En cas de mort suspecte ou violente, un médecin-légiste peut effectuer l’autopsie sur le cadavre pour déterminer les causes de la mort. Sauf que chez les Diolas animistes, ce n’est pas le médecin qui le réalise, mais le mort lui-même qui fait son autopsie. «L’autopsie chez le Diola, c’est le cadavre lui-même qui montre de quoi il est mort», affirme Laurent Sambou, conservateur du musée traditionnel de la culture diola de Mlomp Djicomol. Par Ousmane SOW –
Comment la société diola conçoit-elle la mort ? Pour elle, la mort est conçue comme un grand passage, un grand voyage, une grande traversée. La vie et la mort constituent, pour elle, une seule et même réalité vivante qui porte deux noms différents et se manifeste sous deux visages différents. La mort est un autre nom, une autre réalité de la vie. La mort, c’est l’autre vie ; et le mort, un autre vivant. Celui ou celle qui meurt entreprend un grand voyage qui lui permet de passer d’un monde à un autre. Il passe du monde visible au monde invisible. Le premier monde, le monde visible, est celui des hommes ; le second, le monde invisible, est celui des morts et des ancêtres. «Quand on dit que le mort n’est pas mort chez le Diola, ce n’est pas le corps, mais bien l’esprit qui revient dans une autre vie, dans une autre corps. Le Diola croit à la réincarnation», explique Laurent Sambou, conservateur du musée de la culture diola de Mlomp Djicomol. Alors, là où la science exhibe scalpel et analyses, chez les Diolas animistes, on invoque les forces invisibles. Ce rituel d’interrogation se nomme «Kassab». Une tradition purement animiste et bien conservée chez les Diolas de la Casamance. «Quand une personne décède, on amène quelques-uns de ses biens, on le garde sur l’autel (fétiche) qui protège les morts. Donc, au niveau de ce fétiche-là, la personne reviendra d’abord récupérer ses biens et trouvera là où il devra sortir pour une autre vie. L’autopsie chez le Diola, c’est le mort lui-même qui fait son autopsie. C’est le cadavre lui-même qui montre de quoi il est mort à travers ceux qui le portent», affirme Laurent Sambou. L’autopsie chez le Diola, renseigne-t-il, «c’est quelque chose souvent difficile à expliquer pour le commun des mortels». Les porteurs du défunt entrent en transe et tournent sur eux-mêmes avec le cercueil. La cérémonie d’interrogation se déroule généralement dans la cour de la maison mortuaire ou sur la place publique du village, après les danses funèbres. «On dit que c’est le mort qui mène la danse et y met fin en les dirigeant vers les batteurs de tam-tam. Une fois assisté à cette chose, vous allez voir de vos propres yeux. Donc, cela veut dire que chez nous, une personne qui est morte, avant de l’enterrer, il faut l’interroger sur la cause de sa mort naturelle ou pas en présence de la prêtresse ou du féticheur», précise-t-il, soulignant que le Diola est un grand conservateur. «Une personne qui est décédée, si on doit l’enterrer traditionnellement, ce n’est pas à la mosquée ou l’église», lâche-t-il, esquissant un sourire. L’interrogatoire du mort chez les Diolas, un procédé fascinant, qui échappe aux rationalités modernes, mais illustre le lien profond entre les vivants et les morts dans cette communauté.
L’interrogatoire du mort
Cependant, Sidaty Danfa, président de l’Association Nord-Sud du village de Soumacounda, observe ces traditions avec un regard ambivalent. Lui, Mandingue de naissance, confesse un certain détachement. «Je suis mandingue, mais je sais que dans les villages traditionnels mandingues ou diolas, la mort n’est jamais naturelle, il y a toujours un bouc émissaire. Il y a toujours quelqu’un ou un esprit qui a tué la personne», affirme-il avant d’ajouter, non sans une pointe de scepticisme : «je suis un peu rationnel. Tout ça, c’est la tradition. Mais il y a une explication scientifique à la mort. A l’époque où j’étais jeune, je croyais fermement à l’autopsie, mais après l’éducation m’a montré que tout cela ne tient pas la route peut-être. Je n’ose pas trop en parler parce que je ne suis pas un renégat. Je suis dans ma communauté et je la respecte. Mais je ne crois pas à tout ça, malheureusement d’ailleurs, on me le reproche», confesse-t-il. Et ce doute, il le nourrit d’un regard critique sur les conséquences sanitaires. «D’ailleurs, beaucoup refusent d’aller à l’hôpital parce qu’ils pensent qu’ils n’en reviendront pas. Mais ils y vont trop tard… et cela renforce leur croyance», regrette-t-il.
Le poids des interdits et des secrets
Dans les villages diolas, l’interdit ou le «nieynieyi» agit comme un ciment moral et social. Ousmane Karafa Diatta, conservateur du musée à ciel ouvert de Sangawatt, en décortique les implications. «L’interdit repose sur la discrétion et le discernement. On ne mélange pas nos rôles dans les rituels d’initiation. Les secrets ne doivent jamais être dévoilés. Ce qui nous permet aujourd’hui certainement, dans des vallées de rituels de l’initiation, de garder le secret des hommes comme la circoncision», explique-t-il. Dans ce musée à ciel ouvert situé sur l’ancien village où vécurent les premiers habitants de Diembéring, l’anthropologue Karafa Diatta, conservateur du musée, qui nous a accueilli en cette matinée du 17 décembre, dans le cadre des excursions Eductour du festival annuel Koom-Koom de Ziguinchor, on y découvre la culture et les traditions diolas à travers un parcours intéressant dans la brousse. Là-bas, chaque visite commence par des chants, des prières, et un profond respect des anciens. Mais derrière cette façade harmonieuse se cachent des interdits stricts. Il cite en exemple la circoncision, entourée d’un secret absolu, ou encore les sanctions liées au vol. «Voler, chez nous, c’est une malédiction», prévient-il. Un acte aussi simple que dérober un œuf peut entraîner des répercussions sur plusieurs générations. Cette philosophie éducative incarne la vision diola d’une justice préventive, où l’interdit est à la fois dissuasif et moral. «Si quelqu’un vole un œuf, une chèvre, un porc, on considérera toute sa lignée comme des voleurs», ajoute l’anthropologue Ousmane Karafa Diatta, soulignant la gravité des conséquences sociales de tels actes.
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