L’arrêt des rotations du bateau Aline Sitoé Diatta entraîne une agonie des activités gravitant autour de ce lieu d’échanges et de voyage. Le port se meurt, jetant dans le désarroi total, les populations de Ziguinchor impactées à des niveaux inégaux par cette mesure de l’Etat. Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour demander la reprise des rotations des navires dont la suspension, depuis juin, est en train de bloquer l’économie de la région dont la vie tourne essentiellement autour de cette activité génératrice de nombreux revenus.

C’est le désert au Port de Ziguinchor. Cet endroit, qui grouillait de monde les jours de départ du bateau Aline Sitoé Diatta comme ce jeudi, ou d’arrivée, sonne creux. Les chants et gazouillements des oiseaux sur les arbres près de l’embarcadère dont les feuilles et les branches blanchies par les défécations et le vomi des oiseaux pèlerins, offrent à la fois une ambiance morose et une odeur nauséabonde. Bien sûr, l’air marin caresse les visages des visiteurs à l’approche du port. Il atténue cet effet malodorant au milieu d’un espace désormais sans âme.

Depuis la suspension des rotations du bateau Aline Sitoé Diatta, il y a un peu plus de cinq mois, toute l’économie de la commune, et peut-être de la région de Ziguinchor, s’est arrêtée avec cette mesure. Et le port se meurt petit à petit. Les passages des motos Jakarta et de rares véhicules particuliers cassent de temps en temps ce calme inhabituel des lieux, jadis très animés. Ici, voir un taxi rouler est devenu un luxe. Les portes entrouvertes laissent apercevoir un intérieur désertique, mais bien nettoyé. Pas l’ombre d’une personne dans cette enceinte. Même pas de policier sentinelle à l’entrée. Aucun bateau aperçu au niveau de l’embarcadère. Le drapeau national frottant à l’entrée semble être la seule chose qui tient encore dans cet endroit. Pourtant, la Casamance est une région productrice de produits halieutiques, de fruits et légumes, qui étaient acheminés vers Dakar par voie maritime à travers ce port.

Aujourd’hui, force est de reconnaître que l’économie est chahutée par cette mesure qui impacte négativement tous les autres secteurs de la vie à Ziguinchor. L’absence de ces bateaux est ressentie à un niveau inégalé, remettant même en cause la liberté de circuler. Les populations souffrent de cette situation. «Nous ne mangeons et ne buvons plus. Nous sommes vraiment fatigués. Ecouler quelque chose est devenu un casse-tête. On ne dort plus. On est fatigués, nous en avons marre. On veut la reprise des bateaux, et que la ville redevienne ce qu’elle était», se lamente Georgina. Cette vendeuse de fruits de mer transformés, qui tient une table bien garnie en face du port, en a marre de la situation. «Nous avons contracté des prêts bancaires pour nous procurer des produits, mais cela fait six mois que les produits sont encore entre nos mains», soupire Georgina. Elle partage ce calvaire avec tous les vendeurs de produits alimentaires devant le Port de Ziguinchor. Mais ils ne sont pas les seuls à souffrir de la situation. Les fournisseurs de services se tournent les pouces à longueur de journées.

«Nous ne voyons plus de clients. Deux à trois clients seulement par jour. Le business ne marche plus depuis l’arrêt du bateau. Vivement que les rotations reprennent», prie Fatou Kiné, gérante d’un cabinet d’Assurance non loin du port. «Tout est bloqué. Plus de commissions», rajoute son collègue. Cela semble être une éternité. Cette période dorée s’est brutalement effacée laissant la place à des journées mornes. Pas de busines, pas d’argent. C’est une expression caricaturale de la situation, mais la triste réalité.

De leur côté, les dockers se plaignent de ne plus travailler. Parmi eux, il y en a qui ont changé provisoirement de profession. «D’autres sont retournés à la mer pour pêcher depuis que le bateau ne vient plus à Ziguinchor. Nous, on est là espérant que cela va ouvrir très bientôt», a soutenu un docker. Il joue au jeu de dames avec ses potes à l’entrée du marché Saint Maure sis à quelques mètres du port.

Appels des commerçants, hommes d’affaires et politiques
Les opérateurs économiques de la région sont dépités. Pour le président de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Ziguinchor (Cciaz), la région est aujourd’hui isolée, à cause de ces mesures de suspension des rotations du navire Aline Sitoé Diatta. «Ces problèmes politiques ont touché tout le pays. Alors, ce n’est pas normal qu’on prenne des mesures de ce genre pour enfoncer la région», condamne Pascal Ehemba.

