Intervenant aux travaux de la 11ème Assemblée générale de l’Union africaine des radiodiffuseurs (Uar), le chef de l’Etat rwandais, Paul Kagamé, président en exercice de l’Union africaine (Ua), a tenu un discours mobilisateur à l’endroit des participants mais aussi des Africains de manière générale. A propos de l’acquisition des droits de retransmission télé des compétitions sportives africaines, le président en exercice de l’Ua milite pour la fin de la politique tendue du continent. Il en appelle à un sursaut d’orgueil des fils du continent, qui ne doivent plus accepter la gestion de ces droits par des étrangers. Kagame plaide pour l’emploi comme alternative à l’émigration des milliers de jeunes africains, prône une amélioration des contenus de médias africains, explique le modèle rwandais et encourage le libre-échange tout en invitant à expliquer les avantages de la Télévision numérique terrestre.

Message aux membres de l’Uar
«Je suis très heureux d’être parmi vous ce matin (jeudi). C’est un honneur que vous me faites de participer à votre Assemblée générale de l’Union africaine de radiodiffusion. Vous êtes chez vous au Rwanda. Le message que je veux vous transmettre, c’est de vous dire que le moment est venu pour nous africains de payer nos factures. Car si quelqu’un d’autre le fait à notre place, cela va devenir plus cher. Il est temps que se pose la question de savoir, si c’est de notre faute, la situation que nous vivons actuellement avec les difficultés que nous rencontrons à tous les niveaux, comme celui des droits de retransmission des compétitions africaines de football, le passage à la télévision numérique terrestre ou encore d’autres problèmes liés à l’immigration des jeunes vers l’Occident. Est-ce notre faute ? Est-ce celui des leaders ? Voilà les questions qu’il faut se poser et trouver les réponses idoines. Ce que je peux dire là-dessus, c’est que nous gâchons nos chances. Le moment est venu pour nous de nous réveiller.

Mise en pratique des projets de l’Uar
Je ne sais pas pourquoi rien n’a été fait. Pourtant, les idées, les projets sont là. A chaque fois, c’est la même chose. On discute, on se réunit et au final, on ne fait rien. J’espère vraiment qu’on va pouvoir enfin y arriver. C’est mon plus grand souhait car nous avons perdu beaucoup de temps. Je reste persuadé qu’avec les nouvelles personnes, de nouveaux acteurs, de nouvelles visions, on pourra y parvenir. Que chacun y met du sien et on pourra enfin faire quelque chose de concret. Comme je dis, il est temps que les choses changent dans le continent. Et cela, dans tous les domaines.

Modèle rwandais
Je me demande s’il existe un modèle parfait dans le monde. Même ceux qui essaient de nous donner des leçons ont du mal à trouver la formule parfaite. Elle n’existe pas. Comme vous le savez, nous avons traversé des moments très difficiles dans notre pays. On a beaucoup appris dans la douleur. Nous avons compris qu’il faut agir par nous-mêmes. Qu’est-ce que nous voulons ? Nous voulons la paix, la sécurité, la prospérité, le vivre ensemble. Nous avons décidé de mettre en place un gouvernement d’unité nationale. Il faut comprendre que les problèmes du Rwanda concernent tout le monde.
Il ne faut pas simplement que parce que l’autre a perdu, il est de l’opposition, qu’il ne doit être parmi les décideurs. On a besoin de toutes les idées. C’est cela la démocratie. C’est cela le vivre-ensemble. Chacun doit y mettre du sien. Que les gens ne se sentent pas perdants, parce qu’il n’y a pas de perdants. Ce sont des élections et, à la fin, tout le monde doit continuer à œuvrer pour le développement du Rwanda. Les perdants, si je peux les appeler ainsi, ne doivent pas être écartés. Nous voulons le consensus. L’opposition peut avoir des opinions diverses, mais cela ne veut pas dire qu’elle ne veut pas le développement, ni la sécurité. On ne lutte pas l’un contre l’autre. On lutte pour le développement de notre pays. Nous devons servir le Peuple.

Comment y parvenir 
C’est comme je viens de dire, que tous se sentent à l’aise. Qu’on réfléchisse ensemble. On doit faire face ensemble aux défis qui nous attendent. Maintenant, la politique du Rwanda n’est pas forcément valable ailleurs. Tout dépend du contexte, de la situation… Au cours des 26 dernières années, il y a eu beaucoup de choses positives que nous avons pu réaliser au Rwanda. Et je crois que le Rwanda est satisfait de son modèle.

