Ayant d’abord reçu en juin dernier le Prix du penseur de la souveraineté Legs-Africa à Dakar puis en novembre à Paris, le prix littéraire Fetkann ! Maryse Condé 2016 – Mémoires des pays du Sud, mémoire de l’humanité, dans la catégorie poésie avec une mention spéciale du jury pour le caractère pédagogique de l’action poétique de l’ensemble de son œuvre, Amadou Elimane Kane, écrivain-poète, a terminé cette année 2016 en «beauté et en harmonie». Auteur prolifique, protéiforme, et produisant une œuvre poétique, à la fois romanesque et pédagogique, il est devenu, en dix ans, un auteur majeur qui questionne en profondeur notre société africaine contemporaine et ses enjeux : la construction des États-Unis d’Afrique et la renaissance culturelle. Par-delà, il s’interroge aussi sur les moyens de rétablir l’équilibre en refondant une civilisation véritablement tournée vers la justice et l’humanité.
Vous avez récemment remporté le prix littéraire Fetkann ! Maryse Condé 2016 – Mémoires des pays du Sud, mémoire de l’humanité, catégorie poésie avec une mention spéciale du jury pour le caractère pédagogique de l’action poétique de l’ensemble de l’œuvre sans oublier le Prix du penseur de la souveraineté de Legs-Africa qui vous a été remis en juin dernier ici au Sénégal. Qu’est-ce qui vous démarque des autres poètes-écrivains ?
C’est une reconnaissance qui me touche profondément et qui place mon travail dans une forme de responsabilité. Mais il faut savoir rester humble et être à la hauteur des attentes. J’essaie d’être constant dans mes combats et de poser ce qui non seulement me préoccupe mais convoque l’ensemble des réflexions humaines. Comme je ne triche pas avec moi-même, je continue à porter ce qui m’anime. Je continue d’être dans l’émulation, le travail car c’est cela qui importe. La remise du prix littéraire Fetkann ! Maryse Condé et celui du penseur de la souveraineté de Legs-Africa ont été des moments de forte émotion pour moi. C’est l’occasion de rencontrer les uns les autres pour cheminer encore vers la poésie, la littérature, l’humain et la vie et j’en suis très heureux.
Au-delà de ces considérations, ces prix portent en eux des symboles qui me touchent et ils inscrivent mon travail dans la mémoire collective, ce qui est très important dans la démarche qui est la mienne.
Par-delà, je souhaite que ce prix, et l’ensemble du travail que je mène, soit dédié à la jeunesse africaine, et en particulier à la jeunesse sénégalaise car nous avons besoin de transmettre notre patrimoine pour bâtir notre récit continental. Je crois beaucoup en la force de la jeunesse pour porter nos valeurs plurielles. La jeunesse doit se saisir de son histoire pour assurer cette continuité culturelle.
La question de la mémoire est évidemment au centre de vos écrits, que ce soit à travers la poésie, le roman ou le documentaire. De même, que l’on retrouve dans votre œuvre les questions panafricaines liées à l’histoire et à la culture. Qu’est-ce que vous voulez signifier à vos lecteurs ?
Je crois fortement à l’empreinte du récit culturel. L’histoire africaine est une longue épopée souvent remarquable et je pense que les auteurs africains, y compris moi-même, devons travailler à bâtir notre propre récit pour rétablir ce que j’appelle la justice cognitive, c’est-à-dire de tenir de l’ensemble des trajectoires pour redéfinir les sociétés contemporaines.
sL’Afrique porte en elle une histoire très singulière dont les représentations sont encore erronées et il s’agit donc de rétablir la vérité pour ouvrir nos horizons et nos propres symboles culturels. Le continent africain a été trop souvent caricaturé par des hommes, des femmes qui n’aspiraient qu’à la conquête de celui-ci, donc notre récit identitaire, intime et culturel a été bafoué. Il faut absolument le porter à la connaissance du monde.
Lorsque j’écris, j’accorde une large place aux convictions que je porte en bandoulière qui sont celles de la justice dans son sens le plus large, celles du travail, de la connaissance, de la mémoire, et la question du récit culturel africain a donc toute sa place car c’est la vision que nous devons désormais porter comme renaissance culturelle. Je considère la notion de justice cognitive comme une valeur essentielle, une conception qui tient compte de l’ensemble des trajectoires culturelles, historiques, sociales et politiques.
J’essaie de partager, à travers mes écrits, les valeurs humanistes que nous devons défendre partout, celles de la vérité, de la solidarité, de la fraternité, de la liberté, tout en refusant les enfermements, la pensée unique, le carcan idéologique. Alors bien sûr, quand je bâtis des récits, je parle de notre société, de l’histoire africaine, de notre longue histoire en essayant d’être juste, et toujours dans un souci de foudroyer les barbaries, qu’elles soient blanches, noires, jaunes, chocolat !
Pour revenir au prix Fetkann ! Maryse Condé, je le dédie aussi à la mémoire des femmes qui ont traversé l’histoire africaine, et au-delà l’histoire de l’Humanité, car on s’aperçoit que les combats de justice sont très souvent initiés par leur vision qui est celle d’une plus grande harmonie, détachée d’un certain nombre d’intérêts particuliers. Les femmes, de manière générale, savent mettre au centre le collectif et l’humain, en sacrifiant leurs propres désirs. En disant cela, je m’appuie sur l’histoire de quelques-unes comme nos reines d’Afrique, Ndaté Yalla, Ndjombött Mbodj, la reine Zingha, la reine Pokou ou encore la princesse Yennega, et plus proche de nous l’épopée des femmes de Nder qui se sont opposées à l’esclavage maure. J’invite d’ailleurs la jeunesse à s’approprier tous ces récits qui sont fondateurs de notre histoire culturelle.
Très prochainement, je vais publier un roman intitulé : Rokhaya Diop, la négresse fondamentale qui déplie le temps. C’est un récit consacré à un personnage, une héroïne qui, selon moi, incarne le monde de demain, celui d’une justice humaine plus grande, à travers la vision d’une femme qui saisit tous les possibles pour foudroyer les appartenances étriquées qui ne cherchent qu’à étouffer le monde culturel noir.
À propos de vos engagements militants autour du panafricanisme, quelles sont, selon vous, les décisions majeures à engager à l’aube de cette année 2017 ?
Mon vœu le plus cher est de continuer à œuvrer pour la construction des États-Unis d’Afrique. La renaissance culturelle, la reconnaissance du patrimoine historique et social africain passe aussi par une union politique et économique qui doit engager les hommes d’État, les citoyens et la nouvelle génération en particulier. Selon moi, le défi, c’est de construire notre unité continentale et de bâtir les Etats-Unis d’Afrique et cela ne se fera pas sans la jeunesse.
Je crois beaucoup aussi à l’action des femmes car je défends leur volonté, leur intelligence pour former une sorte d’équilibre qui ne soit pas unilatéralement masculin. Si nous voulons rétablir la justice sociale, nous devons former une unité stable et forte au sein de la société toute entière, avec des vraies mesures de changement et de conduite gouvernementale.
Oui, encore une fois, je dénonce toutes les injustices car c’est la question humaine qui doit demeurer au centre. Et les injustices sont colossales, que ce soit au Sénégal ou un peu partout dans le monde. Je suis poète avant tout mais je suis aussi un homme engagé et je ne peux pas faire semblant de ne pas voir ce que les hommes, les femmes, les enfants subissent à chaque crise, à chaque conflit.
L’humanité est constamment prise en otage, liée aux manipulations, aux exactions, aux combines, aux profits à outrance qui foudroient les valeurs essentielles comme la santé, l’école, la dignité, pour parler de la situation sociale au Sénégal, par exemple. Car je le rappelle encore et toujours, cette dérive inhumaine, ou les actes de corruption et de népotisme ne sont pas inscrits dans nos valeurs démocratiques, et ce depuis des millénaires. Alors j’essaie, par les moyens qui sont les miens, c’est-à-dire les mots, la littérature et les actes que je pose, de combattre les mensonges, les injustices immondes pour replacer au centre ce qui doit prévaloir pour l’harmonie des êtres et du monde contemporain.
Nous devons vraiment œuvrer pour la renaissance africaine et que celle-ci passe par un rétablissement de nos valeurs culturelles, créatrices, fécondes qui soient tournées vers le beau et le progrès.