Le navire Aline Sitoé Diatta quittait Ziguinchor pour rallier Dakar les jeudis et dimanches. Les embarquements se faisaient de 11h 30 à 13h 00. Il arrivait à Ziguinchor les mercredis et samedis à partir de 10h. Trois navires assuraient le transport de passagers et de fret. Ces rotations sont suspendues depuis les émeutes de juin par les autorités sans explications officielles et publiques.
Aujourd’hui, c’est la route qu’utilisent les commerçants pour acheminer leurs marchandises vers la capitale du pays. Mais ils le font à contre-cœur vu les impondérables qui se dressent sur leur chemin. «Les routes ne sont pas bonnes. Nos produits alimentaires périssent en cours de chemin avant de nous parvenir. S’il s’agit d’objets, certains se cassent. Ce qui fait que les restaurants manquent de tout en ce moment concernant les produits importés», s’indigne Omar Baldé, gérant d’un restaurant.

Demande de reprise des rotations
D’ailleurs, des voix s’élèvent de plus en plus pour demander la reprise des rotations. Des milliers de personnes ont signé une pétition en ligne pour réclamer la reprise de la desserte maritime entre Dakar et Ziguinchor. «Nous, usagers du bateau, exigeons la reprise sans délai de la liaison maritime Dakar-Ziguinchor», indique la pétition mise en ligne le 13 octobre et initiée par Xavier Diatta, responsable d’une société agro-alimentaire basée à Ziguinchor.
La ministre-conseillère du président de la République, Aminata Angélique Manga, a plaidé pour la reprise des rotations du navire Aline Sitoé Diatta. «Il est temps que les rotations du bateau reprennent. Il n’y a plus rien au Port de Ziguinchor. Le port se meurt», a déclaré Mme Manga.

Attristée par l’enclavement de la région consécutif à l’arrêt des bateaux qui assuraient la liaison maritime Dakar-Ziguinchor, Innocence Ntap Ndiaye dit : «Nous avions réussi le désenclavement. Tout le monde avait félicité le chef de l’Etat pour les mesures fortes. Le pont, le bateau, mais aujourd’hui c’est un peu triste quand les bateaux ne viennent pas. Cela aussi mérite une réflexion profonde parce que nous avons ici des hommes d’affaires, des entreprises, des travailleurs, des familles, des populations qui vont, qui viennent.» «Il y a quelque chose à faire de ce point de vue. Il faut qu’il y ait des discussions. Nous sommes des personnes ressources qui peuvent être consultées pour des questions de ce genre»,  fait savoir la présidente du Haut-conseil du dialogue social.

La liaison avait été arrêtée après des troubles meurtriers à Ziguinchor et dans d’autres villes du pays, consécutifs à une condamnation de l’opposant politique Ousmane Sonko à 2 ans de prison ferme pour corruption de jeunesse.

«La ville se meurt…»
L’on souffle de manière officielle que «la suspension de la liaison est due à des raisons de sécurité». Même si des établissements et autres étals commerciaux ne sont pas fermés, les activités ne marchent plus. «Comment se portent les activités ?», est devenue une question qui fâche auprès de certains commerçants et gérants de services aux alentours du port. Soit c’est un chômage forcé, soit une réduction du temps de travail chez eux. «Les bateaux étaient le cœur sinon la locomotive de la vie à Escale. Plus rien ne vit. Les commerçants ferment leurs commerces à partir de 18 heures. Auparavant, ils allaient jusqu’à 23 et parfois au-delà», informe Omar Baldé. «Nous sommes fatigués. Notre chiffre d’affaires a chuté depuis l’arrêt des rotations.

Nos clients étaient des étrangers qui venaient par le bateau ou qui devaient prendre le bateau. Aussi nos bagages nous parvenaient par fret. C’était moins cher, plus rapide et plus sûr que par voie terrestre. Par cette voie, nos produits alimentaires importés pourrissent ou s’il s’agit d’objets, se cassent avant d’arriver», explique Omar, responsable d’un restaurant situé à quelques mètres du port.

Même son de cloche chez les vendeurs d’habits. «Les bateaux doivent reprendre. On n’en peut plus. On ne voit plus de clients. La vérité c’est que cette ville est morte à cause de la suspension des bateaux», rouspète Assane Diédhiou, gérant d’une boutique d’habits.

Par Khady SONKO – ksonko@lequotidien.sn