Migration de jeunes
Il y a deux choses à ce niveau qu’il faut régler. D’abord, c’est de traiter le problème comme il se présente. Ensuite, il faut que les pays africains comprennent et trouvent les causes de ce problème. Ces jeunes qui partent prennent énormément de risques. Il faut leur trouver des opportunités de rester chez eux, en leur proposant des emplois par exemple. Mais, il n’y a pas de solutions magiques. La question mérite d’être posée et d’être débattue pour qu’enfin, on essaie de trouver une solution alternative à ce fléau… Il faut aussi essayer d’améliorer la politique à l’endroit des jeunes. La migration peut être un indicateur.

Droits des compétitions africaines 
Je suis un fan de football, je le réaffirme. Je suis fan de l’équipe d’Arsenal, mais également d’autres équipes. J’aurais pu rester avec seulement Arsenal, mais les résultats ne sont pas ce qu’ils sont actuellement. Bref, les droits télé sont un vrai problème. Ce n’est pas seulement le football, d’ailleurs. Qu’est-ce qu’il faut faire pour régler le problème ? On peut songer à avoir, à travers l’Union africaine, une production qui va donner des résultats.
Je ne peux pas comprendre que les droits des matchs africains soient gérés par des étrangers. C’est un scandale ! Malheu­reusement, il y a des Africains qui s’y plaisent. Ce sont eux qui jouent les intermédiaires et mettent dans une mauvaise posture leurs frères africains. Il faut trouver un moyen de collaborer entre Africains. L’argent n’est pas un problème. Nous sommes très riches. Il faut s’unir et il sera facile de payer. De toutes les façons, vous allez payer. Les idées sont là, le secteur privé est là… Il y a un vide que nous devons occuper. Sinon, ce sont les autres qui vont l’occuper à notre place. Nous ne pouvons plus continuer à mendier, à demander de l’aide. Nous pouvons le faire. Alors, il est temps de le faire.

Contenu des médias africains
Nous savons tous ce qu’il y a à faire. Il y a quelque chose qu’il faut débloquer. C’est peut-être la mentalité. Qu’est-ce qui vous empêche de le faire ? La bouche de quelqu’un d’autre ne va pas parler pour vous. Elle parlera pour elle-même. Pourquoi donc, on veut parler nous-mêmes ? Notre histoire est souvent racontée par l’étranger. Ce dernier le fait toujours comme il le sent. Et ces derniers cooptent, des fois, des Africains pour qu’ils racontent l’histoire de l’Afrique.

Zone de libre échange
Je dois dire là-dessus que les craintes sont mal fondées. Le manque à gagner dans le libre échange est plus important. Nous ne commerçons pas entre nous. Il n’y a pas de mouvement des personnes entre les pays. Lorsque j’ai décidé de supprimer le visas pour les Africains, beaucoup de gens ont commencé à dire qu’il y aura des délinquants, des criminels et tout au Rwanda. Tout se passe bien jusqu’à présent.
Les avantages du libre-échange sont énormes. Ce sera la meilleure chose qui peut arriver à l’Afrique si le projet est adopté. Il faut que, vous les médias, expliquiez cela aux populations pour que les gens comprennent. Il faut l’expliquer également aux leaders. Certains n’ont, peut-être, pas bien compris le sens du projet. C’est aussi une de vos responsabilités.

Télévision numérique terrestre
Sur cette question, j’ai l’impression que les gens ont peur du nouveau. Je ne sais pas pourquoi ils hésitent. Et pourtant, il y a beaucoup d’avantages à la Télévision numérique terrestre. Au Rwanda, on a fait le constat et on a fait de très bons résultats à ce niveau. Il faut peut-être continuer à parler du sujet pour que les gens puissent mieux comprendre les avantages de migrer vers la Télévision numérique terrestre. Ceux-là qui ont fait le passage doivent expliquer aux autres les avantages qu’il y a dedans. Comme je l’ai dit, au Rwanda, on l’a fait et c’est bien pour nous. Il ne faut pas penser que la date butoir peut inciter les gens à franchir le cap. C’est important d’avoir une date limite, mais le plus important, à mon sens, c’est d’expliquer aux gens les avantages… Il est temps en Afrique, qu’on agisse.»