccessibles pour nous. On pourra s’assurer que les normes architecturales vont être respectées de sorte que demain les autorisations de construire qui vont être délivrées et celles de lotir et d’aménagement des villes puissent être conditionnées par le respect des normes architecturales. Les gens qui sont dans les commissions ne le savent pas, ils n’ont pas l’expertise.
Onze ans après le vote de la loi d’orientation sociale, où en est-on avec les décrets d’application ? Quid de la tenue d’un Conseil présidentiel ?
C’était une promesse du Président Macky Sall. Aujourd’hui, le Sénégal n’a plus de Premier ministre, il n’y a plus quelqu’un qui coordonne l’action du gouvernement. La loi d’orientation sociale comprend plus de 15 textes d’application. Et 11 ans après son vote, seulement deux textes ont été pris. Il reste 13 autres, des décrets et des arrêtés ministériels et interministériels qui doivent être pris. Notre ministère n’a pas de prérogatives pour donner des instructions à ses collègues. C’est pourquoi nous avons dit qu’en l’absence d’un Premier ministre, la tenue d’un Conseil présidentiel sur le handicap est une nécessité. Avec la présence des différents ministères sectoriels chargés de la mise en œuvre de la loi d’orientation sociale, on peut lui faire le point et il pourra donner des instructions parce qu’il en a la prérogative pour que chacun joue son rôle dans l’effectivité de la loi.
Votre fédération a participé au dialogue national qui tire à sa fin. Est-ce que vos préoccupations ont été prises en compte ?
Effectivement, nous sommes à la fin de ce dialogue et la fédération avait pris une part active dans les discussions, notamment la commission politique du dialogue national dans le but est de rendre inclusif notre système électoral. Parce que nous pensons que les personnes handicapées doivent être des électeurs comme tous les autres citoyens, mais également elles doivent pouvoir être éligibles. Mais jusque-là, notre système électoral ne prend pas en compte la participation des personnes handicapées. Nous avons été observateurs, nous avons fait le tour du pays pendant les élections et en fait d’observation c’était plutôt pour nous un audit d’accessibilité des lieux de vote. Nous nous sommes rendu compte que certains lieux de vote n’étaient pas accessibles par certaines personnes handicapées, soit c’était trop sablonneux ou il était difficile pour quelqu’un en béquilles ou en fauteuil roulant de venir voter. Soit des bureaux de vote sont à l’étage et excluent de fait des personnes qui sont en fauteuil roulant. Cela avait fait l’objet de 9 recommandations que nous avions soumises à la commission du dialogue politique et qui ont été prises en compte. On va vers la réécriture du Code électoral, c‘est-à-dire qu’on va mettre en place un Comité technique de revue du Code. Il y avait la demande que la fédération ait un représentant au niveau de ce comité pour veiller à ce que les recommandations qui ont été faites soient prises en compte. Nous avons obtenu l’accord de la commission.
En ce qui concerne la vaccination contre le Covid-19, vous semblez aussi déplorer le fait que les handicapés ne fassent pas partie des groupes prioritaires alors qu’ils sont exposés…
Nous avons remarqué qu’on a ciblé des groupes prioritaires, comme le personnel de santé, les personnes âgées vivant avec des comorbidités. Nous avons aussi demandé que les personnes handicapées soient dans les groupes cibles prioritaires parce qu’elles sont aussi parmi les personnes vulnérables du fait de leur handicap, qui entraîne d’autres maladies avec comorbidités.
Il faut les vacciner pour protéger le reste de la société parce que beaucoup de personnes handicapées sont dans la rue et pratiquent la mendicité. Elles interagissent avec d’autres, peuvent recevoir de l’argent infecté comme elles peuvent rendre de la monnaie infectée. Donc elles deviennent des vecteurs de transmission. Et on doit les prioriser.