Ziguinchor – Nouvelle forme de manifestations : Des barrages à l’activité

Les jeunes du parti Pastef local ont trouvé une nouvelle façon de montrer leur colère. Il s’agit des barrages partout dans la ville. Cette stratégie, qui paralyse toute activité, est leur manière de dénoncer «l’injustice contre Ousmane Sonko, les nombreuses arrestations et les personnes tuées lors des manifestations». Par Khady SONKO –
Des barrières un peu partout dans la commune de Ziguinchor sont une nouvelle formule d’expression contre les exactions dont est victime le leader du parti Pastef. Ces barrières ont été érigées à la suite des affrontements entre les Forces de l’ordre et les partisans de Ousmane Sonko. Même s’il n’y a pratiquement plus d’affrontements depuis quelques jours, les barrières restent en place. Même les Forces de défense et de sécurité qui ont essayé de les enlever ont provoqué la furie des manifestants, qui les ont remises et renforcées. Ces barrages sont dressés pour des raisons biens déterminées, selon leurs initiateurs : la mort des manifestants, les nombreuses arrestations et l’injustice à l’endroit de Ousmane Sonko dont la dernière est le verdict le condamnant à deux ans de prison ferme.
Dans les quartiers, personne ne revendique ces barrages de fortune. «Ce sont les jeunes du parti Pastef qui les ont placés», répondent des personnes préférant garder l’anonymat. A la question de savoir où sont ces auteurs, la réponse sonne comme une menace. «Partez d’ici, c’est mieux pour vous.» D’autres disent : «Ils reviennent la nuit. Mais si vous essayez d’enlever ces barrages, là vous les verrez par des pierres et…»
«Suite aux manifestations, les Forces de l’ordre ont tué des manifestants, en ont arrêté d’autres. C’est pour montrer leur colère contre l’injustice. On libère les Forces de l’ordre contre des citoyens désarmés. Jusqu’à présent, comme rien n’est réparé, ils écoutent le gouvernement qui tarde à réagir. C’est ce qui explique le maintien de ces barrières dans toute la commune de Ziguinchor», a déclaré Souleymane Mané, le directeur de l’école du parti Pastef dans la zone sud du pays.
Avant le verdict du procès contre Adji Sarr, les barrières étaient érigées dans les artères environnant la résidence du maire de Ziguinchor. Après son départ, la ville était en train d’être nettoyée, mais le verdict a tout arrêté, et même envenimé les choses. «Ce verdict est une farce judiciaire. Pendant deux ans, Ousmane Sonko a été accusé de viols et menaces de mort avec armes par une employée d’un salon de massage à Dakar. Après le procès, on a une confirmation de l’enquête préliminaire de la gendarmerie, du juge d’instruction, le dossier était vide et il a été acquitté pour viols et menaces de mort, et on invente le délit de corruption de la jeunesse, qui n’existe nulle part et personne n’a jamais été condamné pour ça dans toute l’histoire du Sénégal», dénonce M. Mané. Il ajoute : «Dès le prononcé de ce verdict, les jeunes se sont déchaînés comme un peu partout sur l’étendue du territoire. Ziguinchor est la commune du maire, c’est pourquoi il y a eu de violents affrontements et c’est à la suite de ces affrontements que les jeunes ont trouvé cette forme de lutte, c’est-à dire barricader toute la commune. C’est vrai que c’est dur et cela impacte toute l’économie, mais c’est à cause de l’injustice et l’instrumentation de la Justice par une classe de politiciens au pouvoir et qui ne pensent qu’à leurs intérêts au lieu de l’intérêt de la Nation.»
Calme précaire dans la cité
Un calme préoccupant règne à Ziguinchor depuis le week-end. Même s’il n’y a pas d’affrontements majeurs entre Forces de l’ordre et manifestants, les grandes artères restent barrées dans presque tous les quartiers. Certains barrages sont tels des murs, tellement leur hauteur est élevée. Le décor est désolant et triste partout. La circulation reste bloquée, très peu de taxis et de véhicules particuliers arrivent à circuler, avec bien entendu des déviations qui embrouillent conducteurs et clients. Ceux qui se frottent les mains dans cette situation difficile, ce sont les conducteurs de motos Jakarta. Ils ont triplé leurs prix, passant de 300 à 1000 francs Cfa le déplacement le moins long. Comme si cela ne suffisait pas, les jakartamen ont des destinations préférées, et donc il y a des zones où ils n’iront pas, quel que soit le prix que le client voudrait payer. «Toutes les routes sont barrées. Je ne vais pas là-bas», disent certains. «C’est une zone trop risquée», assurent d’autres.
Beaucoup de femmes se déplacent à pied, faisant pour certaines plus de trois kilomètres rien que pour se rendre au marché. «Aujourd’hui, c’est la marche. Les jakartamen te taxent 1000 francs. L’aller et le retour font 2000. A ce prix, combien nous restera-t-il pour l’achat des produits qui sont rares et très chers», se lamentent nombre de femmes interpellées sur le chemin du marché. «Moi, j’ai renoncé à aller au marché pour acheter des mangues à revendre. Si je paie 2000 francs pour le transport, je n’aurai jamais une marge de bénéfices. Je vais vendre à perte», se désole Astou. Contrairement aux autres, elle ne peut faire des kilomètres avec une bassine remplie de mangues.
Cependant, les activités reprennent timidement. Beaucoup de cantines, boutiques et magasins ont ouvert dans les petits marchés des quartiers.
L’éducation à l’école buissonnière
C’est au niveau du secteur de l’éducation que les choses n’ont pas bougé. Les écoles et l’université Assane Seck de Ziguinchor restent fermées. D’ailleurs, environ une dizaine d’établissements ont été saccagés ou incendiés, et beaucoup de documents détruits. Ce qui peut entraver sérieusement la poursuite des enseignements à quelques mois des examens de fin d’année dans cette partie sud du pays.
Toutefois, la présence des Forces de sécurité est dissuasive. L’Armée aussi sillonne les rues.
A noter que dans la soirée du dimanche, il y a eu des affrontements entre l’Armée, qui essayait de dégager les barricades, et des manifestants, aux quartiers Néma 2 et Castors, sur la route qui mène à l’université Assane Seck de Ziguinchor. Aux dernières nouvelles, un conducteur de Jakarta, blessé lors de cet incident, a finalement perdu la vie.
ksonko@lequotidien.sn