Le gouvernement du Sénégal vient de nous présenter son plan d’ajustement à la suite d’une riposte budgétaire contracyclique conjoncturelle qui se justifiait par la nécessité qu’il y avait de substituer la demande publique à la demande privée en repli du fait de la pandémie et du ralentissement de la production. Nous l’avons soutenu dans notre tribune intitulée : «Sénégal : Organiser la Résilience Systémique à la Crise.»  De ce point de vue, le déficit budgétaire de 6% du Pib de 2020 sera progressivement ramené à 3% à l’horizon 2022 selon les engagements de nos autorités avec le Fonds monétaire international. Ceci non pas parce que c’est ce qu’il faut, mais parce que nous n’avons pas les moyens de faire autrement. Cette impulsion budgétaire négative sur la période 2021-2022 s’appelle ajustement puisque la relance est le contraire sur le plan macroéconomique. Dans la mesure où l’annulation de la dette publique que nous souhaitions n’arrivera pas, la relance comprise au sens macroéconomique, ne sera pas possible puisque non finançable de façon soutenable selon notre façon habituelle de faire.
La Banque centrale a bien campé le message, invoquant la nécessité de préserver la stabilité macroéconomique, les équilibres extérieurs, et le bon niveau de réserves de change pour faire face à des chocs externes et temporaires et non pour une relance. Les banques, sans une relance monétaire, ne pourront pas non plus financer une relance sous le leadership d’un secteur privé national. Les ressources ne seront pas disponibles puisque le refinancement de la Banque centrale ne suivra pas. Ces contraintes réelles découlent de notre cadre institutionnel monétaire. Des fonds de garantie ou des banques publiques ne changeront pas cette donne puisqu’il s’agira de mécanismes quasi budgétaires qui ne seront pas suivis par les banques, la Banque centrale ou nos bailleurs traditionnels.
Dans le cadre de cet ajustement, nos autorités ont donc développé un nouveau plan de développement (et non de relance) qui ne correspond pas aux orientations initiales du Pse mais qui, se servant de la pandémie, remet la transformation structurelle par le secteur privé national et le volontarisme d’Etat au cœur. En y ajoutant l’importance de l’humain au centre de tout développement, il se conforme ainsi aux appels de l’opposition sénégalaise et de la Société civile. C’est donc contraints et forcés que nous allons enfin investir dans la santé, l’éducation et les infrastructures de base.
Comme nous l’avons déjà documenté ailleurs, le Sénégal n’a pas amorcé l’objectif de transformation structurelle du Pse initial dans la période 2014-2019 et allait droit au mur avec des arriérés au secteur privé remboursés en partie grâce au Fmi. Le nouveau plan de développement (et non de relance), comme le Pse initial, ne produira pas les résultats de croissance escomptés puisque l’endettement ne sera plus possible. La part du secteur privé qui a été augmentée, puisque le secteur public sera en ajustement, n’arrivera pas si les réformes nécessaires ne sont pas faites. Une loi de Partenariat Public-Privé ne sera pas suffisante. Les projets Ppp nécessitent un pouvoir d’achat des populations puisque la rentabilité y est toujours nécessaire ou prise en charge par l’Etat qui lui n’a pas de moyens.
Le président de la République a insisté sur les réformes qui n’arrivent pas et le ministère de l’Economie compte sur la productivité pour augmenter la croissance. Cette productivité ne viendra pas car la croissance endogène voulue sera impossible sans un système monétaire et de change d’accompagnement. La productivité qu’il nous faut doit venir d’une demande intérieure ou extérieure que nous ne sommes pas en mesure de stimuler. Une réallocation budgétaire vers l’agriculture et des secteurs choisis pourrait donner de la croissance dans ces secteurs, mais sur le plan macroéconomique le résultat systémique sera nul. Nous reviendrons à notre tendance habituelle de croissance (pétrole et gaz exclus).
Il reste alors à notre Etat une seule voie. Faire ce que la Représentante de l’Union Européenne a suggéré : «Orienter le budget vers les besoins humains, éducation, santé, infrastructures de base, environnement et préserver la stabilité macro-économique.» C’était la déclaration de Politique générale 2 de Aminata Touré que nous avions positivement évaluée. Les programmes sociaux tels que le Pudc, et même des programmes agricoles qui, quant au fonds sont des programmes sociaux, sont tout ce que l’Etat peut réellement faire dans son cadre institutionnel actuel et ses moyens. La révolution agricole quant à elle ne pourra se réaliser au Sénégal que lorsqu’une réforme foncière permettant l’investissement de vrais professionnels dans l’agrobusiness sera faite. Le président de la République l’a dit. Le développement des territoires quant à lui n’arrivera que lorsque l’Etat lui-même se dessaisira de leurs plans de développement. Un plan de développement est plus approprié au niveau local qu’au niveau de l’Etat central.
De notre point de vue, tant que notre pays ira de plan en plan sans changer notre cadre institutionnel et monétaire, l’histoire se répétera toujours. L’illusion d’une croissance forte en 2023 du fait d’investissements dans le secteur des hydrocarbures et l’exploitation de cette richesse naturelle ne changera pas le fait que nous ne créons pas de la richesse. La pensée de groupe (group think) est nuisible pour un pays et c’est ce qui s’est passé à Diamniadio le 29 septembre 2020.
L’alternance au pouvoir permet la respiration démocratique et le changement de cap. Il est difficile pour les mêmes acteurs de dire à leurs concitoyens qu’ils ont changé de cap lorsqu’ils font face à un mur. Le nom des plans reste le même et le contenu change toujours car on ne veut pas admettre ses échecs antérieurs. Ceci est mauvais pour un pays. Nous avons eu 20 ans de socialisme démocratique avec Senghor, 20 ans de libéralisme social avec Abdou Diouf, et 20 ans de la même chose avec Abdoulaye Wade et Macky Sall. Les prochaines 20 années ne doivent pas être la même chose avec le plan qui vient de nous être présenté et qui ne produira pas de résultats puisqu’il sera mis en œuvre dans le même cadre institutionnel et monétaire sans endettement soutenable possible.  La seule issue est le secteur privé étranger qui voudra bien partager avec nous le fruit de la croissance qu’elle aura produite. C’est ce que j’ai appelé le Libéralisme Internationalisé Socialisant. Nous lui préférons le Libéralisme Patriotique impossible dans notre contexte sans une architecture monétaire d’accompagnement et une véritable décentralisation en pôles régionaux autonomisés et finançables.

Librement.

 Dr. Abdourahmane SARR
Président du Cefdel
Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp